Chers amis belges, et vous, chers amis du Portugal et de Roumanie, je vous écris pour tenter de dissiper le violent malaise que vous avez éprouvé lors du sommet européen de Nice.
Les humiliations que vous y avez subies sont intolérables, pour vous, les maltraités, comme pour nous, Français royalistes, témoins impuissants et consternés, comme tant de nos concitoyens, de ce pitoyable marchandage.
Je vous en prie, chers amis, dites bien autour de vous que le peuple français n’était pas partie prenante dans les disputes niçoises, et que celles-ci sont étrangères au projet historique de la France. Les Français venus à Nice étaient des manifestants, et les deux personnages qui avaient à assumer la présidence française de l’Union européenne sont plus préoccupés par leur carrière que par l’avenir de la France et de l’Europe. Vous le savez : le président et le premier ministre français se contentent d’expédier des dossiers, parfois vides comme celui de l’Europe sociale, et le plus souvent allégés de tout ce qui pourrait retarder leur bouclage. Ceux qui, Français ou non, dénoncent des dégâts provoqués par cette hâte brouillonne sont exposés au mépris de nos deux messieurs et de leur proche entourage.
C’est pourquoi je vous demande, chers amis, de ne pas reprendre le cliché sur « l’arrogance française ». La plupart des diplomates français ne sont pas arrogants : ils assument péniblement une situation d’irresponsabilité politique, et tentent de sauver ce qui peut l’être.Et beaucoup de mes concitoyens pensent, comme Georges Bernanos, qu’il n’y a pas d’orgueil à être Français. Mais il est vrai que nous avons tendance à prendre la pose quand le sol se dérobe. Ce qui est le cas depuis une décennie.
Mais l’échec de Nice n’est pas seulement le résultat de l’irréflexion, de l’amateurisme et de la grossièreté de MM. Chirac et Jospin. Posés en dépit du bon sens lors de la conférence intergouvernementale de Turin, les problèmes institutionnels ne pouvaient être réglés par le traité d’Amsterdam.Reprises dans les mêmes termes à Bruxelles en février dernier, les questions relatives au nombre de commissaires européens, aux votes à la majorité qualifiée et à la pondération des voix au sein du Conseil des ministres européens ne pouvaient recevoir aucune réponse salutaire à Nice. Piétinant au fond de l’impasse, les plus gros ont écrasé les plus petits. Convier d’autres pays à se jeter dans cette pagaïe n’a aucun sens, et l’échec d’une nouvelle conférence intergouvernementale, annoncée pour 2004, est d’ores et déjà assuré. Tout cela évoque la fin de la bureaucratie soviétique : cynique et corrompue, elle bricolait des échafaudages et comptait sur la police et l’armée pour assurer sa survie… Les dirigeants néo-libéraux ne peuvent même pas parier sur la peur.
Que faire, chers amis ? S’évader dans la fiction fédéraliste ? Ce serait perdre dix ou vingt ans. Choisir le repli nationaliste ? Nous conforterions l’hégémonie américaine. Désigner un pays (l’Autriche, l’Allemagne, la France)comme bouc émissaire ? Placée sous l’égide des amis de MM. Lagardère, Minc et Messier, L’Europe « morale » n’éviterait pas la subversion ultralibérale, ni l’absurde division entre « grands » et « petits » pays, ni l’alliance des ploutocraties euro-américaines qui ont toujours conçu « l’élargissement » en termes de zones-tempon, de réservoirs de main d’œuvre, de sites touristiques et de protectorats exercés sur des « tribus » et des « ethnies » par trop belliqueuses. Belges, Portugais, Slaves du Sud, Tchèques, Bulgares… voilà ce que vous valez, voilà ce que vous pesez aux yeux des eurocrates de Bruxelles et de Strasbourg !
Il nous faut donc envisager une nouvelle construction, fidèle à l’esprit européen, conforme à la géopolitique de notre continent, et respectueuse de chacune de ses nations. Concrètement, nous pourrions reprendre et actualiser le projet gaullien d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » (car la Russie fait évidemment partie de l’ensemble européen), celui d’une Europe confédérale assurant la représentation à égalité de chaque Etat, organisant la coopération
de toutes les nations en vue du développement commun et veillant au maintien de la paix dans l’équilibre.
Chers amis de toutes les nations d’Europe, n’est-ce pas là un magnifique projet pour le siècle qui commence ?
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Editorial du numéro 763 de « Royaliste » – 2000
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