L’étalage de l’irresponsabilité de François Hollande et de la compétition à droite ne peut nous détourner de l’essentiel : la question du politique.
Comme d’habitude, les candidats des fractions oligarchiques font des campagnes de Premier ministre, dans le mépris du principe de séparation des pouvoirs. Le président de la République n’a pas l’initiative des lois ! Le président de la République ne peut pas décider que le gouvernement agira au moyen d’ordonnances ! Nous sommes dans un régime parlementaire, qui peut conduire à de nouvelles cohabitations.
L’enjeu de l’élection présidentielle, c’est la capacité d’assumer l’article 5 de notre Constitution. Le citoyen qui se présente à nos suffrages est-il capable de veiller au respect de la Constitution et d’assurer, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ? Est-il capable de garantir l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et le respect des traités ?
Prendre comme critère cette capacité politique, c’est constater qu’aujourd’hui trois candidats prennent au sérieux la question des institutions et promettent de façon plus ou moins complète et cohérente d’assumer leur fonction constitutionnelle. Dans le refus de l’amalgame « souverainiste » (1) et en mettant provisoirement de côté les prises de position et programmes passés des candidats, j’esquisse une réflexion sur les candidatures de Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Tous trois présentent des projets qui posent, de notre point de vue royaliste, des problèmes distincts dans le domaine institutionnel.
Le projet gaulliste de Nicolas Dupont-Aignan pose le problème de l’inaccomplissement de la Vème République gaullienne quant au plein exercice de la fonction arbitrale. Je n’insiste pas sur ce point que nous avons maintes fois explicité car notre débat avec Nicolas Dupont-Aignan, légitimiste de restauration du projet gaullien originel, sera mené s’il est élu.
Le projet socialiste de Jean-Luc Mélenchon pose le problème d’une Constituante que le candidat suppose capable de réarticuler la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Ce légitimisme révolutionnaire implique une large adéquation entre la volonté du candidat et la volonté populaire ; il justifie paradoxalement la Constitution gaullienne qui a rendu possibles jusqu’aux premières années mitterrandiennes les transformations nécessaires – par exemple la sortie du commandement intégré de l’Otan en 1966 et les nationalisations de 1982.
Le projet nationaliste de Marine Le Pen pose un problème inédit : pour que la candidate légalement élue parvienne à construire sa légitimité présidentielle, il lui faut passer du jeu agressif sur l’identité et la différence ethnicisantes à la dialectique politique de l’unité et de la diversité. Voilà qui compliquerait gravement la tâche de la présidence, qui doit classiquement chercher à incarner l’unité nationale après avoir cultivé les divisions.
Pour remplir les charges énoncées dans l’article 5, le président de la République doit être le moteur d’un rassemblement permettant la victoire aux législatives des partis qui constitueront la majorité parlementaire et permettront la formation d’un gouvernement. Cette politique de rassemblement doit être au moins esquissée pendant la campagne présidentielle par chacun des trois candidats s’il veut donner force et crédibilité à son projet. Qu’en est-il ?
Nicolas Dupont Aignan est acquis au rassemblement mais il n’est pas encore parvenu à se faire reconnaître comme rassembleur possible. Il le veut. Le peut-il ?
Jean-Luc Mélenchon est capable de rassembler à gauche mais il lui faut aussi rassembler au-delà de la gauche, contre son extrême-gauche s’il propose aux Français de rétablir la souveraineté nationale par la destruction de l’euro. Il le peut. Le veut-il ?
Marine Le Pen aurait à rassembler à droite et au-delà de la droite, contre son extrême droite. Le fait est qu’elle déchaîne des passions radicalement opposées et qu’elle ne contrôle pas les imaginaires qui se mobilisent contre elle ou pour elle.
Ces trois trajectoires peuvent se recouper en certains points mais elles ne peuvent pas se rejoindre. Quant à la politique de rassemblement, les trois candidats sont en concurrence et cultivent les ambiguïtés qui conviennent aux tacticiens, non aux stratèges.
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(1) Je reprendrai une autre fois les critiques que j’adresse sur ce point à Jacques Sapir. Cf. sur mon blog : https://bertrand-renouvin.fr/frederic-lordon-jacques-sapir-et-lembrouille-souverainiste-chronique-83/
Editorial du numéro 1109 de « Royaliste » – 2016
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