Puisque les premiers mois de la nouvelle année seront dominés par la campagne électorale, il est naturel d’exprimer quelques vœux quant aux tâches à accomplir. Cela sans prétendre présenter un programme complet ou un projet d’ensemble mais pour inciter à la réflexion et au débat, dans des domaines où les retards, les carences et les routines sont manifestes.
Le premier vœu, à très court terme, serait que la campagne électorale soit l’occasion d’un véritable débat. Nous avons souvent décrit l’effondrement des modèles de société, l’épuisement des projets, la faillite des programmes, l’impression de vide qui s’ensuit, la gestion résignée qui tient lieu de politique, et la réduction des enjeux aux stratégies rivales des hommes et des partis. Il n’y a là aucune fatalité, mais seulement une attitude de facilité, dictée par le goût des situations acquises dans la crainte subséquente de mécontenter des clientèles, et, surtout, le manque de temps pour concevoir et entreprendre. Ce ne sont pourtant pas les enjeux qui font défaut.
UNE NOUVELLE DONNE
La crise économique et les tourmentes boursières sont à juste titre au centre de nos préoccupations. Comme le dit Pierre Rosanvallon, nous vivons la « fin du marché-providence », l’effondrement des illusions libérales. C’est l’occasion de repenser l’ensemble de notre politique économique, depuis trop longtemps enfermée dans le dogme de l’austérité, qui s’est accompagné d’une spéculation à tout-va, au détriment de nos capacités de production. S’il est vrai que les nationalisations ne furent pas une panacée, s’il est exact que l’Etat-providence avait atteint ses limites, la religion de l’équilibre budgétaire est néfaste et la doctrine de la privatisation sans efficacité pratique, puisque les grandes entreprises ont pour objectif une rentabilité financière qui peut être réalisée par d’autres biais que l’investissement productif.
Les travaux ne manquent pas, qui montrent la possibilité de sortir de la fausse contrainte de l’austérité, d’en finir avec « l’économie de rentiers », au profit d’une politique active de l’Etat, fondée sur un projet industriel cohérent et décidée à affronter, autrement que par des pis-aller, la question du chômage. Puisqu’il y a d’autres méthodes, et d’autres solutions que celles proposées par MM. Delors et Balladur, il serait dramatique qu’elles ne soient pas portées devant l’opinion publique à l’occasion de la campagne présidentielle – au lieu que chaque candidat se réfugie derrière les fausses évidences d’un consensus qui est celui du renoncement.
L’économie moderne est aussi, quelle que soit la conjoncture, une violence qui s’exerce contre des hommes. Pendant la période de croissance rapide, Paul-Marie de la Gorce attirait déjà l’attention sur les « laissés-pour-compte de l’expansion » sans obtenir autre chose que des bonnes paroles. Aujourd’hui, le père Wresinski décrit et dénonce le caractère inacceptable de la grande pauvreté, qui frappe plusieurs millions de nos concitoyens. Les faits sont établis, les causes sont connues, les propositions abondent sans qu’apparaisse vraiment la volonté de mettre fin à une situation qui porte atteinte à la dignité humaine. Un plan global et massif de lutte contre la pauvreté devrait être au cœur des propositions de tout candidat soucieux d’une justice sociale en acte.
UNE NOUVELLE CITOYENNETE
La pauvreté est d’abord matérielle. Mais elle conduit à une exclusion de la société, à un « apartheid » que nous refusons de voir. La lutte contre la pauvreté est aussi une lutte pour la reconquête d’une citoyenneté qui doit être repensée et élargie. La participation des immigrés aux élections locales, et l’intégration de leurs enfants dans la communauté nationale sont deux aspects prioritaires de cet élargissement. Cela ne signifie pas qu’il faille se satisfaire des actuelles conditions d’exercice de la citoyenneté. Celle-ci repose sur des droits reconnus et garantis, donc sur l’existence d’une justice dont l’indépendance demeure, comme on le voit aujourd’hui, plus théorique que réelle. Quant à la participation dans les entreprises, autre expression d’une citoyenneté quotidiennement vécue, elle doit cesser d’être un alibi pour devenir le moyen d’une prise de responsabilités dans la définition du travail comme dans les choix généraux.
Il faut aussi engager une réflexion sur l’appartenance à la nation. Il ne suffit pas d’avoir fait obstacle au projet de réforme sur le code de la nationalité. Et le gouvernement se trompe, à moins qu’il ne fasse preuve de cynisme, en croyant que des subventions parviendront à résoudre le problème corse, ou qu’un référendum sur un statut non négocié permettra de régler la crise calédonienne. Hors du cadre jacobin, et en puisant dans notre tradition nationale, il devrait être possible de créer un lien, qui ne soit pas de contrainte ou de dépendance financière, entre les nations (au sens premier du terme) qui tiennent à leur personnalité et aspirent à leur autonomie, et l’ensemble français. Un programme politique qui suivrait la pente répressive ou se contenterait du statu quo, serait plus attentatoire à l’unité que toutes les « menées indépendantistes » réunies.
Mettre en œuvre une politique économique qui ne soit pas de simple gestion de la crise. Lutter contre la pauvreté. Définir une nouvelle citoyenneté. Ces trois objectifs ne sont pas nouveaux. Mais le fait est que les anciennes promesses n’ont pas été tenues, que des efforts se sont relâchés, quand ils n’ont pas été paralysés. li faut, sans tarder, s’engager à les atteindre.
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Editorial du numéro 484 de « Royaliste » – 2 janvier 1988
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