A chaque provocation mise en scène par Donald Trump, les amis des Etats-Unis poussent des cris d’orfraie sur les ondes parisiennes. A la brutalité vulgaire du personnage, on peut préférer l’impérialisme distingué des présidents démocrates et fustiger les gens de droite qui rêvent d’un trumpisme français. C’est, comme d’habitude, projeter sur une réalité mal connue les catégories et les fantasmes du débat franco-français. Il faut au contraire cesser de réagir à la communication trumpiste, qui est destinée à nous impressionner, ne pas être dupes de la tactique du président des Etats-Unis, qui provoque à tout-va pour négocier en position de force, et tenter de comprendre ses objectifs stratégiques.

Dans le domaine des relations commerciales internationales, Donald Trump n’a rien inventé (1). Pendant et après la guerre civile de 1861-1865, les Etats-Unis mènent une politique protectionniste qui favorise leur développement industriel, au moment où l’Angleterre et la France puis d’autres États européens s’engagent dans une brève expérience de libre-échange. Les Etats-Unis restent protectionnistes pendant l’entre-deux guerres et, après 1945, les Américains conduisent une politique de désarmement tarifaire qui est conforme à leurs intérêts et qui se résume à des compromis entre intérêts nationaux. C’est seulement en 1994, avec l’Organisation mondiale du commerce, que les libre-échangistes obtiennent une victoire qui semble définitive… jusqu’à la crise de 2008-2010. La crise des subprimes a lancé le processus de démondialisation que la crise sanitaire est venue amplifier.

Donald Trump pratique un protectionnisme de crise en affirmant que les autres pays vivent aux dépens des Etats-Unis pour s’engager dans un protectionnisme d’expansion qui n’est pas non plus une nouveauté – puisque la France lui doit une bonne part de ses succès au XXème siècle. Rappeler des faits historiques connus n’est en rien rassurant. Au lieu d’accabler Donald Trump de jugements moraux, il faudrait fonder la réflexion collective sur un constat inquiétant : soutenus par un puissant mouvement populaire, le nouveau président des Etats-Unis et ses entourages sont en phase avec l’évolution des rapports de force mondiaux, loin de thématiques néolibérales et des ambitions démocratiques de la mondialisation heureuse. Un passionnant débat sur la dynamique du capitalisme est engagé (2), auquel nous allons participer.

Cette indispensable réflexion nous permettra de préciser ultérieurement deux questions urgentes. Que fait la France et que peut-elle face à la guerre commerciale qui s’annonce ? Quelle sera l’attitude de l’Union européenne ? La première question renvoie à la seconde. Il est bon de réunir un Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle mais nous savons que les négociations commerciales, les décisions monétaires et le cadrage budgétaire sont l’affaire des organes officiels et des réseaux d’une Union européenne qui poursuit son incontrôlable élargissement dans la confusion.

Dans la confrontation qui s’engage, Bruxelles est, à tous points de vue, en position de faiblesse. La Commission européenne invoque un néolibéralisme dépourvu de validité théorique, démenti dans sa pratique et récusé par le nouveau cours du capitalisme. Alors que les Etats-Unis, la Chine et les autres grandes puissances peuvent prendre des décisions rapides dans tous les domaines où s’exerce leur souveraineté, la Commission européenne s’efforce de gérer une bureaucratie pesante qui opère dans un halo parasitaire. En charge d’un “intérêt général” introuvable, elle fait semblant d’arbitrer entre des intérêts nationaux divergents sans cacher son tropisme allemand et un atlantisme consubstantiel. Elle découvre aujourd’hui que la protection extérieure est plus que jamais un piège dès lors que le protecteur, au lieu de se contenter de chantages et de pressions, menace l’Union européenne d’une guerre commerciale – tout en s’efforçant de reprendre, par l’action du Trésor des Etats-Unis, le contrôle de la création monétaire.

L’aveuglement et les pesanteurs de la Commission ne lui permettront pas d’être à la hauteur des enjeux technologiques dont on débat au Sommet de Paris. Alors qu’il faudrait investir massivement dans le numérique à l’égal des Etats-Unis et de la Chine, Bruxelles préconise l’austérité budgétaire selon les règles absurdes inscrites dans les traités. Dès lors, on ne parviendra pas non plus à mobiliser l’épargne européenne en faveur d’une politique d’investissements qui n’existe pas.

La France paralysée continue d’explorer ses impasses au sein d’une Europe paralysante, devant des citoyens tantôt résignés, tantôt exaspérés qu’on tente de distraire et de diviser par un débat sur le droit du sol. Des élites indifférentes aux intérêts et au rang de la France dissertent sur notre “identité”. Le paradoxe est trop violent pour être longtemps supporté.

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1/ Cf. les ouvrages de Jacques Sapir et d’Yves Perez présentés dans Royaliste et sur mon blog.

2/ Cf. sur ce blog la chronique de Dominique Decherf : “Libertariens et mercantilistes” à partir des ouvrages de Quinn Slobodian et d’Arnaud Orain.

Editorial du numéro 1294 de « Royaliste » – 9 février 2025

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