« Il n’y a point de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre » (L’amour médecin, Molière). L’annonce par Donald Trump d’ouverture de discussions avec Vladimir Poutine pour la recherche d’une solution diplomatique à la guerre russo-ukrainienne n’est une surprise que pour ceux qui ont bien voulu être surpris. Nul ne peut reprocher à Donald Trump de n’avoir pas fait ce qu’il avait annoncé durant sa campagne pour les élections présidentielles au sujet de ce conflit. Pourtant, certains dirigeants occidentaux, Européens en tête, semblent frappés d’amnésie[1]. Ils persistent à chevaucher des chimères sur les conditions du règlement de cette guerre. Pour avoir oublié, hier, que gouverner, c’est prévoir – et non communiquer, s’agiter dans tous les sens -, ils se retrouvent, aujourd’hui et encore plus demain, démunis. La constance de Donald Trump à travers sa détermination et son action tranche avec l’inconstance des Occidentaux révélée par leur indétermination et leur inaction.
La constance de Donald Trump : détermination et action
Loin d’être improvisée et incohérente, la démarche du 47ème président des États-Unis s’inscrit dans un projet global réfléchi portant sur le court et le long terme[2].
Objectif de court terme : mettre un terme à la guerre en Ukraine. À la différence de nombre de ses homologues occidentaux, Donald Trump fait ce qu’il dit ! Il estime que le conflit a fait trop de victimes et qu’il est grand temps de mettre un terme à cette hécatombe. Qui plus est, en application de son slogan « America First », il considère que l’argent du contribuable américain doit être utilisé en priorité pour le bien-être de ses concitoyens et non pour financer des aventures extérieures. L’Ukraine doit rapporter des espèces sonnantes et trébuchantes[3]. Rappelons que c’est lui qui a mis fin à l’interminable présence américaine en Afghanistan ! À ses yeux, le conflit en Ukraine ressort de la responsabilité des Européens[4]. Comme ces derniers sont incapables de faire émerger une solution diplomatique, privilégiant la voie sans issue de la confrontation guerrière, il la prend en charge en négociant directement avec Vladimir Poutine. On ne saurait être plus clair sauf pour les aveugles et sourds Européens qui font feu de tout bois pour tenter de s’immiscer tardivement dans un processus auquel ils ne sont pas conviés. Grand bien leur fasse. Les Ukrainiens vont devoir se rendre à l’évidence. La guerre est perdue.
Objectif de long terme : redéfinir les paramètres de la gouvernance mondiale. Le 47ème président des États-Unis entend faire table rase du passé et des rêves de paix par le droit et par le multilatéralisme (Cf. annonce du retrait de l’OMS, de l’accord sur le climat …). Cette démarche signifie un retour de la prégnance du rapport de force dans les relations internationales. Ni plus, ni moins. Malheur aux faibles. Pour y parvenir, il prévoit de réunir Chinois et Russes dans un sommet comme au bon vieux temps de la Guerre froide[5]. Les choses sérieuses se passent entre les Grands et non avec les petits et les moyens. Au passage, il espère enfoncer un coin entre Chinois et Russes pour s’attaquer à son principal ennemi, la Chine. Il met à la corbeille le libre-échangisme auquel il troque le bon vieux protectionnisme. Les immigrants ne sont plus les bienvenus aux États-Unis dont ils sont prestement chassés. Sur un plan pratique, Donald Trump souhaite, en priorité, mettre un terme rapidement au conflit russo-ukrainien, y compris en passant par-dessus la tête des Ukrainiens et des Européens pour pouvoir consacrer toute son énergie à l’Asie. Le fameux pivot de Barack Obama. Encore un élément de continuité de la politique étrangère américaine !
En conséquence, les Américains pressent les Européens de prendre en charge leur sécurité. « Nous pensons qu’il est important, dans le cadre d’une alliance commune, que les Européens renforcent leurs défenses pendant que l’Amérique se concentre sur les régions du monde qui sont en grand danger », déclare le vice-président américain, J.D. Vance lors de la conférence de Munich sur la sécurité (14 février 2025). Ensuite et parallèlement, le président envisage de redéfinir les termes de la question palestinienne comme avec sa proposition de déplacement de la population de Gaza vers l’Égypte et la Jordanie et sa création d’une « Riviera » dans cet espace. Finie, la solution à deux États. Tout est à reconstruire, diplomatiquement parlant, sur des bases entièrement différentes. Il manie alternativement la carotte et le bâton avec les principaux États arabes concernés (Égypte, Jordanie), espérant faire bouger les lignes d’antan et remodeler le Moyen-Orient à son image. Une technique diplomatique comme une autre. L’avenir nous dira ce qu’il en restera.
Si Donald Trump dispose d’une stratégie cohérente sur le dossier ukrainien, il en va tout autrement de ses » alliés » occidentaux.
L’inconstance des Occidentaux : indétermination et inaction
Faute d’avoir anticipé ce qui était plus que probable, les Occidentaux improvisent dans l’immédiat en reprenant l’antienne de la sidération et sur le court terme avec leur classique de l’agitation.
Réaction dans l’immédiat : l’antienne de la sidération. De sidération en sidération. Ainsi va la vie en Europe ! L’Ukraine n’échappe pas à la règle. Notre ex-ambassadeur à Moscou, également[6]. Après l’entretien téléphonique du 12 février 2025 entre Donald Trump et Vladimir Poutine, les Européens apparaissent sonnés par le décès de l’Alliance atlantique. « Ce qui est le plus étonnant, c’est qu’encore une fois, les Européens ont l’air surpris », se désole un diplomate français de haut rang. L’annonce de l’abandon de l’Ukraine par Donald Trump cueille à froid le Vieux Continent qui s’est encore bercé d’illusions sur un possible changement de pied du président républicain[7]. Par ailleurs, les Européens sont irrités après les déclarations vigoureuses du vice-président américain, J.D. Vance à l’occasion et en marge de la conférence sur la sécurité internationale (Munich, 14 février 2025). Sa discrétion sur le conflit en Ukraine tranche avec sa sévérité à l’endroit des Européens à qui ils demandent de prendre en charge leur sécurité et les critiquent pour leur incapacité à stopper l’immigration et à défendre les valeurs de l’Occident au premier rang desquelles la liberté d’expression[8]. Cette leçon de démocratie les laisse sans voix hormis leurs borborygmes habituels[9]. Pour sa part, Volodymyr Zelensky critique une « Europe faible » et des États-Unis qui veulent « faire plaisir à Poutine » (entretien à la chaîne de télévision allemande, ARD, 17 février 2025). Ce qui est très mal pris à Washington. En réponse, Donald Trump l’accuse d’être responsable de la guerre, d’avoir détourné l’aide américaine et d’être « un dictateur sans élections ». Les saillies intempestives de l’ex-comique devenu président pourraient lui coûter son poste, réduit qu’il est à quia. Ce qu’il semble faire sur la question des terres rares.
Réaction de court terme : le classique de l’agitation. Les gogos européens ne comprennent toujours pas que la paix sera négociée sans eux. Pour avoir refusé d’explorer, hier, la voie de la négociation lorsqu’il était encore temps, ils se retrouvent, aujourd’hui, pris au piège d’une diplomatie va-t-en guerre qu’ils ne maîtrisent pas.
Leurs déclarations lénifiantes et à jet continu sur le thème de leur refus de négociations qui se feraient sans les Ukrainiens et les Européens ne sont pas crédibles. Surtout lorsqu’elles émanent de dirigeants allemands en bout de course et français usés et peu audibles. À titre d’exemple, Emmanuel Macron improvise, le 17 février 2025 à Paris, une réunion informelle consacrée à la « sécurité européenne » et à l’Ukraine comprenant la participation de quelques dirigeants européens, de l’Union européenne (Commission, Conseil) et de l’OTAN (Secrétaire général).
Tout diplomate sait d’expérience qu’une réunion non préparée minutieusement à l’avance par des experts est vouée à un exercice de communication qui ne règle rien en termes de substance (« Initiatives ronflantes, inefficaces, hors-sol, de plus en plus pitoyables et décalées »). Comment croire, un seul instant, que puisse émerger un consensus fort sur un sujet aussi complexe que celui de la sécurité européenne ? Et cela alors que la problématique n’a pu trouver de réponse satisfaisante depuis le début des années 1950. Depuis, la France se retrouve seule à défendre l’idée de sécurité européenne autonome face à tous ses partenaires qui ne jurent que par l’OTAN et son article 5.
Tout ceci n’est pas très sérieux ! Hurler qu’on existe ne suffit pas pour exister. Les mots ne coûtent rien. En définitive, ce raout médiatique se conclut par un consensus mou sur la présence ukrainienne et européenne à la table des négociations et un dissensus dur sur l’envoi de troupes sur le terrain. La réponse du berger à la bergère arrive le lendemain. Les responsables de la diplomatie américaine (Marco Rubio) et russe (Sergueï Lavrov) se retrouvent à Riyad, en Arabie saoudite, pour traiter du cœur du sujet et préparer un sommet Trump/Poutine.
Les Européens, honteux et confus, jurant, mais un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus. Sauf Emmanuel Macron qui réunit le 19 février à Paris, pour une deuxième fournée, quelques États européens et non européens après avoir « précisé » dans un entretien à la presse régionale (19 février 2025) sa pensée complexe et évolutive sur le dossier ukrainien. Comprenne qui pourra. Et dans la foulée, il annonce sa visite le 24 février 2025 à la Maison Blanche. Pour y faire quoi ? Un exercice de haute diplomatie mentale[10]. La conférence de presse conjointe se résume en deux monologues permettant à chacun de rappeler ses positions. Emmanuel Macron présente son entretien comme un succès[11]. Si les apparences sont pour lui, la réalité l’est moins tant les divergences demeurent importantes. Nous en voulons pour preuve le désaccord entre Américains et Russes, d’une part et Européens, de l’autre, lors du vote de deux résolutions sur l’Ukraine le même jour par l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Dont acte !
Retour en arrière. Emmanuel Macron réunit, le 20 février 2025, les chefs des partis politiques français face à la « menace existentielle » russe et poursuit par un nouvel exercice de communication pour préciser sa pensée sur les réseaux sociaux avec les internautes. Un bel exemple d’agitation permanente stérile. Errare humanum est. Perseverare diabolicum ! Pendant ce temps, le Premier ministre britannique développe son idée de « force de réassurance », histoire de ne pas déplaire au grand-frère américain. Une tout autre approche du problème, plus pragmatique et moins dogmatique que celle de son alter ego français.
Le réveil tardif des somnambules
« En politique, rien n’arrive par accident. Si cela arrive, vous pouvez être sûr que cela a été planifié » (F. D. Roosevelt). On ne saurait mieux dire à propos des réactions européennes extravagantes aux annonces américaines de lancement d’un processus de négociation avec la Russie de Vladimir Poutine. Il s’agit tout simplement de la chronique d’une négociation annoncée. Or, tout se passe comme si la plupart de nos dirigeants occidentaux et, tout particulièrement européens, évoluent les yeux mi-clos dans un monde qu’ils ne veulent pas regarder, pour reprendre la formule du médiéviste Marc Bloch[12]. Ne sommes-nous pas les témoins incrédules de la fin d’une illusion européenne, de la fissuration du village Potemkine bruxellois ? Dans ce monde de l’infobésité, rien n’est plus important que de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, entre les dits et les non-dits sur les évolutions les plus récentes du conflit russo-ukrainien !
Jean DASPRY
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Éric Denécé, Le gai suicide européen, 20 février 2025, https://frontpopulaire.fr/international/contents/le-gai-suicide-europeen_tco_31081476
[2] Bertrand Renouvin, Trump et les paralytiques, www.bertrand-renouvin.fr , 9 février 2025.
[3] Les vastes réserves ukrainiennes, objet de convoitises américaines, Le Monde, 23-24 février 2025, p. 18.
[4] Trump s’essuie les pieds sur ses alliés, Le Canard enchaîné, 19 février 2025, p. 3.
[5] Michel Tatu, Le triangle Washington-Moscou-Pékin et les deux Europe (s), Casterman poche, 1972.
[6] Pierre Lévy, Sur l’Ukraine, une victoire de la Russie serait une défaite des États-Unis, Le Monde, 21 février 2025, p. 24.
[7] Erik Emptaz, Face au numéro de Trump et de Poutine sur l’Ukraine, l’Europe joue les ramasse-niet ! Moche coup de Trump, Le Canard enchaîné, 19 février 2025, p. 1.
[8] L’intégralité du discours de J. D. Vance aux Européens à Munich : « Ecoutez ce que votre peuple vous dit ! », https://lediplomate.media/2025/02/lintegralite-du-discours-de-jd-vance-aux-europeens-a-munich-ecoutez-ce-que-votre-peuple-vous-dit/le-diplomate/editos/ , 17 février 2025.
[9] J.- M. Th., Shérif, tu fais peur, Le Canard enchaîné, 19 février 2025, p. 1.
[10] Michel Richard, Macron face à Trump : l’argument qui tue, www.lepoint.fr , 22 février 2025.
[11] Philippe Ricard/Piotr Smolar, Trump-Macron : la rencontre qui illustre le fossé transatlantique, Le Monde, 26 février 2025, pp. 1-2.
[12] Alexandra de Hoop Scheffer, Trump accélère la reconfiguration des alliances dans le monde, Le Monde, 20 février 2025, p. 24.
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