Déliquescence : ce qui devient liquide, ce qui se dissout. Tel est bien l’état de la classe politique, que la pseudo-campagne pour les élections régionales a permis de vérifier. Déliquescence, évanescence : en termes moins choisis, cela veut dire que tout fout le camp.
Je ne m’en réjouis pas. Il ne faut jamais se réjouir des situations insaisissables, surtout lorsqu’elles tendent à devenir explosives. Mais, sans céder à la panique, chacun devrait manifester une inquiétude raisonnée, procéder à une réflexion méthodique mais d’autant plus facile que tous les éléments de l’analyse ont été cent fois exposés. Et qu’on ne cherche pas, au vu des résultats, à atténuer l’ampleur de la crise politique ou à reporter sur l’adversaire le poids des responsabilités communes. On dira ce qu’on voudra sur les effets du mode de scrutin, sur la nature de l’élection, sur la méconnaissance des enjeux régionaux, il reste et il restera l’essentiel, que la campagne électorale a déjà cruellement souligné : la crise d’élites politiques atteintes à la fois dans leur autorité (indiquer les enjeux collectifs), dans leur crédibilité (offrir des alternatives en forme de projets) et discréditées par leurs incohérences stratégiques.
GESTUELLES
Quelle incroyable confusion intellectuelle. Et quelle démission, injustifiable, honteuse, quant aux principes que l’on est censé défendre. Nous avons vu les chefs des fractions socialistes socialistes engager des débats publics et contradictoires (entre eux, évidemment !) sur la meilleure façon de riposter à Jean-Marie Le Pen, sans voir que le piège était dans le débat sur ce thème. Nous avons vu des socialistes (Catherine Trautmann à Strasbourg) et des gaullistes (Michel Noir à Lyon) refuser des salles au Front national en invoquant la défense de la démocratie – au mépris, d’ailleurs sanctionné par le tribunal administratif de Strasbourg, des principes élémentaires des libertés publiques. Nous avons vu des socialistes et divers groupes de gauche et d’extrême-gauche manifester, ce qui est leur droit, mais aussi tolérer ou organiser des démonstrations violentes qui, jointes aux interdictions de salles, ont eu l’effet inverse de celui qui était recherché : au lieu des quelques centaines ou des quelques milliers de personnes venues, comme c’est également leur droit, assister aux réunions de Jean-Marie Le Pen, celui-ci a pu s’adresser presque chaque soir à des millions de téléspectateurs, se présenter (non sans raisons) en victime de l’intolérance et mobiliser toute l’attention publique autour de sa personne.
Tels sont les résultats, prévisibles et prévus, de cette gestuelle de guerre civile, que le chef du Front national pratique en artiste accompli. Tels sont les résultats des ambiguïtés de certains ministres-candidats, de la suffisance partisane, de la bêtise militante. Manifestement, le Premier ministre ne dirige pas la majorité présidentielle (d’ailleurs réduite aux habituelles factions), le Premier secrétaire du Parti socialiste ne contrôle pas son organisation et les divers responsables socialistes ont oublié qu’ils avaient adopté un projet.
Quant à la droite classique, elle voulait faire des régionales un tremplin l’assurant d’une victoire facile et complète aux législatives de 1993. Comme l’a reconnu Charles Millon, la campagne sur le terrain lui a fait découvrir l’étendue de ses ignorances, en ce qui concerne l’état du pays, ses insuffisances et la perte de son crédit. Paralysée par la guerre de ses chefs, victime de sa paresse intellectuelle, engoncée dans ses routines gestionnaires, elle risque de glisser à son tour dans la dépression nerveuse.
NOS REFUS
Il importe peu que les apparences soient sauves, en termes de structures et de pouvoirs, si tous les grands appareils politiques perdent leur légitimité. Or tel fut bien le cas pendant cette campagne : tandis que les partis de droite et de gauche pataugeaient dans leurs contradictions, nous avons vu prospérer toutes les figures de l’anti-politique. Non seulement l’ethnicisme du Front national, non seulement le naturalisme fanatique des Verts, mais encore l’affairisme qu’incarne Bernard Tapie, le parisianisme d’un Daniel Hetcher et la consternante médiocrité de quelques autres gloires de la société civile promues par un Parti socialiste aux abois. Les talents et les compétences professionnelles de ces derniers ne sont pas en cause ; mais aucun citoyen ne devrait accepter le sophisme qui consiste à se présenter aux élections en affirmant qu’on ne fait pas et qu’on ne veut pas faire de politique.
Dans ce climat d’imposture, face à ces conduites intolérantes et suicidaires, on comprendra que la Nouvelle Action royaliste ait décidé de refuser ses voix au Parti socialiste et que, pour défendre la politique en tant que telle, notre mouvement soit résolu à faire obstacle au Front national et aux Verts selon des choix électoraux que chacun exprimera en fonction de la conjoncture locale. Vote-sanction, en ce qui concerne les socialistes. Vote d’opposition radicale en ce qui concerne l’ethnisme et le naturalisme militants : l’Histoire montre que les actes de simple résistance ne sont jamais seule ment négatifs.
***
Editorial du numéro 576 de « Royaliste » – 23 mars 1992
0 commentaires