Un antisémitisme de gauche

Mar 15, 1979 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

L’antisémitisme est de droite : cette vérité paraissait, depuis toujours incontestable. Henri Arvon soutient dans son dernier livre (1) que l’antisémitisme moderne tire son origine de l’idéologie de gauche. Thèse troublante qu’il convient d’examiner de près.

D’autant plus qu’elle est déjà récupérée par une droite trop heureuse de « refiler » à ses adversaires son immense responsabilité : ainsi le Figaro-Magazine a-t-il résumé grossièrement un livre très nuancé, et qui ne cherche jamais à absoudre la droite. Mais la gauche, quant à elle, ferait bien de s’interroger sur son idéologie, au lieu de se borner à dénoncer l’antisémitisme soviétique. Car Henri Arvon montre que c’est l’idéologie rationaliste du XIXe siècle qui est à la source de l’antisémitisme moderne : généreuse, favorable à l’émancipation, la gauche n’a défendu les juifs que dans la mesure ou ils renonçaient à leur identité.

Certes, la Révolution française libère un temps les juifs, mais c’est à la monarchie restaurée qu’ils devront leur émancipation effective. Certes, il existe, au Moyen-Age et jusqu’au début du XXe siècle, un antisémitisme catholique. Mais Henri Arvon montre que si l’Eglise persécute les juifs (surtout les convertis qui pratiquent leur religion première en secret) elle se refuse à les détruire car Israël est « soudé » au christianisme, qui voit en lui la condition de son salut : « les ténèbres du Moyen Age n’ont jamais enveloppé Israël au point de l’engloutir, alors que les lumières de notre siècle ont éclairé de leurs froids rayons les chemins menant à Auschwitz ».

C’est que, à l’époque moderne, le sentiment de réprobation à l’égard des juifs est remplacé par une volonté de destruction, théorique puis pratique. Il y a en effet, un antisémitisme philosophique, chez Kant, chez Hegel et chez Feuerbach qui, en dénonçant « l’égoïsme juif », fonde l’antisémitisme économique. Il y a un antisémitisme socialiste et anarchiste, celui de Fourier, de Bakounine qui invente le mythe du « complot juif », et chez Emile Pouget. Il y a un antisémitisme scientiste car la science découvre, derrière le juif, « le sémite doté d’un caractère permanent et indélébile » « découverte » qui sera au fondement du national-socialisme.

Et Marx ? Au terme d’une analyse très fine, Henri Arvon démontre que l’antisémitisme de l’auteur de « La Question juive » est plus dans la forme que dans le contenu : malgré la haine du juif que révèle sa correspondance, ce n’est pas les juifs que Marx veut détruire, mais le juif qui est en lui. Mais l’antisémitisme et le racisme sont nés chez les penseurs dont le marxisme procède… Il fallait beaucoup de courage pour le dire, et beaucoup de science pour le démontrer.

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(1)    Henri Arvon, Les juifs et l’idéologie, PUF.

Article publié dans le numéro 289 de « Royaliste » – 15 mars 1979

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