La mobilisation de la “droite des valeurs” en faveur son parrain multirécidiviste et la campagne médiatique en défense du parti des rentiers ont laissé dans l’ombre les tractations qui ont abouti, le 5 octobre à la nomination d’un gouvernement Macron anéanti le 6 au matin.
Tandis que Sébastien Lecornu tentait de trouver un accord équilibré entre une partie de la gauche, le “socle commun” et la droite, nous avons assisté à deux illustrations quasi simultanées de ce que nous ont enseigné Monique et Michel Pinçon-Charlot : la mobilisation d’une classe pour la défense de ses intérêts, assortie de la mobilisation d’un clan politicien pour la défense de son parrain.
La dénonciation virulente de la taxe Zucman – que nous avons critiquée dans notre dernier numéro – n’est que la pointe d’une offensive contre tous les projets et propositions tendant à réduire les privilèges et avantages fiscaux du grand patronat et de la bourgeoisie rentière. Par-delà toutes les discussions techniques sur la fiscalité, il est frappant d’observer l’unité dans la réplique. Celle du Figaro et des Echos bien entendu, mais surtout celle des chaînes d’information en continu qui ont rassemblé leurs éditorialistes, leurs experts habituels pour marteler leurs « éléments de langage ». On a même entendu des intervenants se plaindre que France Inter donnait “tout le temps” la parole à Thomas Piketty, auteur d’ouvrages de référence sur le capital, les inégalités et la fiscalité – avec lequel on peut ne pas être d’accord mais qui mérite d’être écouté. Parmi les citoyens qui regardent encore les informations télévisées, la prolifération des propagandistes du parti des rentiers aura un effet répulsif de longue durée.
La seconde mobilisation, de type clanique, concerne Nicolas Sarkozy, condamné à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs, avec exécution provisoire. Le prévenu a fait appel, mais les sarkozistes n’ont pas attendu la décision de justice pour lancer des accusations virulentes contre les juges, la qualification de la peine et l’exécution provisoire, en oubliant que celle-ci est banale pour ce type de délit. On retiendra de cette agitation que la droite vote des lois répressives et dénonce avec vigueur une justice toujours trop laxiste – sauf quand il s’agit de ses propres parrains et hommes de main.
La mobilisation de la “droite des valeurs” a laissé dans l’ombre les tractations sur la formation du nouveau gouvernement. Il convient de rappeler une fois de plus que la nouvelle équipe était envisagée dans l’espoir de faire voter le budget, non pour conduire la politique générale de la nation. Tous les problèmes écologiques, sociaux, stratégiques… resteront en l’état et aucune contrainte ne sera desserrée.
Sébastien Lecornu a tenté de maintenir la fraction LR dans l’équipe gouvernementale tout en obtenant la bienveillance du Parti socialiste. Quant à la participation au gouvernement, la tactique partisane s’est faite au vu des sondages, dont la rigueur n’est jamais assurée, et selon les intérêts des potentiels présidentiables qui s’orientent eux aussi selon les sondages.
Dans la perspective de 2027, on assiste au lancement médiatique de Raphaël Glucksmann et à l’intégration croissante de Jordan Bardella dans les calculs d’utilité de l’oligarchie. La publication du programme du Rassemblement national dans les prochaines semaines permettra de mesurer le degré de récupération du nationalisme identitaire par ce que l’une des figures de ce parti, aujourd’hui chargée de la formation des cadres, appelait le “bloc bourgeois”.
A la fin de la période de tractations, Sébastien Lecornu a surpris son monde en déclarant qu’il n’utiliserait pas l’article 49-3. Le coup paraissait bien joué. Les socialistes étaient mis dans l’embarras puisqu’ils réclamaient depuis longtemps le non-usage du 49-3 qui redonne du pouvoir à l’Assemblée nationale et qui rend plus difficile le dépôt d’une motion de censure. Le coup paraissait d’autant mieux joué que la marge de manœuvre laissée aux groupes d’opposition est très limitée. En cas de débordements, le gouvernement peut toujours s’appuyer sur l’article 40, qui interdit de présenter des amendements créant des charges publiques nouvelles non compensées. Il peut aussi avoir recours à l’article 44-3 : celui-ci autorise le gouvernement à ne retenir que les amendements de son choix lorsque son texte de loi est soumis à l’Assemblée. Il peut surtout s’appuyer sur le Sénat, où la droite est majoritaire, et pourrait jouer sur les Commissions Mixtes Paritaires.
Ces possibilités juridiques permettaient d’entrevoir avec une forte dose d’optimisme la formation d’un gouvernement disposant d’une durée de vie suffisante pour engager la discussion budgétaire. Révélée au soir du 5 octobre, la composition du nouveau gouvernement a immédiatement soulevé de sérieux doutes sur ses capacités de survie. On prenait les mêmes, en ajoutant Bruno Le Maire qui a été, sinon le premier responsable, du moins le complice actif d’Emmanuel Macron dans le creusement à la pelleteuse du déficit budgétaire. Bruno Retailleau, qui voulait conserver le ministère de l’Intérieur comme tremplin vers l’élection présidentielle, s’est senti floué lorsqu’il a appris l’entrée au gouvernement de Bruno Le Maire, que Sébastien Lecornu lui avait cachée. Toutes la soirée, les protestations des militants et des cadres du panier de crabes qu’on appelle Les Républicains ont convergé vers la place Beauvau. Et les bons petits camarades de Bruno Retailleau clamaient dans les médias que leur patron n’avait pas consulté ses troupes, mais seulement imposé sa volonté au groupe parlementaire. Contraint à la retraite, le Vendéen se préparait à quitter le gouvernement quand Sébastien Lecornu a annoncé sa démission.
De cet épisode grotesque à la dissolution, il n’y a plus qu’un pas.
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Article publié dans le numéro 1308 de « Royaliste » – 6 octobre 2025
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