Que l’héritier des Romanov soit accueilli officiellement dans l’ancienne capitale des Tsars devrait faire plaisir aux royalistes que nous sommes. En fait, pas vraiment…

D’abord, il y a l’agacement provoqué par cet attrait des médias (et d’une partie de la classe politique) pour les familles royales et impériales d’autres pays. Début novembre c’étaient les Romanov, un jour ou l’autre ce sera Otto de Habsbourg (qui a annulé récemment une « Heure de vérité » qui devait lui être consacrée) et nous avons presque chaque semaine notre dose monégasque. Mais après tout cet agacement est mineur et son origine tient moins à la logique des médias qu’à des présences trop discrètes en ce qui nous concerne. Un manque dans l’incarnation de la symbolique royale est tôt ou tard compensé de bric (Vladimir) et de broc (Otto), dans l’attente d’un mieux, ou du pire*.

Cet agacement léger est cependant justifié dans la mesure ou l’intérêt médiatique exploite le côté nostalgique et spectaculaire des « vieilles familles » ressurgies des décombres de l’Europe d’autrefois. Alors que nous aimerions des analyses et des reportages politiques sur Michel de Roumanie, Siméon de Bulgarie et Alexandre de Yougoslavie, on s’attendrit sur des figures passées, quasi-folkloriques. Otto de Habsbourg traîne derrière lui un air de valse viennoise, son nom fait ressurgir le visage de Sissi impératrice (la vraie, celle que nous avons aimée dans notre jeunesse : Romy Schneider) et Vladimir nous rappelle les grandes voix de l’opéra russe et les ors de la cour des Tsars. Dans le cas de la Russie, il suffit de pimenter les souvenirs par une dose de Pamiat (les excités en uniforme noir qui posent devant un portrait de Nicolas II) pour obtenir un cocktail présentable au journal de 20 heures.

Il y a plus grave. Dans leur nostalgie, les commentateurs mélangent les traditions, les symboles et les diverses formes d’organisation collective. Or la tradition royale n’est pas la tradition impériale, or un roi n’est pas la même chose qu’un empereur, or un empire n’obéit pas à la même logique qu’une nation. Dans l’histoire de l’Europe, on voit clairement que la tradition royale est infiniment plus respectueuse des droits de l’homme (droit à la sûreté) que la tradition impériale qui a maintenu jusqu’à l’époque moderne le servage sur ses territoires, et que la royauté s’est dégagée beaucoup plus tôt de la théocratie que l’empire.

Dès le Moyen-Age, le roi de France distingue nettement le spirituel et le temporel, alors que le mythe du Saint Empire romain germanique perdure jusqu’au XIXème siècle. Par voie de conséquence, le roi sacré (prêtant serment de justice et de paix avec la bénédiction de l’Eglise) n’est pas un roi sacralisé – considéré comme demi-dieu, confondant le pouvoir politique et le pouvoir ecclésiastique. Enfin, il importe de souligner que la logique nationale, tant monarchique que républicaine, est introvertie : elle privilégie l’organisation de la collectivité et, dans le cas français, la dynamique de l’intégration ; la tradition impériale, au contraire, tend vers la domination universelle et se montre généralement plus belliqueuse que les nations qui ont trouvé leurs limites. Il est donc permis de conclure que la tradition royale est le contraire de la tradition impériale.

Dernière remarque : le grand-duc Vladimir est accueilli, le jour anniversaire de la Révolution d’Octobre, dans une ville qui a retrouvé sa dénomination allemande (Saint-Pétersbourg), après s’être appelée Petrograd en 1914 puis Léningrad. Les Russes font ce qu’ils veulent avec leur passé. Mais le retour à la tradition (si tant est que ce retour ait lieu) ne peut signifier l’effacement de la mémoire. Qu’il soit heureux, héroïque, tragique ou terrible le passé est fait pour être délibérément assumé.

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* Cela dit sans mettre à aucun moment en cause la très grande dignité et à la respectabilité de ces deux princes.

Article publié dans le numéro 567 de « Royaliste » – 18 novembre 1991

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