Une femme, une rose à la main

Juin 3, 1991 | Res Publica

 

Au lendemain de la guerre du Golfe, j’avais souhaité que l’on change sans trop tarder de gouvernement. Voilà qui est fait. Nous ne sommes évidemment pas responsables du départ de Michel Rocard, et nous avons accueilli la nouvelle sans aucune joie, simplement comme une décision nécessaire, prise à rencontre d’un homme tout à fait respectable.

Pourquoi cette sévérité, et ce souhait de le voir partir ? Sans nier l’utilité de certaines réformes engagées par Matignon, notamment celles qui touchent à la redistribution du revenu national, nous avons marqué notre déception sur deux points essentiels :

– représentant de la gauche moderne, l’ancien Premier ministre a agi à contre-temps en pratiquant une politique gestionnaire, « modeste », alors qu’il fallait anticiper dès 1988 le « retour » de l’Etat sur la scène économique ; cette erreur d’appréciation a entraîné une confusion croissante entre la fonction gouvernementale et les tâches administratives, au mépris de toute raison politique ;

– sans cesser d’affirmer son souci de bien faire et sa loyauté à l’égard du chef de l’Etat, Michel Rocard a agi à contre-emploi ; nommé Premier ministre, il s’est très vite comporté en candidat à la présidence de la République et cette ambition compréhensible a prévalu sur sa fonction constitutionnelle et sur sa mission politique. Au lieu d’une politique déterminée, une gestion au plus près des sondages ; au lieu de la solidarité dans le pouvoir exécutif, une quasi-disparition du Premier ministre dans les moments difficiles…

ÉDITH CRESSON

Mais que penser du choix du président de la République ? Qui le connaît un peu sait que ses décisions politiques ne s’analysent pas en termes de « communication », comme voudraient nous le faire croire certains journalistes revenus de leur Idéalisme juvénile. Si François Mitterrand a nommé une femme, c’est qu’il l’a jugée politiquement capable. Ce faisant, il a comblé un retard considérable de notre pays en matière d’égalité puisque les dernières femmes gouvernantes l’ont été au temps de la monarchie capétienne, puisque l’Angleterre monarchique, mais aussi l’Inde et le Pakistan, nous ont précédé dans cette voie. Mais passons sur les bavardages médiatiques et sur la psychologie à l’emporte-pièce que nous a valu cette nomination : personnalité politique, Édith Cresson n’a pas à être appréciée selon les critères supposés de la féminité mais selon le service qu’elle rendra au pays.

Est-elle en mesure de le rendre effectivement ? Son expérience des affaires de l’Etat et les convictions qu’elle a maintes fois exprimées quant au projet Industriel national sont de bon augure : nous l’avons quant à nous chaleureusement approuvée lorsqu’elle a démissionné du ministère des Affaires européennes pour marquer son désaccord avec le laisser-faire de certains ministres. En outre, cette volonté politique est heureusement confortée par la situation personnelle d’Edith Cresson, qui a le double avantage de n’appartenir à aucun des courants socialistes et de ne pas briguer la Présidence. Cela signifie que nous aurons un Premier ministre, et que ce Premier ministre se consacrera exclusivement à sa tâche.

Saura-t-elle, pour autant, donner dynamisme et cohérence au nouveau gouvernement ? Sans que sa composition soit bouleversante, observons que le Premier ministre continue d’assurer la promotion de la nouvelle génération politique que j’évoquais il y a quinze Jours : Jean-Louis Bianco, Martine Aubry, Kofi Yamgnane… Elle a aussi très logiquement remercié l’aimable dilettante que fut Alain Decaux à la Francophonie et surtout Roger Fauroux, gestionnaire laxiste (et désobéissant !) du ministère de l’Industrie. Il reste à prouver que le Premier ministre peut imposer sa volonté à la toute-puissante administration des Finances, et réaliser une coopération équilibrée entre celle-ci et les ministères chargés des Affaires économiques. Le rôle prépondérant de Pierre Bérégovoy n’incite pas à l’optimisme.

CHOIX

C’est en revanche sans trop d’inquiétude qu’on peut envisager l’avenir de la politique d’ouverture : Jean-Pierre Soisson est devenu ministre d’Etat et cinq ministres de France unie participent au gouvernement, même si par ailleurs Michel Durafour et Thierry de Beaucé n’y figurent plus. Mais si leur amertume est compréhensible (on quitte rarement le pouvoir de gaieté de cœur) il faut tout de même souligner qu’on peut être dans la majorité présidentielle sans avoir de ministère ou de secrétariat d’Etat.

La déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre, le 22 mai, est venue confirmer la fermeté des intentions en des termes qui sont proches des nôtres lorsqu’ils concernent la cohésion sociale, la politique industrielle et l’ambition européenne de la France. Mais nous avons été trop souvent déçus, notamment dans le domaine économique, et nous avons trop directement mesuré les pesanteurs administratives et la puissance des diverses féodalités pour chanter louanges sur la foi d’un simple discours. Comme son prédécesseur, Edith Cresson ne sera pas jugée sur son « image », sur sa « communication » ou sur la courbe des sondages, mais sur l’idée de la politique qu’elle traduira dans le service du pays.

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Editorial du numéro 560 de « Royaliste » – 3 juin 1991

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