Une révolution dans nos imaginaires

Juil 1, 2023 | Res Publica

 

En étudiant les échecs de la Révolution française, Jean-Clément Martin bouscule les représentations d’un événement dont les contradictions demeurent déterminantes pour saisir notre identité collective.

Qu’on l’admire ou qu’on la déteste, la Révolution hante nos imaginaires collectifs et ce sont toujours les mêmes scènes qui reviennent, comme dans les rêves et les cauchemars. Les historiens militants peuvent alimenter la machine à fantasmes en nous livrant tantôt des pages sublimes, tantôt des récits horrifiques. D’autres, après des années de travail, s’efforcent de nous tirer de nos songes en nous montrant diverses facettes d’une réalité à jamais insaisissable dans sa totalité. Pour des raisons familiales qu’il expose et par tournure d’esprit, Jean-Clément Martin appartient à la catégorie de ceux qui travaillent dans l’incertitude et bousculent les idées reçues, sans chercher la provocation, par un savant mélange de prudence méthodique et d’audace dans le questionnement.

La Révolution rêvée comme un trait de feu dans la nuit absolutiste bute sur l’idée que les acteurs de 1789 se font de leurs actions et sur l’évolution du concept de révolution. Au XVIIe siècle la révolution anglaise est, au sens premier, astronomique, le retour à la monarchie après la dictature de Cromwell. En France, un siècle plus tard, ceux que nous appelons les premiers révolutionnaires se désignent comme « patriotes » en lutte contre les « aristocrates ». Ces derniers sont ensuite dénoncés comme « contre-révolutionnaires » par ceux qui vont dès lors se considérer comme des révolutionnaires.

Quand la Révolution en vient à se regarder comme un bouleversement radical, elle prétend s’accomplir au nom d’un peuple qu’elle n’a jamais su définir. L’identité du peuple se construit selon une classique logique d’exclusion publique – celle des contre-révolutionnaires, des Brigands de la Vendée, des adversaires du groupe qui exerce la réalité du pouvoir… Pire, cette identité récuse le rôle des femmes et refuse aux colonisés les droits hautement proclamés le 26 août 1789. C’est dire que l’égalité en droits ne s’observe pas dans la société. Même la volonté d’éradiquer la noblesse doit être fortement mise en doute. La noblesse militaire d’Ancien régime joue un rôle majeur dans les guerres de la Révolution, c’est un petit noble, Maximilien de Robespierre, qui incarne au plus haut point la vertu révolutionnaire et c’est un autre petit noble, corse celui-là, qui met un terme aux désordres thermidoriens.

Nul relativisme dans ces analyses qui paraîtront iconoclastes à la gauche mais qui sont irrécupérables par les tenants de la contre-révolution. La Révolution a bien eu lieu et elle s’est pleinement accomplie lors du coup d’Etat du 10 août 1792 qui fait advenir une première République qui ne parvient pas à instituer les principes dont elle se réclame. Mais ces principes seront générateurs de droits tangibles et l’Etat sort renforcé des tragédies qui marquent la Révolution entre 1789 et 1799.

Jean-Clément Martin nous incite à toujours repenser la dialectique de la révolution instituante et de la révolution instituée dans une République soucieuse de reprendre le contrôle d’une violence qui suit son cours avec Thermidor jusqu’au coup de force bonapartiste. Il faut, encore et toujours, révolutionner la Révolution française.

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(1) Jean-Clément Martin, Penser les échecs de la Révolution française, Tallandier, octobre 2022.

Article publié dans le numéro 1260 de « Royaliste » – 1er juillet 2023

 

 

 

 

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