Le plan proposé par Donald Trump le 29 septembre dernier présente l’originalité d’insérer le retour immédiat des otages israéliens en échange de la libération de prisonniers palestiniens, thème récurrent depuis le lendemain du massacre du 7 octobre 2023, comme une première phase d’une feuille de route globale à moyen terme – non précisé – qui met sur pied un statut spécial pour la reconstruction et la gouvernance de la Bande de Gaza. Considérant que l’Autorité palestinienne n’était pas prête à prendre en charge la Bande de Gaza et « en attendant qu’elle ait terminé son programme de réformes », sans calendrier, il est prévu une « Autorité de transition temporaire » chapeautée par un « conseil international de la paix » (en anglais Board, comme un conseil d’administration de société) présidé par un PDG (CEO en anglais) qui ne serait autre que Donald Trump, avec un directeur exécutif (Executive Manager) en la personne de l’ancien premier ministre britannique (1997-2007), Sir Tony Blair.
Ce plan avait été soumis confidentiellement aux pays du Golfe et à l’Egypte par Tony Blair en personne à la suite d’une réunion de cadrage à Washington le 27 août avec Jared Kushner, gendre de Donald Trump, déjà auteur d’un plan pour la Palestine durant le premier mandat de celui-ci. Le plan a été validé lors du passage de Donald Trump à l’Assemblée générale des Nations Unies le 23 septembre en présence des dirigeants arabes, à commencer par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman. La veille pourtant, l’Assemblée générale avait abrité une « conférence internationale de haut niveau pour le règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux Etats » qui marquait l’aboutissement de l’initiative franco-saoudienne débattue le 28 juillet (1) puis adoptée par un vote de l’Assemblée générale le 12 septembre (142 voix contre 12 et 10 abstentions). L’approche volontairement multilatérale dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU, autour de huit groupes de travail associant une dizaine de pays à travers le monde, chapeautés par des personnalités dont un prix Nobel de la paix (l’ancien président colombien Juan Manuel Santos), contraste en tous points avec la méthode trumpienne d’élaboration d’un plan par des cabinets de conseil avec sans doute un recours à l’intelligence artificielle. Le plan franco-saoudien organisait un Etat de Palestine issu de l’actuelle Autorité profondément rénovée ; le plan Trump ne l’exclut pas formellement pour ne pas choquer les partenaires arabes mais le renvoie à un futur hypothétique. Il comble un vide. Les soutiens respectifs peuvent ainsi combiner les deux approches non sans une bonne dose d’hypocrisie et, faut-il craindre, d’inertie.
En bonne logique internationale, le processus propre à la Bande de Gaza aurait dû aussi être piloté par l’ONU qui dispose d’un comité des tutelles sur les territoires « non-autonomes » et qui peut aisément constituer une force de maintien de la paix (« Casques bleus »). Or il n’est pas prévu que le plan américain soit soumis à l’ONU, ce qui lui conférerait pourtant la légitimité politique internationale nécessaire notamment pour l’habilitation d’une force dite, dans le plan, de « stabilisation » qui assurerait la sécurité dans l’enclave dès la remise des otages. Le plan se revendique « apolitique et technocratique » car il repose sur une tout autre légitimité qui est mercantile. La mission de l’Autorité de transition sera en effet d’ordre principalement économique : « définir le cadre et gérer le financement de la reconstruction de Gaza », objectif qui avait déjà fait l’objet d’un plan de la Ligue arabe porté par l’Egypte et l’Arabie saoudite. Le plan américain évoque deux points n°10 et 11, l’un un plan de développement sur le modèle des villes modernes du Moyen-Orient (sur l’exemple de Dubai), l’autre la création d’une « zone économique spéciale avec des droits de douane préférentiels », manie trumpienne.
L’annonce du plan a fait l’effet d’une pochette surprise avec un lapin (Tony Blair quoique hier plutôt décrit sous l’aspect d’un caniche (poodle) du président George W. Bush qu’il avait suivi contre son opinion publique et le Parlement dans l’aventure irakienne en 2003) sorti du chapeau du magicien Donald Trump. Or son inspiration vient de loin, avant même le 7 octobre 2023. Après avoir quitté le 10 Downing street en 2017, Tony Blair avait reçu la mission de présider un « quartet » (Etats-Unis, ONU, Union européenne et Russie) sensé initier de nouvelles négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens. Parfaitement inefficace, il a servi à l’ex-premier ministre pour se familiariser avec tous les acteurs. En 2015, il a quitté ce poste (devenu sans objet) pour se consacrer entièrement au « conseil » lucratif auprès des pays du Golfe notamment, à travers son « institut Tony Blair pour le changement global » (TBI). Avec son ami, Jared Kushner, gendre de Donald Trump, dès 2019, il fut l’un des facilitateurs des accords d’Abraham. TBI bénéficia alors de généreux donateurs qui lui permirent de décupler son activité (900 employés dans 45 pays). Or le principal de ces mécènes se révèle être le peu connu milliardaire américain Larry Ellison, 81 ans, seconde fortune des Etats-Unis après Elon Musk, dont la société de logiciels et de services de bases de données Oracle (créée dans la Silicon Valley, désormais basée au Texas) a récemment investi massivement dans l’intelligence artificielle et dont TBI était devenu le vecteur auprès des gouvernements du Golfe, en Afrique, mais aussi au Royaume-Uni depuis l’arrivée au pouvoir de Keir Starmer qui s’inscrit dans sa filiation tout en s’en défendant.
Tony Blair avait signé un élogieux portrait de cet éminent fleuron de la tech industrie, sélectionné par l’hebdomadaire américain Time le 17 avril 2024 parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde. Larry Ellison est l’un des deux plus importants donateurs et investisseurs américains en Israël (avec la famille Adelson). Il est notamment au Conseil d’administration du fonds de soutien aux forces de défense israéliennes (FIDF) le plus gros bénéficiaire de dons depuis le 7 octobre 2023. Il est évidemment intime du premier ministre Bibi Netanyahou qu’il a accueilli dans son île privée à Hawaï. Par une heureuse coïncidence, Donald Trump a par décret le 25 septembre donné son feu vert au transfert de 45% des parts de Tik Tok pour 14 milliards de dollars à un consortium dominé par la société Oracle. Dès le 21 septembre, l’annonce avait fuité révélant l’impensé de ce soi-disant bras de fer avec la Chine comme étant en réalité une volonté de prise de contrôle israélienne, relayée par le Congrès américain, qui se traduirait immédiatement par la censure des contenus anti-israéliens devenus viraux sur ce média si populaire dans la jeunesse.
La presse britannique avait évoqué l’expérience de Tony Blair en tant que parrain des accords dits du vendredi saint en Irlande du Nord (1998). Elle y voit sa patte chrétienne moralisante dans le point 18 du plan Trump qui stipule « un processus de dialogue interreligieux » afin de « tenter de changer les mentalités des Palestiniens et des Israéliens ». Terroristes pour terroristes, les brigades des martyrs d’Al-Aqsa ne sont sans doute pas de la même facture que les militants de l’IRA (Irish Republican Army). Quoique ? Les lecteurs de son dernier ouvrage « Votre leadership » opportunément publié en traduction française le 3 septembre par les éditions Fayard (il était sorti il y a un an en anglais) verront que le modèle de gouvernement qu’il privilégie s’inspire plutôt de son expérience des Emirats arabes unis (EAU). On l’y voit plaider à cette aune pour une forme de collaboration public-privé, la fin de la « séparation » entre l’Etat et le marché, dans la continuité certes du « blairisme » mais plus en phase aujourd’hui avec la vision globale et futuriste de ses amis de la « tech » américano-israélienne. S’ils réussissent à transformer Gaza en nouveau Dubaï…
Yves LA MARCK
(1) Voir sur ce blog « la Palestine à l’échéance », 9 août 2025
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