Comment se fait-il que les médias, actuellement très attentifs au moindre « foulard islamique » et très diserts sur la religion musulmane, aient accordé si peu de place au discours que le roi Mohammed VI a prononcé le 10 octobre devant les parlementaires marocains ? Nous fûmes seulement informés, avec une grande économie de mots et d’images, que se préparait là-bas une réforme du code de la famille favorable aux femmes.
C’est trop peu dire. La lecture du texte intégral montre que cette réforme s’inscrit dans un processus général de « consolidation de la démocratie ». Le roi du Maroc souhaite que la quête par trop intéressée des mandats électifs (la « démocratie des sièges »)soit transcendée par le développement de la citoyenneté et le progrès social. Ce qui implique une « réhabilitation de la démocratie locale », des mesures concrètes pour l’amélioration de l’habitat et de l’enseignement, la création d’emplois par l’investissement productif – et cette réforme du code de la Famille dont nous avons eu le faible écho. Quant à celle-ci, il est clair que le roi ne sacrifie pas à une mode, ni ne cède aux injonctions des féministes américaines ou parisiennes.
Dans son principe, la transformation exposée le 10 octobre s’inscrit dans un projet politique global et cohérent : pas de citoyenneté marocaine sans « une large participation de la femme aux institutions » qui resterait fictive si elle continuait de subir l’injustice et la violence. Cette logique politique est fondée par le roi, commandeur des Croyants, sur la parole prophétique que Mohammed VI a rappelée aux députés et à la nation : « les femmes sont égales aux hommes au regard de la loi ».
Il s’agit donc de rompre la coutume « archaïque » et d’assurer désormais le règne de la loi sur des points que je ne peux tous énumérer : égalité de l’homme et de la femme quant à l’âge du mariage, fixé à 18 ans ; restrictions sévères appliquées à la polygamie qui est soumise à l’autorisation du juge s’assurant que les deux épouses et leurs enfants seront traitées sur un pied d’égalité ; possibilité pour la femme qui se marie de refuser que son époux puisse prendre une seconde femme ; dans le silence du contrat de mariage, nécessité d’obtenir le consentement de la première épouse au choix d’une seconde femme, et l’accord de cette dernière ; égalité de droits du mari et de la femme en cas de divorce, ce qui proscrit toute répudiation verbale…
N’ayant pas compétence pour commenter cette réforme, j’ai accumulé les citations pour que chacun soit en mesure d’apprécier l’importance de la transformation sociale et de la mutation de la condition féminine qui ne doit rien à la modernité individualiste puisque le roi a pour souci d’équilibrer la vie familiale dans le respect des droits de la femme, de la protection de l’enfant et de la dignité de l’homme.
Voilà qui ébranle fortement les préjugés courants sur l’islam, qui serait fondamentalement intégriste, fixiste et fataliste : au Maroc, l’Etat est un formidable agent de transformation sociale comme il le fut dans la Turquie kémaliste – mais avec des moyens violents – ou dans la Tunisie de Bourguiba. L’Etat modeste et la gouvernance de proximité apparaissent au contraire, à l’expérience, comme des facteurs de régression économique et sociale et de rétrécissement de la vie démocratique.
Voilà qui devrait troubler ceux qui continuent obstinément à dénoncer le caractère naturellement réactionnaire de toute monarchie – quelle que soit la religion du roi qui l’incarne. Nous avons montré que la monarchie jordanienne s’opposait, tout autant que l’ancienne monarchie française, au code traditionnel de l’honneur. Le roi Leka m’a rappelé que son père avait arrêté la mécanique coutumière de la vendetta albanaise. Et Zaher Chah représente le seul régime démocratique et modernisateur que l’Afghanistan ait connu.
Nous n’avons jamais prétendu que la monarchie royale avait le monopole de la mutation heureuse ou du moins réussie. Mais ce régime politique paraît fort utile en de nombreux cas pour faire prévaloir, contre les contrats léonins et les coutumes meurtrières, le règne de la loi.
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(1) Les mots entre guillemets sont tirés du discours royal.
Editorial du numéro 824 – 2003
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