Une tribune du comte de Paris (1982)

Juil 1, 1982 | Res Publica

Un Prince n’est pas le symbole d’un passé révolu, ni un homme politique parmi d’autres : par tradition, par situation, il porte témoignage de l’unité possible, demeure présent comme recours pour la nation tout entière, par-delà les partis et les intérêts qui s’opposent. C’est dire que l’article publié par le comte de Paris dans « Le Monde » n’intéresse pas les seuls royalistes, mais l’ensemble des Français : quels que soient leurs engagements, comment ne seraient-ils pas sensibles à ce regard porté sur la société par un homme libre de toute attache de classe et de parti ? Situation unique, inimitable, qui permet au Prince de dire la France mieux que tout autre, en se préparant à l’exprimer si les Français y consentent.

Mais cette pleine liberté n’est pas d’indifférence, elle ne conduit pas le Prince à une attitude de neutralité politique perpétuelle. Le comte de Paris n’a cessé, tout au long de sa vie, d’indiquer des directions, de former des projets, de faire des choix selon sa vocation d’arbitre et dans le souci de l’unité qui lui est propre. Aussi le comte de Paris se garde-t-il d’intervenir dans les conflits électoraux, qui portent en eux la division et l’exclusion, pour mieux exprimer son jugement sur les projets qui concernent l’ensemble des Français – notamment ceux qu’avait formé et réalisé le général de Gaulle.

Ce libre jugement ne peut être confondu avec une quelconque « prise de position » ou de parti, selon les clivages habituels de notre vie politique. Ce n’est pas parce que le comte de Paris s’était déclaré favorable à la politique gaullienne qu’il pouvait être rangé dans le gaullisme partisan ; ce n’est pas parce que le Prince se montre aujourd’hui favorable aux orientations générales de l’actuel Président de la République qu’il peut être tenu pour « socialiste ». Ranger le comte de Paris dans un camp serait ne rien comprendre au principe qu’il incarne. D’ailleurs, l’article du « Monde » montre clairement que c’est le souci de l’unité qui inspire les réflexions du Prince, et non la préférence pour un parti.

C’est bien ce souci de l’unité qui inspire son analyse des institutions de la 5ème République, fondée sur l’idée de légitimité et dans l’intention de réconcilier la tradition monarchique et la tradition républicaine. Et c’est en fonction de cette unité, dont la 5ème République posait partiellement les conditions, que le comte de Paris critique la déviation pratique qui fait à nouveau de l’Etat l’enjeu de la lutte entre les partis.

On comprend dès lors que le Prince ait choisi l’abstention le 10 mai 1982, tout en marquant sa défiance à l’égard des partisans du statu quo : il s’agissait alors de préserver l’idée d’unité, de rappeler l’essentiel de cette tradition gaullienne qui est, fondamentalement, une tradition capétienne. Mais cette distance n’a pas empêché le comte de Paris de comprendre les raisons profondes de la décision d’une majorité de Français. Au contraire, il a fort bien discerné que, au-delà des questions de programme, cette majorité, pas seulement électorale, ressentait « le besoin de retrouver ses racines, de renouer les liens sociaux qu’une certaine logique économique a distendus ou cassés. » C’est en ce sens que le vote du 10 mai manifesta une espérance et que, dans cette nuit étonnante, les Français exprimèrent plus un sentiment de délivrance que de triomphe partisan. Percevant la profondeur de ce mouvement, le Prince n’en oublie pas pour autant ceux qui éprouvent depuis des craintes et de l’amertume : réaction inévitable puisque « personne n’est en mesure de régler l’alternance », d’incarner « la permanence qui assurerait les uns en rassurant les autres ».

C’est encore le souci de l’unité qui guide le Prince dans son analyse de l’action présidentielle, positive dans sa volonté d’arbitrage, dans son effort de redressement économique – même s’il n’est pas encore évident – et de réformes structurelles qui seront utiles si elles sont effectivement mises au service de la nation et non des féodalités partisanes ou administratives. Mais il y aurait de la mauvaise foi à voir dans cette approbation nuancée un « ralliement » opportuniste au Président de la République ou au parti socialiste. Même si M. Mitterrand « n’a pas commis de faute majeure », même si le changement est nécessaire, le projet politique actuel se heurte déjà à des limites qui tiennent aux conditions du dialogue politique et social et qui rendent insuffisantes les réformes en cours. Le comte de Paris montre en effet que, dans un système où personne ne préside à l’alternance, le dialogue politique fait place à l’affrontement, surtout lorsque trop d’intérêts privés se sentent menacés. De même, le dialogue social se perd dans le choc des égoïsmes corporatifs et « le bien commun n’est plus désiré ni perçu ». Il ne faut pas voir dans cette analyse une condamnation de tel ou tel groupe social, mais le constat inquiet de l’éclatement de la société française, du déchirement du tissu social que le Prince soulignait déjà il y a quelques années, et dont le corporatisme n’est que la conséquence.

D’où la nécessité primordiale de reconstituer ce lien social, grâce à un Etat incarnant la « magistrature de l’unité » et sa légitimité populaire, et par un immense effort d’invention. « Inventer un nouveau mode de participation aux décisions, inventer de nouvelles manières de vivre ensemble », dit le Prince, qui entend ainsi poser les conditions d’une nouvelle existence commune, d’un nouveau projet pour la France – tant il est vrai que notre pays ne saurait vivre sans la participation des citoyens, sans un dialogue constant entre le peuple et le pouvoir. Si un peuple devenu absent à lui-même n’était plus en mesure de comprendre et de participer à un projet commun, celui-ci n’aurait plus grand sens, ni aucun fondement.

Tel est l’enjeu, qui est capital. Par sa libre réflexion, par les propositions qu’il se réserve de faire, le comte de Paris demeure étroitement lié au destin de la nation. La permanence du projet qu’il incarne, dans le souci constant de l’unité, représente, pour notre peuple confronté à des épreuves qui mettent en péril son existence même, un signe d’espérance.

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Editorial du numéro 363 de « Royaliste » – 1er juillet 1982

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