Vichy : Mensonges par omission

Nov 11, 2009 | La guerre, la Résistance et la Déportation

Le soixante dixième anniversaire du début de la seconde guerre mondiale provoque la publication de maints livres et articles. Curieusement, « Le Point » saute l’année 1939 et publie sous un titre choc un semblant de dossier qui accable « la France » des quatre années d’occupation. L’entreprise qui vise à salir la France et à insulter le peuple français n’est pas nouvelle. Nous devons systématiquement nous y opposer.

La France coupable, les Français abjects, tant ils furent attentistes, soumis, complices des pires exactions pendant les années de l’Occupation… Cela fait des décennies qu’on enfonce ces clous, par le biais du cinéma, de la littérature historique et d’articles sensationnels qui révèlent enfin les vérités cachées du vichysme, de la Collaboration, des conflits et des trahisons au sein de la Résistance. « On » ? C’est Bernard-Henry Lévy qui a donné dans « L’idéologie française » l’argumentation reprise par divers plumitifs qui veulent nous faire part de leur lucidité, de leur courage, de leur inflexible détermination dans la lutte contre les pétainistes, les racistes, les nazis.

Dans son numéro du 1er octobre, « Le Point» s’offre à l’admiration de ses lecteurs en leur révélant l’atroce vérité que le général de Gaulle aurait tenté d’effacer : les Français ont vénéré le maréchal Pétain ! Cela va même plus loin si l’on en croit la couverture du magazine : « Quand la France aimait Pétain ». La France, vraiment ? Pour reconnaître le bien fondé de cette accusation, il faudrait un dossier solidement étayé. « Le Point» ne publie que des vérités partielles qui tissent une kyrielle de mensonges par omission (1).

Les vérités partielles sont archiconnues : le discours sur l’esprit de jouissance, la proclamation de Mgr Gerlier (« Pétain, c’est la France… »), les niaiseries de la propagande maréchaliste, le culte populaire, l’ode de Paul Claudel. Mis bout à bout dans un article signé François-Guillaume Lorrain, repris sur le mode réflexif par un écrivain nommé Marc Lambron, censé faire autorité sur la période, la thématique d’une France vautrée dans le renoncement a de quoi impressionner les jeunes gens inattentifs à leurs cours d’histoire – et les moins jeunes qui les ont oubliés. Il faut donc dénoncer le mauvais procès dont « Le Point» se rend coupable.

Les mensonges par omission sont faciles à déceler. L’article de François-Guillaume Lorrain ne contient pas plus de révélations que les bonnes feuilles du livre d’Eric Roussel sur « le naufrage » du 16 juin 1940. On ne peut juger les réactions de la majorité des Français, dans les mois qui suivirent l’armistice, sans faire la moindre allusion à l’immense désastre qu’ils venaient de vivre : la défaite rapide de l’armée qui avait remporté l’éclatante victoire de 1918, le démembrement de la France et l’occupation d’une partie du pays. Les Français sont écrasés par le malheur collectif, beaucoup sont perdus sur les routes de l’exode, dans de nombreuses familles on pleure un mari, un fils, un frère – car les soldats français se sont magnifiquement battus – et le gouvernement a fui Paris.

Dans cet effondrement général, il est normal que le peuple français cherche à retrouver du lien social et politique, autrement dit une symbolique de l’ordre et de l’autorité capable de l’arracher à cette situation épouvantable. Il est malhonnête de juger les pétainistes de 1940 comme s’ils connaissaient la suite de l’histoire : à ce moment là, pour la plupart des Français, un maréchal de France, vainqueur de Verdun, ne peut trahir son pays. Au contraire, ce militaire leur apparaît comme un protecteur, et la légende du « bouclier » aura la vie dure : cela explique que certains Résistants furent maréchalistes dans les premiers temps. François Mauriac, Maurice Clavel et bien d’autres s’y laissèrent prendre. Comment ignorer ceux qui, à Vichy même, pensaient en 1940 que le vieux maréchal serait le chef des armées de la revanche ?

Une autre donnée essentielle est omise par les inquisiteurs du « Point» : la haine de l’envahisseur. De nos jours, il est de bon ton d’évoquer seulement la lutte contre les nazis. Le troupier allemand et le fanatique de la SS sont alors confondus dans un même mot, bien peu convenable : le Boche. Hormis la minorité collaborationniste et une poignée d’esthètes, c’est la haine du Boche, muette ou exprimée, qui anime les Français.

C’est cette haine des Allemands qui provoque un divorce progressif et croissant entre Pétain et les Français (1) : Montoire et la création du STO sont les signes évidents d’une trahison aux multiples aspects. Tout au long des années de guerre, la quasi-totalité des Français demeura farouchement patriote. Mais il fallait une intelligence politique très déliée et un immense courage pour entrer en résistance, dès juin 1940, à la fois contre les Allemands et contre le régime de Vichy. Cet engagement immédiat est évoqué en une seule ligne par François-Guillaume Lorrain qui nous informe que les résistants de la première heure [furent] plus solitaires il est vrai que ceux de la dernière heure ». Le rappel de cette évidence, dans une intention malveillante, laisse de côté deux considérations pratiques :

– il était très difficile d’entrer dans la lutte contre l’Occupant et Vichy, parce qu’on ne savait pas comment prendre contact avec ces civils nécessairement méfiants, souvent dépourvus d’expérience militante, qui étaient en train d’inventer ce mouvement patriotique complet (philosophique et moral, politique et militaire, interclassiste, nourri d’idéologies multiples et contradictoires…) qui s’appelle la Résistance.

– si la Résistance était restée l’œuvre des purs de Juin 1940, elle n’aurait joué aucun rôle dans la libération de la patrie. Il a fallu qu’elle intègre peu à peu les individus et les groupes qui ont permis que la France se libère en partie par elle-même. Les inquisiteurs du « Point » dénoncent les ralliements plus ou moins tardifs de Maurice Clavel, de Maurice Couve de Murville, d’André Malraux et font semblant d’ignorer que François Mitterrand risquait la torture et le camp de concentration pendant que de nombreuses gloires de l’après-guerre attendaient dans leurs pantoufles la fin des hostilités. En matière de ralliements, de trahisons et d’attentisme, ce ne sont pas les chroniqueurs du « Point » (non, pas même Bernard-Henri Lévy) qui sont les meilleurs juges mais le chef de la France libre. Le Général a reçu François Mitterrand à Alger (ça s’est mal passé mais ce visiteur indocile n’a pas été fusillé !) et a reconnu parmi ses compagnons Malraux, Clavel et Couve de Murville. Quant aux mérites des divers groupes, c’est une question qui regarde les anciens de la France libre et de l’Armée des ombres. Les résistants de 2009 feraient bien de ne pas s’en mêler.

En guise de conclusion, je voudrais adresser des messages personnels aux trois responsables de cette ignoble campagne contre la France et le peuple français.

Monsieur Claude Imbert, directeur du « Point », je ne doute pas que vous auriez immédiatement choisi de risquer votre réputation, votre liberté et votre vie si vous aviez eu l’âge de prendre les armes en 1940 – vous qui nous éblouissez chaque semaine par la radicalité de vos engagements et l’audace des défis que vous ne cessez de lancer aux puissants du jour.

Monsieur François-Guillaume Lorrain, il ne faut pas confondre enquête historique et compilation bâclée. Un petit effort de documentation vous aurait évité d’écrire que Pétain était « très proche des milieux d’Action française » et par conséquent antisémite…à la manière de Giraudoux. Dans un ouvrage de référence, François-Marin Fleutot (1) souligne le républicanisme du maréchal Pétain, présenté comme un recours face aux ligues de droite, ministre de la Guerre dans le gouvernement Doumergue (9 février – 8 novembre 1934) et nommé ambassadeur de France en Espagne le 2 mars 1939.

Monsieur Marc Lambron, vous avez le culot de vous moquer de deux grandes figures de la France combattante, présentée comme les nettoyeurs du linge sale de l’Occupation : « Avec les discours de Malraux comme Fly-Tox et les coups de jugulaire du héros Pierre Messmer en ministre des Armées, les années 60 lavèrent plus blanc ». Ceci sous l’égide du Général, qui aurait ordonné l’amnésie nationale. C’est faux ! En 1967, la télévision française « aux ordres du pouvoir gaulliste » comme on disait à l’époque dans l’opposition, a diffusé à une heure de grande écoute « Le temps des doryphores », un montage des actualités tournées sous le contrôle de Vichy et diffusées dans les salles de cinéma : on y voit des foules en extase, des traîtres en activité, des expositions antisémites. Dans les années soixante, si j’ai bonne mémoire, les polémiques étaient toujours vives sur les impostures et les trahisons des vichyssois, le thème de « l’attentisme » de la majorité des Français était largement répandu et les images d’une foule qui acclame Pétain à Paris en 1944 et d’une autre foule qui acclame De Gaulle sur la même place de l’Hôtel de Ville traînaient partout. On disait déjà que c’étaient les mêmes parisiens et on ricanait sans produire la moindre preuve, comme aujourd’hui François-Guillaume Lorrain. C’est la gauche socialiste et radicale qui a amnistié discrètement les siens et qui a organisé l’amnésie en faveur de ses très nombreux militants qui basculèrent dans la Collaboration (2)…

Cherchant à savoir qui vous êtes, Monsieur Marc Lambron, je suis tombé sur un article évoquant votre vie confortable dans votre bel appartement parisien. Je me réjouis de ce bonheur mais n’oubliez pas que vous le devez, entre autres, aux héros à jugulaire de Bir Hakim et à l’homme qui commanda la Brigade Alsace-Lorraine.

***

(1) Dans ses admirables mémoires, Daniel Cordier raconte que la librairie lyonnaise qui abritait le service de propagande pétainiste était en août 1942 « un lieu désert, à l’exception des vendeuses » alors que la librairie Flammarion était « bondée en permanence » ; cf. Alias Caracalla, Gallimard 2009, p. 410. Pour des analyses complètes sur l’attitude des Français pendant la guerre, cf. le Dictionnaire historique de la Résistance, sous la direction de François Marcot, Robert Laffont, « Bouquins », 2006.

2) Cf. François-Marin Fleutot, Des royalistes dans la Résistance, Flammarion, 2000. Voir mon compte-rendu dans « Royaliste » n° 747

(3) Cf. Simon Epstein, Le paradoxe français, Albin Michel, 2008 et notre entretien avec l’auteur dans le numéro 936 de  Royaliste ».

 

Article publié dans le numéro 955 de Royaliste – 2009

Partagez

0 commentaires