Nouveau Père la Rigueur, Michel Barnier s’efforce de piloter l’esquif gouvernemental durement chahuté par divers groupes parlementaires. Fabriquée en 1979, reformatée en 1983, sa boussole lui indique le chemin de l’échec, soigneusement balisé par Bruxelles et par les marchés financiers.
Une fois de plus, le char de l’Etat navigue sur un volcan. La célèbre métaphore pouvait inspirer au XIXe siècle un tableau allégorique assez simple. Les progrès de la navigation et la complexification de la vie politique nous incitent à proclamer aujourd’hui que le char de l’Etat – ce qu’il en reste – navigue sur trois volcans. Ceci grâce au “en même temps” macronien. Il y a le volcan parlementaire, avec ses tempêtes (mais oui…). Il y a le volcan bruxellois, prêt à cracher ses flammes procédurières pour cause de déficit excessif. Il y a le massif volcanique formé par les agences de notation, les marchés financiers, la BCE et le FMI qui vomissent de leurs entrailles le décapant message transcrit en lettres de feu par Nicolas Baverez dans les colonnes du Figaro : “la transformation ou la mise en tutelle”. On sait ce que signifie la tutelle : le pays passé à la paille de fer sur le modèle grec.
Nous devrions nous incliner devant la pragmatique raison financière et appliquer sans attendre les recettes austéritaires. Il faut au contraire y voir un acharnement compulsif inspiré par la logique des Shadoks, illustrée par l’aphorisme ainsi formulé : En essayant continuellement, on finit par réussir… Donc plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. Le néolibéralisme a d’ailleurs raffiné le processus : En utilisant des théories démenties par l’expérience (libre-échange, déréglementation), fabriquons les maux que nous déplorons (déficit, endettement) et traitons-les par les méthodes qui ont déjà échoué… en espérant que ça finira par réussir.
De fait, le budget actuel, qui est un héritage de quarante ans de néolibéralisme, est logiquement déficitaire pour trois raisons déjà exposées (cf. l’éditorial du numéro 1284) et qu’on peut résumer ainsi :
Soutien massif de l’Etat aux agents privés trop mal rémunérés, afin de désamorcer les conflits ;
Soutien massif de l’Etat aux entreprises privées pour compenser les effets négatifs du libre-échange et de l’euro ;
Soutien aux plus riches par solidarité de classe et par peur de l’effondrement total du système financier, effectivement fragile. Mieux vaut une série d’injustices qui créent des désordres réparables par quelques compensations financières (assorties de coups de matraque pour les récalcitrants) que la catastrophe mondiale surgissant du système que nous avons créé : telle est la pensée profonde de l’oligarchie.
Pour comprendre la situation budgétaire présente, il suffit d’appliquer la logique du professeur Shadoko. Nous savons que le premier plan d’austérité de la période néolibérale – le plan Barre de 1979 – a été un échec : augmentation du chômage, forte augmentation du déficit de l’Etat. Nous nous souvenons aussi que le tournant de la rigueur de 1983 a provoqué une forte montée des inégalités sans que l’objectif de compétitivité soit atteint (1). L’obsession austéritaire des quarante années qui suivirent illustre cet autre aphorisme cher aux Shadoks : Plus ils oubliaient, plus ça signifiait que leur culture était raffinée.
C’est donc sans surprise que nous avons été avertis des effets du nouveau tournant de la rigueur à l’orée de la discussion budgétaire. Rapporteur général du budget, Charles de Courson a prévenu que “le plan Barnier risque d’avoir un effet dépressif fort sur l’économie”, avec une baisse d’un demi-point de croissance. Comme la croissance prévue pour 2025 n’est que de 1,1%, elle serait donc réduite de moitié. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) fait la même analyse et publie la même conclusion. Mais le Premier ministre est resté de marbre en vertu d’un troisième aphorisme martelé par les Shadoks : Il vaut mieux pomper et qu’il ne se passe rien plutôt que de ne pas pomper et risquer qu’il se passe quelque chose de pire. “Pomper” signifie en l’occurrence qu’il faut regonfler sans cesse le canot pneumatique naguère appelé “char de l’Etat” pour qu’il ne fasse pas capoter le gouvernement. Le problème, c’est que l’homme qui manie la pompe à phynances est dans un équilibre instable en raison des manœuvres partisanes et des pressions dont la presse financière se fait l’écho.
D’où un débat technique, arrosé d’une pluie d’amendements qui précèdent d’autres discussions tout aussi ardues au Sénat. Pour ne pas s’y perdre, une méthode très simple :
Plaçons d’un côté de la balance les dépenses à engager dans les prochaines années pour garantir l’existence de la France et pour offrir des conditions d’existence décentes à ses citoyens de métropole et d’Outre-Mer dans les domaines essentiels de la Défense nationale, de la Protection sociale, des aménagements à entreprendre face au réchauffement climatique, de l’Éducation, de la construction, de l’équipement…
Plaçons de l’autre côté de la balance les discussions sur les jours de carence, la taxe sur l’électricité, le deuxième “jour de solidarité”, menées dans le cadre d’un plan d’économies qui va nous conduire au bord de la récession.
Rapide ou détaillée, la comparaison sera identique : le budget n’est ni de droite, ni de gauche, il est hors-sol.
***
1/ Voir l’article de Frédéric Farah sur le site de Marianne (29 octobre).
Article publié dans le numéro 1278 de « Royaliste » – 1er novembre 2024
0 commentaires