Le Front national a bâti sa propagande xénophobe sur le traumatisme algérien et les porte-paroles de la droite radicale veulent prendre leur revanche sur les nationalistes algériens, par le nettoyage ethnique du territoire français. A la faveur des attentats islamistes, peuvent-ils parvenir à leurs fins ?

Le 7 janvier 1957, le général Massu et ses parachutistes entamaient la bataille d’Alger. Soixante ans plus tard, l’armée française est déployée sur le territoire national et la droite radicale cultive l’analogie. Le 12 septembre 2016, Eric Zemmour déclarait que « nous sommes dans la revanche de la guerre d’Algérie ». Divers extrémistes de moindre envergure cultivent ce thème lancé après 1962 par Dominique Venner et les inventeurs de la Nouvelle droite – mais surtout par l’hebdomadaire Minute qui joua un rôle majeur dans la diffusion d’une propagande xénophobe fondée sur le ressentiment des vaincus de l’Algérie française. Le Front national a repris cette campagne contre les immigrés réduits aux Algériens avant de lui donner à la faveur des événements une tournure antimusulmane. Divers entrepreneurs en guerre civile diffusent les thèmes de la subversion et de la submersion, qui trouvent un large écho dans le public frontiste.

Les revanchards invoquent l’offensive djihadiste, pour l’essentiel arabo-musulmane, et le fait que treize terroristes ayant commis des attentats sur le territoire national entre 2012 et 2016 sont de nationalité ou d’origine algérienne et ont été parfois nourris de sentiments anti-français. Ces vérités ne permettent pas de décrire la situation présente comme une reprise ou une réplique de la guerre d’Algérie, qui fut à la fois une guerre de décolonisation et une guerre civile dans les trois départements algériens comme en métropole. La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu (1), affirment Jérôme Fourquet, spécialiste des études d’opinion, et Nicolas Lebourg, auteur de plusieurs livres sur les droites extrêmes. Tous deux ne cherchent pas à conjurer le mauvais sort mais à démonter les comparaisons illusoires.

La guerre d’Algérie n’est pas un choc frontal entre les Français colonialistes et les Algériens indépendantistes. Elle se déroule au fil de sanglantes luttes intestines entre le FLN et son rival le MNA, entre une fraction de l’armée et le gouvernement français, entre l’OAS et les partisans français de l’indépendance de l’Algérie, entre les harkis et les combattants du FLN. Entre 1958 et 1962, les affrontements entre Algériens nationalistes se soldent par 4 000 morts et 9 000 blessés sur le territoire métropolitain – par ailleurs frappé par les attentats du FLN qui font 75 morts et 155 blessés parmi les civils, 47 morts et 142 blessés parmi les policiers. Le bilan des attentats commis par l’OAS est lourd : 191 plasticages, 71 morts, 394 blessés en métropole ; entre 9 000 et 12 000 attentats dans les départements algériens, 1 500 tués, 5 000 blessés.

Le terrorisme islamiste est quant à lui responsable de 238 assassinats entre le 7 janvier 2015 et le 26 juillet 2016, selon ses objectifs de domination religieuse mondiale. Cette violence crée un contexte et provoque des effets très différents de ceux engendrés par les luttes de libération nationale. Les attentats ont pour objectif déclaré la guerre civile sur le territoire français, avec la constitution de zones communautaires musulmanes contrôlées par les djihadistes locaux. Après avoir brandi la menace de libanisation puis celle de balkanisation, la droite radicale pointe les « Molenbeek français » ; elle demande que l’armée rétablisse l’ordre dans les quartiers difficiles sur le modèle de la bataille d’Alger et qu’on rétablisse les internements administratifs qui avaient frappé des militants du FLN puis des partisans de l’Algérie française. C’est oublier que l’armée n’est pas faite pour remplir les missions de la police et que les souvenirs de la bataille d’Alger sont douloureux pour les militaires français. C’est oublier aussi que le recours aux internements de suspects, largement pratiqué en Afghanistan et en Irak, n’a pas empêché la radicalisation et l’a parfois favorisée : Abou Bakr al-Baghdadi, calife autoproclamé de Daech, est un ancien détenu du camp Bucca.

Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg évoquent avec beaucoup de précision la montée des tensions dans la population française à la suite des attentats de 2015 et 2016 et le risque d’un contre-terrorisme que les djihadistes tentent de susciter lorsqu’ils préconisent de tuer des personnalités appartenant au Front national. La demande d’autorité s’accroît, en vue de solutions radicales ; 60{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des Français de moins de cinquante ans estiment que le recours à la torture est « justifié » sans que l’on puisse pour autant constater dans l’opinion publique la volonté de passer à l’action violente.

L’idée de la guerre civile saisit à nouveau les esprits mais la guerre civile n’est pas une fatalité contrairement à ce que voudraient nous faire croire quelques boutefeux radiophoniques. Les groupes de l’ultra-droite n’ont pas les moyens de pratiquer le nettoyage ethnique qu’ils souhaitent, et la demande d’autorité s’adresse à l’Etat dont on reconnaît encore le rôle protecteur alors que la guerre civile est alimentée par les vengeances interindividuelles. Surtout, de très nombreux Français comprennent qu’il ne faut pas tomber dans le piège tendu par Daech. Résister à la logique de guerre civile, c’est faire échec à l’islamisme radical.

Gardons à l’esprit la citation de Roosevelt, judicieusement mise en exergue du livre : « La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même… »

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(1)    Jérôme Fourquet, Nicolas Lebourg, La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu, Fondation Jean Jaurès, 2016. Le livre peut être téléchargé sur le site www.jean-jaures.org

 

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