Espagne : Les défis de Pedro Sánchez – par Christophe Barret

Juin 29, 2018 | Billet invité

 

C’est pour une affaire de corruption qu’est tombé Mariano Rajoy, après que son parti ait été mis en cause par la justice pour avoir mis en place un « système institutionnel de corruption », engageant la responsabilité de son parti. Une drôle d’alternance a donc eu lieu, qui s’est jouée en quelques jours et sans qu’on ait eu à recourir à de nouvelles élections.

Tout était bien préparé, du côté du nouveau Premier ministre, Pedro Sánchez. La presse espagnole a révélé, ces derniers jours, qu’un professionnel de la communication était à l’ouvrage. La méthode Trudeau – ou Macron, selon les écoles – fait tache d’huile. Ivan Redondo, consultant politique qui avait déjà géré les carrières politiques de trois personnalités du camp d’en face – des barons du parti Populaire (PP) – n’est pas un militant : « il travaille pour ses clients comme le ferait un avocat ou un économiste », signale le directeur adjoint de La Vanguardia (1). En conséquence, la composition du nouveau gouvernement a été faite en un temps record. Depuis quelques mois, l’ambitieux Pedro Sánchez, qui devait laver l’affront d’une première tentative d’investiture frustrée par l’intransigeance du chef de Podemos Pablo Iglesias, au printemps 2016, puis par la révolte des barons qui l’avaient chassé de la tête du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), sondait les uns et les autres.

Mais quelles peuvent être les ambitions d’un gouvernement socialiste, « féministe et européiste » qui ne dispose que de 84 députés dans une Chambre qui en compte 350 ? Tout d’abord, ressusciter l’esprit de ce qu’on appelait naguère en France la « gauche plurielle ». Parce qu’il s’agit de bien comprendre que l’état d’esprit des électeurs de gauche a changé du tout au tout, en quelques jours. L’interminable règne de Mariano Rajoy, auquel les sondages voyaient déjà succéder Albert Rivera – dont le parti, Ciudadanos, faisait bloc avec le PP du Premier ministre sortant sur de nombreuses questions – les plongeait dans une profonde dépression. Aujourd’hui, c’est un nouveau cercle vertueux qui semble s’ouvrir pour la gauche, qui est en mesure de forcer le destin. Très peu à l’international, puisque la soumission à Bruxelles et à Berlin a été réaffirmée et que la voie envisagée, en matière de politique économique, est celle rassurante suivie par le Portugal. Beaucoup, en matière de politique intérieure, dont l’agenda a été récemment marqué par d’imposantes manifestations de retraités ou de femmes. Dans le respect du carcan européen, c’est bien sûr de mesures surtout symboliques qu’on se contentera : l’égale durée des congés de paternité et de maternité, la revalorisation des pensions ou l’abrogation de la fameuse « loi bâillon », qui limite les libertés publiques et le retentissant accueil de l’Aquarius dans le port de Valence, municipalité aux mains de Compromis, un mouvement allié de Podemos. L’annonce du prochain retrait de la dépouille du dictateur Franco du mausolée où elle repose encore est un autre signe du changement.

Depuis la Catalogne, une nouvelle lettre au roi vient d’être adressée, après celle envoyée il y a quelques mois par Ada Colau et d’autres élus (2). Quim Torra, nouveau président de la Generalitat et ses deux prédécesseurs, Artur Mas et Carles Puigdemont, interrogent la Couronne. « Il y a des institutions qui, en démocratie, doivent être garantes de l’égalité et de la protection de tous les citoyens. À plus forte raison une monarchie constitutionnelle, déjà bien entrée dans le XXIe siècle et une Union européenne où il existe des modèles exemplaires d’une telle attitude ». La missive a immédiatement été renvoyée par la Maison du roi aux services du Premier ministre, puisque le monarque ne peut publiquement prendre position dans un débat politique. Et il est probable que, plus qu’une réponse à leurs exigences, les indépendantistes catalans attendent avant tout un geste, de la part d’un Philippe VI accusé de n’avoir été jusque-là que le porte-parole de la droite. On attend désormais qu’il prononce le mot « dialogue », qui a déjà été utilisé par Pedro Sanchez. Le nouveau Premier ministre devra cependant choisir entre deux tendances représentées au sein de son gouvernement : celle incarnée par Josep Borrell, le nouveau ministre des Affaires étrangères qui est un ennemi juré des indépendantistes, et celle conciliante de Meritxell Batet, en charge des relations avec les régions autonomes.

Un peu comme dans l’Angleterre de Victoria et de Bagehot, en effet, c’est dans les rangs de ses adversaires que l’on trouve les meilleurs théoriciens de la monarchie constitutionnelle.

Christophe BARRET

(1) Cf, Enric Juliana, « El contrato del dibujante », La Vanguardia du 8 juin 2018.

(2) Sur cette première « Lettre au roi », cf. Royaliste n°1129.

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