« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible » (Antoine de Saint-Exupéry). Sans grand risque d’erreur, un évènement national aura des répercussions internationales. L’année 2025 sera marquée par la prise de fonctions de Donald Trump en qualité de 47ème président des États-Unis. L’homme à la mèche blonde ne laisse pas indifférent. Certains (majoritaires dans la bien-pensance) l’assimilent au Mal tout aussi prédateur à l’intérieur qu’à l’extérieur. D’autres (minoritaires dans la médiasphère) estiment que le milliardaire new-yorkais pourrait peut-être incarner (partiellement) le Bien en apportant quelques clarifications salutaires à la nouvelle grammaire des relations internationales. Alors que le futur n’a jamais été aussi incertain, que nous sommes déjà dans l’ère de l’imprévisibilité, un minimum de prudence s’impose. Examinons avec hauteur les deux hypothèses ! Celle qui nous est imposée, d’un président pyromane accélérateur de conflictualité ; celle qui est iconoclaste, d’un président pompier, faiseur de paix.
DONALD TRUMP ACCÉLÉRATEUR DE CONFLICTUALITÉ : LE PYROMANE
« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite » (Charles Péguy).
Le discrédit (total) de l’homme. Avec une constance qui force le respect, ceux qui décrètent la victoire d’Hillary Clinton en 2016, de l’Ukraine contre la Russie en 2023 et de Kamala Harris en 2024, nous prédisent un « choc du chaos » avec la mise en œuvre du programme de politique étrangère de Donald Trump en 2025[1]. Selon eux, le président des États-Unis conduira le monde à l’abîme. Ils ne le démontrent pas avec des arguments objectifs. Ils le décrètent par pétition de principe. Le dogme anti-trumpiste ne se conteste pas. Il s’impose comme une évidence. L’attitude du nouveau président est irrationnelle, ses frasques de toutes natures en apportent la preuve irréfragable. L’homme n’est pas apte à assurer ses fonctions de président de la première puissance au monde alors que le monde est balayé par des vents mauvais. Rien ne trouve grâce à leurs yeux tant Donald Trump sent le soufre et son second mandat n’augure rien de bon.
La disqualification (ab initio) de sa politique. Et d’égrener tous les maux qui vont s’abattre sur la planète à partir du 20 janvier 2025. L’équipe qui va le conseiller en matière de sécurité[2], la politique qu’il envisage de mettre en œuvre à l’égard de l’Ukraine, au regard de l’OTAN[3], à l’encontre de l’Union européenne, la volonté de porter des coups fatals au système multilatéral, sa position pro-israélienne et anti-chinoise, ses foucades permanentes … sont autant de signes avant-coureurs de la chronique d’une catastrophe annoncée. Le Monde convoque un prix Nobel d’économie qui décide que Donald Trump est une « menace pour les institutions américaines »[4]. Mais également, la directrice du groupe de réflexion Carnegie Europe qui nous assène que le retour de Donald Trump constitue « un danger majeur pour l’Europe »[5]. Mais aussi pour la planète qui pourrait ne pas s’en remettre. Rien de moins[6]. « Nous vivons dans un moment unique de l’histoire qui voit des machines s’emparer de ce qui nous constitue »[7]. L’IA transforme les paradigmes traditionnels de la guerre. Sous la pression d’Elon Musk, Donald Trump ne pourrait-il pas se transformer en Docteur Folamour en utilisant les nouvelles technologies pour déstabiliser les relations internationales ?
Ainsi le monde irait vers l’abîme en 2025 si la thèse des opposants à Donald Trump se trouvait confirmée. Cette hypothèse est crédible. Mais, tout ce qui est excessif est insignifiant. Examinons le revers de la médaille au titre de la disputatio salutaire dans tout débat démocratique !
DONALD TRUMP FAISEUR DE PAIX : LE POMPIER
« Plus on pense de façon objective, moins on existe » (Kierkegaard).
La rédemption (prudente) de l’homme. Il n’est nullement question de prendre le 47ème président des États-Unis pour ce qu’il n’est pas. Mais existe-t-il un chef d’État ou de gouvernement dans le monde qui se rapproche de la perfection ? À l’évidence, non. Si Donald Trump est choisi, avec une confortable avance par rapport à Kamala Harris, c’est qu’il répond aux attentes profondes du peuple américain : « America First ». Un isolationnisme qui n’a rien d’exceptionnel, se situant dans la droite ligne de la doctrine Monroe, principes devant guider la politique étrangère américaine. Donald Trump ne serait donc que le porte-parole, parfois maladroit et iconoclaste dans son expression, de la « Nation indispensable » au sein d’un monde qui n’a jamais été aussi dangereux. Est-il responsable de cette situation alors qu’il a quitté la Maison Blanche depuis quatre ans ? Rendons à César ce qui appartient à César. La politique étrangère de Joe Biden n’est pas exempte de tout reproche[8]. Attendons quelques semaines avant de juger du bien-fondé de son action internationale ![9] Qui sait ? Le pire n’est jamais certain. Peut-être pourrions-nous avoir quelques surprises !
La réhabilitation (raisonnable) de sa politique. Penser contre soi-même. Les Cassandre et les somnambules n’en ont cure. Mais, n’est-ce pas la démarche à suivre par un observateur indépendant des relations internationales ? En particulier, des précautions d’analyse s’imposent avant de porter des jugements à l’emporte-pièce sur la future diplomatie trumpiste et sur ses conséquences sur la gouvernance mondiale. N’envisage-t-il pas la diplomatie pour mettre un terme à la guerre en Ukraine (grâce à un dialogue direct avec Vladimir Poutine) et au Proche-Orient (dans la suite des accords d’Abraham) ? Donald Trump ne devient-il pas l’espoir des familles d’otages à Gaza ?[10] N’envisage-t-il pas de prendre en compte l’évolution d’un monde où émergent de nouveaux acteurs avec de nouvelles règles du jeu pour dépoussiérer le multilatéralisme mis en place en 1945 ? N’envisage-t-il pas d’œuvrer pour un nouveau paradigme de la sécurité en Europe, complétant ou transformant la dynamique des accords d’Helsinki ? N’envisage-t-il pas de remettre à plat les règles de la « mondialisation heureuse » en prônant une forme de retour au protectionnisme que réclament les peuples (à l’égard d’une Chine conquérante et parfois prédatrice) ? Ne contraindrait-il pas l’Union européenne à sortir de sa léthargie et de sa candeur rafraîchissante sur des questions aussi fondamentales que celles de sa souveraineté et de son indépendance sur les questions commerciales et de défense[11] ? Et cette liste de questions est loin d’être exhaustive.
À LA RECHERCHE DE LA CRITIQUE DE LA RAISON PURE PERDUE
« Tout se passe comme si la plupart des hommes circulaient les yeux à demi-fermés au milieu d’un monde extérieur qu’ils dédaignaient de regarder » (Marc Bloch, 1921). Des vendeurs d’orviétan au discours melliflu un brin capillotracté chevauchent des chimères. Ils font fi du réel. N’est-il pas grand temps de retrouver nos repères, de réveiller notre esprit critique ? Qu’on le veuille ou non, Donald Trump ne nous pousse-t-il pas dans cette direction ? Au moins, conduira-t-il à une heure de vérité, au moment où nous changeons de monde, où nous sommes les témoins de la fin d’une illusion occidentale et européenne. Ce dont on ne peut parler (sous la pression du conformisme ambiant de la pensée), c’est cela qu’il faut dire (à l’incitation des non-conformistes souvent dénigrés). Ce n’est que dans quelques mois que nous pourrons affirmer avec certitude que la seconde présidence de Donald Trump précipite le monde dans le chaos ou bien contribue à un sursaut d’espérance.
Jean DASPRY
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
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[1] Sylvie Kauffmann, Trump, catalyseur du chaos du monde, Le Monde, 5 décembre 2024, p. 34.
[2] Piotr Smolar, Sécurité américaine : des nominations à risque, Le Monde, 5 décembre 2024, p. 3.
[3] Philippe Jacqué/Philippe Ricard, Sur l’Ukraine, l’OTAN suspendue à l’entrée en fonctions de Trump, Le Monde, 5 décembre 2024, p. 4.
[4] Marie Charrel (propos recueillis par), Daron Acemoglu : « Trump est une menace pour les institutions américaines », Le Monde, 6 décembre 2024, p. 17.
[5] Rosa Balfour, Le retour de Trump, un danger majeur pour l’Europe, Le Monde, 6 décembre 2024, p. 27.
[6] Martine Orange, Avec Trump, une ploutocratie arrive au pouvoir. États-Unis : le gouvernement des milliardaires, www.mediapart.fr , 26 décembre 2024.
[7] Éric Sadin, Nous vivons un moment unique de l’histoire qui voit des machines s’emparer de ce qui nous constitue, Le Monde, 5 décembre 2024, p. 32.
[8] L’entretien exclusif avec Nikola Mirkovic sur le bilan de Joe Biden à l’international, https://lediplomate.media/2024/12/lentretien-exclusif-avec-nikola-mirkovic-sur-le-bilan-de-joe-biden-a-linternational/roland-lombardi/monde/elections-americaines-2024/ , 21 décembre 2024.
[9] Piotr Smolar, Donald Trump en quête d’une diplomatie, Le Monde, 19 décembre 2024, p. 2.
[10] Ghazal Golshiri, Trump, l’espoir des familles d’otages à Gaza, Le Monde, 6 décembre 2024, p. 11.
[11] Trump veut une défense européenne made in USA, Le Canard enchaîné, 18 décembre 2024, p. 3.
Enfin une analyse dépassionnée et lucide sur ce sujet.