La transformation oligarchique du pouvoir s’est déroulée en trois actes au terme desquels la perspective républicaine – la visée de l’intérêt général selon nos principes constitutionnels – a été effacée.
D’abord le quinquennat qui écartait la possibilité d’une présidence arbitrale au profit d’un super Premier ministre voué à la défense et à la promotion d’intérêts privés.
Ensuite le passage à l’euro, qui privait la nation d’un instrument décisif de sa souveraineté.
Enfin le “traité constitutionnel européen” qui prétendait confier aux organes de l’Union européenne la gestion économique et financière, selon les critères de l’idéologie néolibérale.
Après avoir affirmé notre hostilité au quinquennat et à la prétendue “monnaie unique”, nous avons tout aussi fermement dénoncé les aberrations du “traité constitutionnel”. Confusion entre le texte constitutionnel, qui est d’ordre interne, et le traité négocié entre plusieurs Etats souverains, qui est d’ordre externe. Confusion entre les droits fondamentaux et les dispositions économiques et financières – libre circulation des marchandises et des capitaux. Confusion entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire au sein de la Commission européenne et fiction d’un Parlement européen qui n’a pas l’initiative des lois, ni l’initiative des recettes budgétaires… (1).
Incontestable, la victoire du Non lors du référendum du 29 mai 2005 semblait ouvrir la voie d’une nouvelle configuration européenne. Il fallut déchanter. Les vaincus affirmèrent très vite et de manière parfaitement arbitraire que le “traité” n’avait été que partiellement refusé. Avec un cynisme parfait, Valéry Giscard d’Estaing expliqua deux ans plus tard que les gouvernants s’étaient entendus pour maintenir le texte rejeté, avec des “changements cosmétiques”. Ainsi, on effaça le mot “Constitution” et la formule relative à la “concurrence libre et non faussée”.
Ce grossier ravaudage prit la forme du traité de Lisbonne, ratifié en février 2008 par le Parlement alors qu’il était indispensable de soumettre à référendum le nouveau texte. Le peuple français a donc fait l’objet d’un double déni de démocratie, qui a conduit à confirmer ou à établir, non des institutions, mais des organes anti-démocratiques qui gèrent les domaines commerciaux, monétaires, budgétaires et financiers que nous leur avons abandonnés.
Sous la fiction démocratique entretenue par le lexique utilisé – Parlement européen, Conseil des ministres -, sous les références niaises au couple franco-allemand, sous les concepts fumeux et les odes à l’Europe, nous sommes exposés à la violence multiforme d’un monstre techno-bureaucratique voué à la défense du capitalisme financier.
Les sommets spectaculaires masquent l’opacité des décisions, prises par un réseau transnational de hauts fonctionnaires du Trésor et des banques centrales. Les directives européennes sont le fruit de discussions non moins opaques entre les fonctionnaires de la Commission et les puissants groupes de pression installés à Bruxelles. Il en résulte une corruption endémique qui vise, à nouveau, les plus hautes sphères : le Tribunal de l’Union européenne vient en effet de tancer la Commission qui a refusé de communiquer les échanges de SMS entre le PDG de Pfizer et Ursula von der Leyen. N’oublions pas non plus que d’innombrables structures bruxelloises à l’utilité plus que douteuse engendrent un système parasitaire proliférant et coûteux.
Le déni de démocratie a été aggravé par les coups de force qui marquent la triste histoire de l’Union européenne. Coups de force de la Cour de justice de l’Union qui fait prévaloir le droit communautaire sur le droit national. Coups de force politique, par lesquels les Irlandais sont contraints, à deux reprises, de voter à nouveau sur un traité qu’ils avaient rejeté, qui aboutissent en 2011 à la chute du gouvernement Berlusconi et en 2015 à la reddition du gouvernement grec qui bénéficiait pourtant d’un large soutien populaire, et qui ont permis d’imposer en 2017 aux Néerlandais un accord d’association avec l’Ukraine qu’ils avaient rejeté.
La fiction démocratique s’accompagne d’un discours pacifique régulièrement démenti par divers pays ou groupes de pays, qu’il s’agisse de l’éclatement de la Yougoslavie, du bombardement de la Serbie et du Monténégro en 1999, de la participation à la guerre d’Irak en 2003, de la guerre de Libye… avant le basculement dans un bellicisme inconséquent depuis trois ans.
La violence du libre-échange et de la concurrence au sein de l’Union, la constante dévaluation salariale imposée par l’euro et les effets multiples de la domination du capitalisme financier provoquent des réactions populistes dont on s’obstine à nier les causes.
Pris dans le réseau serré de ses contradictions internes, le monstre techno-bureaucratique assiste, hébété, à l’effondrement de ses illusions sur le marché mondialisé et sur la protection américaine, tandis que s’esquissent de nouvelles configurations géopolitiques. L’empire des normes se croyait sorti de l’Histoire. Emporté par le cours des événements, il s’y trouve marginalisé. Pendant combien de temps accepterons-nous d’être condamnés à l’insignifiance ?
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1/ Pour une critique complète, cf. le numéro 860 de Royaliste.
Editorial du numéro 1301 de « Royaliste » – 19 mai 2025
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