Le vote de confiance demandé par François Bayrou était une décision aberrante, dont il ne fallait pas chercher la rationalité. En 2007, Simone Veil avait déclaré que “Bayrou, c’est pire que tout” avant de préciser dix ans plus tard que “le personnage demeure incompréhensible si l’on ne tient pas compte d’une donnée essentielle : il est convaincu qu’il a été touché par le doigt de Dieu pour devenir président”. Telle est l’”obsession à laquelle il est capable de sacrifier principes, alliés, amis” (1).
Ce trait psycho-pathologique ne serait d’aucun effet si les tactiques et les stratégies des milieux dirigeants se déroulaient selon les règles ordinaires du jeu politique. Or nous sommes dans un moment critique, qui conduit divers représentants de l’élite du pouvoir, des affaires et des médias à mettre à nu leurs pulsions et ambitions. Dans la panique ou par cynisme, chacun cherche le désormais célèbre “trou de souris” qui permettra de gagner la partie contre ses rivaux et malgré un peuple exaspéré.
A Matignon, début juillet, François Bayrou se prenait pour Pierre Mendès-France dont il est, à tous égards, la pitoyable négation. On l’entendit ensuite déplorer le “jour sombre” de l’accord commercial passé entre Ursula von der Leyen et Donald Trump. Puis le Premier ministre de la septième puissance mondiale se résigna à la vassalisation économique, qui a été stimulée par la rencontre du 27 juillet comme on le voit dans le domaine numérique. La décision soudaine d’engager la responsabilité du Gouvernement le 8 septembre a ponctué la débandade générale d’un geste orgueilleux qui est tout le contraire de l’attitude churchillienne rituellement invoquée à Matignon. Partir la tête haute quand on a tout raté ! Prendre l’opinion à témoin quand on est au sommet de l’impopularité !
La rentrée politique a été à la mesure du chaos ambiant. On a entendu des journalistes justifier les flatteries indécentes des dirigeants européens au sommet d’Anchorage. On a entendu un célèbre commentateur de droite confirmer que la droite parlementaire était aux ordres de puissants capitalistes, nommément cités. On a entendu des “experts” reprendre la fable de la fuite massive des capitaux en cas de durcissement de la fiscalité sur les riches. On a entendu le ministre de l’Economie menacer d’une arrivée du FMI le matin et assurer le soir qu’il n’y avait rien à en craindre. On a vu le Premier ministre accuser les retraités d’être responsables de la dette publique, comme si les prétendus boomers constituaient un groupe homogène, soudé depuis des décennies par la défense de ses intérêts sociaux et de ses choix politiques.
Jamais les différents segments de l’oligarchie n’avaient défendu avec autant de clarté et de mauvaise foi hargneuse les intérêts du capitalisme rentier. Jamais, depuis 86 ans, on n’avait observé une telle déliquescence du pouvoir politique, qui s’ajoute au processus de destruction de l’Etat que nous avons cent fois dénoncé. Jamais la classe dirigeante n’a été, à ce point, en proie à des fièvres hexagonales qui la font agir comme si elle n’était pas au fond d’impasses catastrophiques.
La chute du gouvernement Bayrou n’est que la suite grotesque de l’absurde dissolution de juin 2024. Les combinaisons ministérielles envisagées ne seront que des solutions d’attente. En souhaitant la dissolution de l’Assemblée nationale, Nicolas Sarkozy a clairement annoncé que la droite devait désormais envisager l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national, donné vainqueur en cas de dissolution et adoubé par le parrain de la droite comme membre de “l’arc républicain”. De fait, Jordan Bardella a donné au patronat toutes les garanties qui lui permettront de diriger, depuis Matignon, une coalition de droite qui respectera les “vraies valeurs” du Capital.
Quelle que soit l’importance des changements qui interviendront à droite et à gauche dans les mois qui viennent, tous les partis resteront enfermés dans la même impasse. Tous déclareront tenir un discours de vérité en masquant la réalité qui devrait être au cœur du débat politique : les décisions de politique monétaire, commerciale, budgétaire, agricole se prennent à Francfort et à Bruxelles ; or le taux de change de l’euro et le libre-échange plombent les finances publiques et paralysent notre développement (2). Le vote protestataire et les révoltes sociales sont les conséquences du choix des élites qui ont délibérément sacrifié l’intérêt national à la promotion, fructueuse pour elles-mêmes, du capitalisme rentier.
Aussi faut-il se féliciter de la lutte engagée par la Confédération paysanne et la Coordination rurale contre le libre-échange. Il est souhaitable que les confédérations ouvrières suivent le même chemin et se décident enfin à dénoncer le carcan monétaire. A l’opposé des illusions spontanéistes de l’extrême gauche, il faut reconquérir les moyens politiques qui donnent à un gouvernement la puissance d’agir.
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1/ Simone Veil, Une vie, Livre de Poche, 2017, p. 216.
2/ Cf. l’article de Jean-Claude Werrebrouck sur son blog : “Bavardages indigents et surtout nuisibles autour de la dette”. 3 septembre 2025.
Editorial du numéro 1306 de « Royaliste » – 9 septembre 2025
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