Emmanuel Macron a voulu la guerre sociale, il l’a. Autour de la réforme des retraites, la bataille est engagée, au Parlement et surtout dans la rue. Alors que l’opinion publique soutient massivement le mouvement syndical, l’oligarchie parie que les grévistes et des manifestants finiront par plier l’échine.
La réforme des retraites, c’est encore Macron qui en parle le mieux. Ou plutôt, qui en parlait avec des arguments convaincants, que ne démentirait pas le plus rouge des cégétistes.
Dans une vidéo qui tourne à plein gaz sur les réseaux sociaux, on voit Emmanuel Macron, très à l’aise en conférence de presse. Nous sommes le 25 avril 2019. Le disruptif président déclare qu’il ne faut pas reculer l’âge de la retraite pour deux raisons. La première, c’est qu’il s’y est engagé. La seconde est ainsi énoncée : “tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal du départ à la retraite. Quand aujourd’hui on est peu qualifié, qu’on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté avec une carrière fracturée, bon courage déjà pour aller jusqu’à 62 ans. Alors on va dire, maintenant, il faut aller jusqu’à 64 ans, vous ne savez pas comment faire pour aller jusqu’à 55 ans, c’est ça la réalité. C’est l’combat qu’on mène. On doit d’abord gagner ce combat avant d’aller expliquer aux gens : mes bons amis, travaillez plus longtemps ! Ce serait hypocrite !”.
C’est donc l’hypocrite en chef qui mène la danse pour la retraite à 64 ans, afin de ne pas fâcher la Commission européenne, le FMI – qui s’est prononcé pour la réforme – et les marchés financiers. Comme l’opinion publique est massivement d’accord avec le Macron de 2019 et non moins massivement hostile au Macron de 2023, le gouvernement a choisi d’ignorer les grévistes et les manifestants, toujours plus allergiques à la “pédagogie de la réforme”, pour se concentrer sur le Parlement. Ce choix est logique, puisque l’objectif est que la loi soit votée. Mais les manœuvres gouvernementales ont de bonnes chances de durcir le mouvement social.
Ainsi, on a vu Elisabeth Borne faire “des gestes” à l’intention des Républicains, notamment sur les carrières longues. En s’efforçant de rallier ce groupe disloqué, le Premier ministre voudrait réunir une majorité lui permettant d’éviter l’usage de l’article 49.3. Il en résulte deux effets pervers : Elisabeth Borne montre à l’opinion publique qu’elle a plus de considération pour les représentants de la droite bourgeoise et elle réduit par ses concessions des économies réputées indispensables. Sur les 17,7 milliards de gains espérés en 2030, plus d’un tiers a déjà été affecté aux mesures compensatoires. Ce n’est pas nouveau : en 2008, la réforme des régimes spéciaux avait coûté plus cher que les économies qui étaient attendues.
Second écueil, encore plus dangereux pour le gouvernement : l’usage de l’article 47.1 de la Constitution. Cet article prévoit que si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans un délai de vingt jours après le dépôt du texte, celui-ci est transmis au Sénat qui a quinze jours pour l’examiner. Le gouvernement peut ainsi éviter le blocage qui résulte de milliers d’amendements déposés par l’opposition.
L’article 47 avait été rédigé en 1958 pour permettre que le budget soit adopté en toutes circonstances. Or le premier alinéa ajouté dans le cadre de la réforme Juppé de 1966 porte sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale. Ces projets n’ont pas le caractère d’urgence des lois de finances qui assurent “la continuité de la vie nationale” : de fait, si le projet est retiré, les retraites continueront d’être payées.
Il y aura donc des recours devant le Conseil constitutionnel et le gouvernement perdra sur les deux tableaux : si le Conseil constitutionnel justifie l’usage de l’article 47.1, le projet de réforme des retraites entrera en vigueur sans avoir été examiné dans son ensemble devant le Parlement et le pays sera secoué par une énorme vague d’indignation qui ajoutera au discrédit de la macronie ; si le Conseil constitutionnel déclare l’usage du 47.1 contraire à la Constitution, c’est un gouvernement considérablement affaibli qui sera obligé de reprendre le cours normal de la discussion parlementaire dans un climat social explosif.
Ces complexités lourdes de pièges dont je ne donne qu’un pâle aperçu vont s’étaler au grand jour, face à des millions de Français mobilisés par les syndicats, pour une fois unis. Les messages démobilisateurs diffusés par les grands médias et les invraisemblables décomptes de manifestations que fournissent les services de police n’entament pas la puissance de la mobilisation.
Au soir de la quatrième journée de manifestations, le 11 février, il était clair que tous les calculs de la macronie étaient déjoués. Les syndicats, dont la représentativité est rituellement contestée, ont mobilisé un nombre croissant de citoyens. Malgré leur mise en évidence par les médias, les actions du Black Bloc restent anecdotiques et les familles sont revenues dans les manifestations. L’opinion publique, qui soutient largement le mouvement, est prête au durcissement de la lutte annoncé par l’intersyndicale.
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Article publié dans le numéro 1250 de « Royaliste » – 11 février 2023
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