Ils osent fêter le 10 Mai ! L’impudence notoire des dirigeants socialistes atteint ces jours-ci son sommet. La larme à l’œil, ils tentent de récupérer quelques souvenirs de François Mitterrand, qu’ils nomment pompeusement « héritage » afin d’utiliser cet ensemble flou dans la bataille des primaires. Pour un royaliste déclaré, c’est assez drôle ce culte du Grand homme, cette volonté de fabriquer une légende et de se poser en héritier quand on a gardé dans un coin de sa mémoire le spectacle obscène des courtisans roses, ministres ou conseillers (1), sortis d’une page de Saint-Simon.
Ces médiocrités, qui affectent tous les types de gouvernement, devraient inciter à moins de pétulance dans la profession de foi républicaine : je connais des donneurs de leçons jacobins qui auraient été fusillés sur le front des troupes pour trahison en 1793 et des petits marquis de gauche qu’on aurait guillotiné pour corruption à la même époque… Mais quoi ! Les électeurs qui ont voté pour François Mitterrand en 1981 et en 1988 sans pour autant appartenir à la gauche auraient pu s’accommoder de ces déviations individuelles si l’essentiel du projet socialiste avait été accompli puis défendu. Au soir du 10 mai, les militants de la Nouvelle Action royaliste et de nombreux gaullistes de gauche avaient trois raisons communes de se réjouir : la rupture avec le « libéralisme avancé », le programme de nationalisations, le développement de l’Etat social.
Très vite, nous avons regretté que le gouvernement refuse de procéder à une dévaluation de combat mais c’est en 1983 que le mauvais tournant a été pris : le choix de la rigueur entraînait l’adhésion aux principes néolibéraux, générateurs de baisse des salaires et de chômage. La décision de François Mitterrand, prise sous l’influence de Jacques Delors, était en rupture avec la doctrine et avec les engagements pris par le Parti socialiste : première rupture avec le « peuple de gauche » que les hiérarques de la rue de Solferino tentèrent de camoufler en lançant la bataille de l’école.
A la Nouvelle Action royaliste, nous avons continué à soutenir François Mitterrand : nous espérions que la rigueur ne serait qu’une parenthèse et nous redoutions le retour de la droite désormais convertie aux brutales imbécillités proférées par Ronald Reagan et Margaret Thatcher… Après 1988, nous avons combattu Michel Rocard, dans l’espoir d’un sursaut qui ne s’est pas produit mais nous avons continué de soutenir François Mitterrand pour des raisons qui touchaient à la politique internationales et aux institutions : maintien de la force de dissuasion nucléaire, distance gardée à l’égard de l’OTAN, refus d’attaquer la Serbie, maintien du septennat. Face à l’européisme ambiant, au danger du marché unique, à la domination du mark, nous pouvions encore opposer la force subsistante de notre secteur public et nationalisé et la solidité de notre système de protection sociale. Tel était l’héritage de François Mitterrand, qui était lui-même l’héritier de la révolution économique et sociale de la Libération et, malgré tout ce qu’il avait dit, l’héritier de la révolution institutionnelle de 1958-1962.
Lorsque les socialistes sont revenus au pouvoir en 1997, il était possible de reconstruire ce qui avait été défait et de relancer une politique de développement économique et social dans une Union européenne largement réorganisée. Au contraire, Lionel Jospin et son gouvernement furent les champions des privatisations, ils firent la guerre à la République yougoslave dans le cadre de l’OTAN, ils ne songèrent même pas à remettre en cause la mécanique de l’euro, facteur de baisse des salaires et de délocalisations, ils entérinèrent sans l’avouer les préceptes ultralibéraux, ils acceptèrent le désastreux quinquennat. Tout cela en accord avec Jacques Chirac et la droite libérale.
Somme toute, la gauche jospiniste abandonna ce que François Mitterrand avait plus ou moins maintenu sans revenir sur la pente européiste sur laquelle l’ancien président nous faisait glisser.
Pire : de Michel Rocard en Lionel Jospin, de Dominique Strauss-Kahn en Laurent Fabius, les hiérarques socialistes ont contribué activement à la liquidation du socialisme à la française, tel qu’il résultait des lois votées par le Front populaire, des conquêtes de la Libération et des efforts accomplis tout au long de la République gaullienne. Tel est le paradoxe, insupportable pour nous, infamant pour ceux paradent sur les tréteaux de la gauche : c’est le Parti socialiste, avec le soutien du syndicalisme de collaboration, qui a détruit le socialisme français caractérisé par la planification indicative, la dynamique du secteur public et nationalisé, la forte protection sociale et une politique de promotion du salariat qui permettaient de nouveaux progrès.
Il ne reste rien à célébrer. Pas même un souvenir de victoire puisqu’il y eut trop d’abandons et de reniements. Par même une idée de la nouvelle victoire possible puisque l’élection de Dominique Strauss-Kahn, de François Hollande ou de Martine Aubry installerait à la tête du pays des partisans du libre échange et de l’euro, des oligarques patentés qui continueront à appliquer des programmes de rigueur budgétaire et de liquidation de l’Etat social.
A peine deux années d’espérance et vingt-huit ans de malheurs (1983-2011), voilà qui devait inspirer, à gauche, un silence consterné et une méditation salutaire.
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(1) L’un d’entre eux m’affirma le 7 mai 1981 que François Mitterrand serait battu et qu’il fallait préparer l’élection de Michel Rocard en 1988. Puis il retourna rue de Solferino rédiger des notes pour le candidat qui devait affronter Valéry Giscard d’Estaing ce soir-là. Plus tard, il occupa de hautes fonctions à l’Elysée et continue de pontifier à la télévision et dans la presse bien-pensante… Il ne fut pas le seul à trahir François Mitterrand dès avant l’élection.
Tout d’abord, merci à vous, en ce 10 mai 2011, d’écrire haut et clair ce que nous sommes nombreux à penser bas et confus (Mitterand avait peu de goût pour les adverbes… moi, non plus !).
Ensuite, face à l’hystérie orchestrée de part et d’autre qui n’a, à mon sens, pas d’autre but que de tenter de masquer l’incurie des uns et des autres, il me semble que le temps est venu soit d’occuper le champ de la parole (et internet nous le permet) soit de nous taire et de renoncer à jamais.
Les Français seraient-ils définitivement si stupides qu’ils ne puissent comprendre les tenants et aboutissants de la superbe escroquerie économique dont ils sont les victimes nécessaires ? N’est-il pas temps de tenter un peu de pédagogie militante ?
Si Marine Le Pen, qui a oublié d’être idiote, trouve un écho chez nombres de nos compatriotes, c’est qu’ils sentent confusément qu’elle n’a pas tout à fait tort… que les questions qu’elle soulève avec subtilité ne sont pas subsidiaires…. le seul problème étant que les réponses qu’elle peut ou veut y apporter ne correspondent pas forcément non plus à un retour à l’Etat social que vous semblez appeler de vos voeux…
Il n’en reste pas moins prégnant que si quelqu’un se donnait les moyens de présenter un programme clair et accesible à chacun, faisant fi, enfin, des querelles partisanes et d’égos surdimensionnés, se plaçant par-delà la mêlée… on peut toujours rêver… ce quelqu’un aurait quelque chance de sauver, sinon la France, mais l’image déplorable qu’elle se donne d’elle-même… pour un avenir qui dépasse largement 2012… car il me semble évident que les jeux sont faits et que DSK sera élu, par défaut, et que nous devrons subir encore les affres d’un système agonisant mais si juteux pour quelques-uns…
Quant à François Mitterand, que j’ai croisé en son temps et au temps de mon enfance, à Château-Chinon et ailleurs, qu’il repose en paix…
Bien à vous,
Fabienne
La critique légitime du comportement des dirigeants socialistes ne doit pas occulter la responsabilité majeure de François Mitterrand dans l’évolution néolibérale du parti socialiste depuis 1983.
Accentuée depuis 1997 par l’homme qui prétendait exercer un droit d’inventaire sur la gestion Mitterrand, Lionel Jospin et son gouvernement de gauche plurielle, je pense que les dirigeants de la Nar se sont aveuglés sur la foi des déclarations de Mitterrand qui leur a dit ce qu’ils voulaient entendre alors que les décisions qu’il prenait allaient totalement à l’encontre!