Prendre Arnaud Montebourg au sérieux, c’est ne rien lui concéder par tactique. Le candidat à la primaire organisée par le Parti socialiste est un homme de convictions : celles-ci méritent un examen d’autant plus attentif que le débat avec le partisan de la « VIe République » et de la « démondialisation » se prolongera bien au-delà des campagnes électorales. Il n’est pas anormal que j’y participe, comme directeur politique de « Royaliste » et porte-parole d’un mouvement – la Nouvelle Action royaliste – qui ne se définit pas comme socialiste, qui ne s’est jamais situé à gauche et qui, par conséquent, n’appellera pas ses militants et sympathisants à participer au vote des 9 et 16 octobre.
Ces dénégations n’impliquent pas l’indifférence ou l’hostilité. Le régime parlementaire suppose l’existence de plusieurs partis représentant des traditions politiques distinctes ou opposées et une constante dialectique entre celles-ci. Le socialisme est depuis bientôt deux siècles une composante majeure de la vie démocratique et il importe que ses idées premières soient reprises et développées afin d’en finir avec la dérive néolibérale et oligarchique de la rue de Solferino. Arnaud Montebourg appelle ses camarades à cette renaissance. Ils ne seront sans doute pas hostiles aux réactions d’un citoyen situé dans une autre tradition, qui privilégie la question des institutions politiques abordée dans l’épilogue du livre-manifeste récemment publié (1) et de nouveau évoquée voici peu à Valmy.
Dans Marianne, Philippe Cohen a décrit Arnaud Montebourg venant fêter le 220ème anniversaire de la première République à Valmy (2), afin que la famille Le Pen ne puisse plus s’approprier ce lieu symbolique. Belle et bonne intention, qui aurait eu plus de portée si le candidat socialiste avait convié le prince Jean de France à célébrer cette victoire – de même que François Mitterrand avait invité le défunt comte de Paris à le rejoindre devant le célèbre moulin lors des commémorations de la Révolution de 1789 et de la bataille où s’illustra le futur Louis-Philippe.
Mais la première République ? Justement, sa proclamation n’avait pas été officiellement célébrée en 1992 car il aurait fallu évoquer son histoire, pleine de fureur, et son échec. Arnaud Montebourg a oublié cette prudence puisqu’il s’est exclamé que « la VIème République que nous construirons ensemble ressemblera plus à la première qu’à celles qui l’ont succédé. » Je veux bien faire la part de l’exaltation due à l’esprit du lieu mais je ne vois pas l’exemplarité de l’éviction des girondins, de la guerre civile dans l’Ouest, de la dictature jacobine, de la Constitution inappliquée de 1793, du régime de stricte séparation des pouvoirs institué par la Constitution de l’An III qui aboutit au coup d’Etat de Bonaparte. Cette cécité historique montre, si besoin est, qu’Arnaud Montebourg est bien un homme de gauche – une gauche qui a prospéré dans le régime parlementaire tout en mythifiant le Comité de Salut public. Il faudrait tout de même qu’il choisisse entre l’exaltation robespierriste des fins de banquet et le « régime anglais » (3) qu’il préconisait voici peu.
Je ne tiens pas à rouvrir une dispute sur la Révolution française mais il me paraît essentiel de faire le point sur la doctrine institutionnelle d’Arnaud Montebourg puisque le redressement économique de la France et le renforcement de son système de protection sociale dépendent de la manière dont l’Etat sera organisé. Je lis que «la Ve République est au bord du tombeau, parce qu’elle est un système dangereux, arbitraire, unilatéral, impérial, qui ne pouvait reposer que sur les vertus d’hommes illustres, lesquels la rendirent acceptable parce qu’ils étaient eux-mêmes supérieurs » (4). On sauve ainsi François Mitterrand et on salue de loin le général de Gaulle – naguère accusé par la gauche de bonapartisme. Puis on évoque une VIe République issue de réformes établissant par voie référendaire « un Président arbitre, un gouvernement disposant de la plénitude de ses pouvoirs, un Parlement aux pouvoirs de contrôle renforcés y compris l’opposition » (5). Il est absurde de changer de Constitution pour instituer ce qui est déjà inscrit dans l’actuelle : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État./ Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. » (Article 5). « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation./Il dispose de l’administration et de la force armée./Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50. » (Article 20).
Nous sommes bien dans un régime parlementaire et rien n’empêche Arnaud Montebourg, s’il est élu président, de respecter strictement les articles précités de notre Constitution. Ou plutôt : il y est obligé par l’article 5. Ce qui mettrait fin au viol permanent de la Constitution par Nicolas Sarkozy qui, par l’effet du quinquennat voté par la gauche, a établi une autocratie niant radicalement la séparation des pouvoirs et la souveraineté populaire exprimée lors du référendum de 2005.
Si j’adresse des critiques à Arnaud Montebourg, c’est que j’attends une réponse dans l’espoir d’engager avec lui une discussion sur ces questions décisives alors que je n’attends rien de François Hollande et de Martine Aubry. Pour être plus précis : je n’ai jamais rien n’attendu des héritiers politiques de Jacques Delors. Ils ont opéré au nom de leur utopie européiste la liquidation du socialisme français, œuvre conjointe des forces issues de la Résistance et non du seul Parti socialiste. Mais l’Europe des traités est à l’agonie et la maison Delors vaticine sur un champ de ruines. Il faut reconstruire un projet pour la nation, hors du petit monde clos des oligarques de droite et de gauche.
L’analyse de la démondialisation que fait Arnaud Montebourg, l’attention qu’il porte aux économistes hétérodoxes, sa campagne en faveur d’un protectionnisme européen et son souci de justice sociale annoncent la renaissance possible d’un socialisme démocratique français fidèle à son intention originelle : organiser la production contre l’ultra-concurrence libérale et protéger les producteurs de la violence de l’économie, selon un souci primordial de justice sociale. Il faudrait que ce socialisme démocratique reconnaisse et assume la totalité de l’histoire nationale – comme François Mitterrand avait su le faire – et inscrive un projet de réorganisation du continent européen dans la politique mondiale de la France, redéfinie et librement menée.
Arnaud Montebourg saura-t-il devenir résolument gaullien ?
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(1) Arnaud Montebourg, Des idées et des rêves, Comment bâtir la nouvelle France, Flammarion, 2010.
(2) http://www.marianne2.fr/Montebourg-veut-reprendre-Valmy-aux-Le-Pen_a210586.html
(3) Cf. l’éditorial du numéro 883 de « Royaliste » : « Pour le régime anglais ».
(4) Arnaud Montebourg, op.cit. Page 335.
(5) Arnaud Montebourg, op.cit. Page 336.
Très bon billet. Si nous devions avoir un président socialiste, il vaudrait mieux un MONTEBOURD. Mais nous aurions des précisions à lui demander sur sa conception de la monnaie. Bien,entendu, je préférerais que Nicolas DUPONT-AIGNAN soit présent au 2e tour
Raoul louis CAYOL
Excellent article, qu’il faudrait publier dans « Royaliste », peut-être sous forme de lettre ouverte pour susciter officiellement le débat avec Montebourg. Malgré les contradictions que tu soulignes très justement – et qui sont les signes du pensée encore ouverte – le personnage est sympathique et provoque une vraie « levée en masse » au PS face aux deux tristes figures de l’oligarchie. Il fera sans doute un bon score aux Primaires. Il y a dans son socialisme un retour aux sources, à Péguy, à Proudhon, à Sorel, à « la république des producteurs », qui n’est pas sans affinités avec nous.
François Renié
Pour être un chef d’Etat arbitre,il ne faut dépendre ni des partis, ni d’aucun clan, ni d’aucun pouvoir financier.
Or, la Vème République est contradictoire, elle institue un Président arbitre, tout en permettant aux partis politiques de mener campagne pour l’élection à la présidence de la République, non seulement en soutenant un candidat, mais même en le désignant la plupart du temps en leur sein.
C’est pourquoi la monarchie parlementaire n’a pas d’équivalent en matière de chef d’Etat arbitre, dès lors que la personne du Roi représente la nation toute entière, dans l’unité et la continuité, et non une partie d’elle-même.
Lorsque le Chef de l’Etat n’est pas élu au suffrage universel direct, mais de manière indirecte au sein du Parlement, comme en Italie, c’est le mode de scrutin à la majorité des deux tiers du Parlement réuni en « congrès » pour les trois premiers tours, et le scrutin majoritaire simple pour les suivants, qui « permet » de compenser la dépendance du futur Chef de l’Etat vis-à-vis des partis, pour lui conférer une certaine hauteur de vue.
Pour que le Chef de l’Etat de la Vème république ne soit pas issu des partis, ni du Parlement,il faudrait créer une primaire nationale, où les candidats à la magistrature suprême ayant recueilli un certain nombre de signatures d’élus locaux se déclareraient avant une date limite, sans le concours des partis, mais de manière indépendante, puis l’on procéderait à un premier vote national, où chaque électeur pourrait par exemple choisir 5 noms parmi l’ensemble des candidats se présentant. On retiendrait les cinq noms ayant recueilli le plus de suffrages et l’on procèderait à un nouveau vote, pour obtenir deux noms, en vue du vote final entre ces deux candidats.
Il n’y aurait pas de campagne organisée par les partis, mais par l’Etat avec le concours des préfectures, à égalité de présence dans les médias et dans les tournées en province. Le dialogue avec les Français porterait sur la manière de conduire les affaires de l’Etat en tant que Chef de l’Etat, dans le respect de la Constitution, et non sur des actions de gouvernement à mettre en oeuvre.
L’illusion Montebourg a disparu ce dimanche: il s’est rallié à l’héritier politique de Jacques Delors, et il fera sa campagne en oubliant tous ses thèmes de campagne pour le 1er de la primaire.
Un Montebourg ne pouvait faire le « printemps » du PS qui est foncièrement néolibéral et européiste!
Il y a une contradiction a vanter les bienfaits du parlementarisme rationalisé de la Vème tout en prophétisant (pour notre plus grande lassitude) un retour certain à l’instabilité parlementaire en cas de VIème réellement parlementaire et participative. Vous désirez en réalité assumer et amplifier l’irresponsabilité gouvernementale qui a pratiquement toujours sévi depuis 58 car la responsabilité ne se réduit évidemment pas à des virtualités juridiques et procédurales, mais à la menace certaine de l’actualisation de ces virtualités.
La rationalisation à la française n’a pas par essence besoin d’un seul individu présidant le Conseil des ministres et qui soit structurellement soutenu par le parti majoritaire à l’assemblée. Elle se suffit d’un certain rôle du gouvernement dans l’impulsion législative, de la limitation de la compétence de la loi aux principes, des armes pour la faire respecter et de l’engagement de la responsabilité pour forcer quelques décisions graves. Pourquoi personne nulle part ne nous entend ? Encore faut il que ce cadre soit contrôlé par la participation du peuple et la sagesse de juges. C’est peut-être cela.
Ce que tout cela cache, c’est en réalité une nostalgie de l’ordre moral (assez souvent religieux) qui, étant une chimère caduque, ne se débarrassera pas plus que la social-démocratie ou les radicaux ou les gaullistes de la société de consommation sous perfusion des marchés financiers transnationaux, et des politiques qui les soutiennent. C’est la collectivité rationalisée qui doit primer sur l’incarnation nationale en « l’arbitre retiré ». Mais s’il vous faut absolument un Roi, si vous continuez à vous fasciner pour toutes ses traditions qui, pilonnées par les « valeurs » modernes, n’existent en fait que de trop, et bien nous voudrons bien d’un arbitre, mais qu’alors il soit effectivement, lointainement retiré. Par exemple à plaider l’honneur républicain français à l’étranger.
Votre idéologie pèche par juridisme et conservatisme moral, au fond par une sorte d’idéalisme politique qui, je suis sincèrement désolé car j’ai tout de même un grand respect, une réelle estime et de vrais accords sur le plan social, est complètement désarmé aujourd’hui.
Etéocle prône une VIème République réellement parlementaire et participative en lieu et place de la Vème République, considérant que le parlementarisme rationalisé peut se dispenser d’un Chef de l’Etat qui gouverne, d’autant qu’il est constitutionnellement irresponsable.
Les partisans d’une VIème République se réclament logiquement du « système anglais » tout en oubliant au passage que si le régime parlementaire est bien né en Angleterre, le Chef de l’Etat, en l’occurrence la Reine ou le Roi n’est pas élu, et par conséquent, indépendant des partis politiques.
Quatre éléments essentiels caractérisent le régime parlementaire ou « système anglais » : la responsabilité politique du gouvernement devant la chambre basse, l’irresponsabilité constitutionnelle du Chef de l’Etat, la participation du Chef de l’Etat dans le processus législatif « Queen in parliament » ou système de Westminster, et l’existence d’une seconde Chambre (Chambre des Lords) soit un système bicaméral.
Bien que la France ait un système propre, produit de son histoire, la Vème République dispose de ces quatre éléments : la responsabilité politique du gouvernement devant l’assemblée nationale (art : 20 ), l’irresponsabilité constitutionnelle du Président de la République, la sanction de la loi par le Président de la République, et l’existence du Sénat.
Il suffit donc d’appliquer la Constitution de la Vème République, dite monarchie républicaine ou monarchie élective, en référence à la monarchie parlementaire, et non comme régime de gouvernement d’un seul homme, au sens péjoratif du terme.
Il est donc démontré que c’est le Chef de l’Etat qui pose problème en soi, dans sa manière de respecter ou non la Constitution et dans son mode de désignation, plutôt que la Constitution elle-même, qui est un régime parlementaire.
Il faut donc maintenir cette Constitution qui donne au Chef de l’Etat des prérogatives de garant et d’arbitre, et revoir son mode de désignation afin qu’il ne soit plus le leader d’un parti tel que peut l’être un futur chef de gouvernement, mais le fédérateur des Français au-dessus des partis. Pour cela, et afin d’éviter de retomber dans les travers de la IVème République en en prônant une VIème, il serait déjà intéressant de passer pour la désignation du Chef de l’Etat de primaires citoyennes à des primaires nationales au-delà des partis politiques.
Ceci dit la monarchie parlementaire demeure la solution.
Loin de railler le Roi comme une simple nostalgie, nos voisins européens dont les britanniques, auxquels les partisans de la VI ème République tel Arnaud Montebourg se réfèrent pour le régime parlementaire, mesurent en permanence l’intérêt de cette institution, et notamment en ces temps de séparatisme et de xénophobie.
En effet, en plus d’être un garant et un arbitre, le Roi dans une monarchie parlementaire, est aussi un fédérateur-médiateur né, un représentant de toute la nation, en qui toutes ses composantes telle l’opposition se sentent représentées, et un guide-référent pour le passé, le présent et l’avenir, à savoir pour la continuité historique de l’Etat.
La confusion des pouvoirs au sein de la Véme république n’est pas inéluctable.
Tirons un fil. Depuis 1969, nous n’avons élu que des présidents de la république, professionnels. Toute l’activité politique s’est elle-même, peu à peu dégradée et tous les échelons de la démocratie se sont hiérarchisés et subordonnés les uns aux autres au lieu de défendre avec âpreté leurs prérogatives, base de tout équilibre respectueux du rôle de chacun d’eux.
C’est à cela qu’il faut mettre un terme définitif et sans délais car la démocratie n’existe plus à l’instant ou ceux qui l’a font vivre en font métier.
Pour une républicain conséquent, le seul recours possible c’est le peuple. Il importe donc que les candidats à quelque fonction que ce soit dans la répubique redeviennent d’authentiques représentants du seul souverain légitime : le peuple.
Si nous continuons d’élire les candidats présentés par les partis politiques, y compris le président de la république, nous ne ferons qu’aggraver la démence qui perturbe notre vie publique depuis quarante ans.
L’article 4 de la constitution précise que les partis politiques concourrent à la démocratie ce qui laisse de la place à d’autres formes d’organisation.
La mofification que l’on peut proposer, par ce qu’elle est d’une simplicité déconcertante pourrait, dans un premier temps, faire se lever bien des boucliers: présenter aux élections, des citoyens-candidats, sur la base d’un cahier d’exigences, rédigé et validé par eux, au niveau de chaque comité primaire d’arrondissement. Désigner ces candidats par tirage au sort, paritaire, APRES adoption et validation des cahiers d’exigences serait un plus.
Fin du cumul des mandats, fin des carrières électorales, fin des influences cutuelles, financières, économiques ou étrangères. Fin de la confusion du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif.
Pour cela il faut demander et obtenir, par la rue, AVANT l’élection présidentielle de 2012, la dissolution de l’Assemblée Nationale et placer les citoyens devant un dilemme simple :
– reconduire les professionnels de la politique à la députation
ou,
– élire des députés librement choisis par les citoyens sur la base d’un contrat de candidature précis.
Toute cette démarche peut être engagée sans qu’il soit besoin de voter une nouvelle loi : il suffit de le décider.
Mais il faut aussi agir pour la prochaine élection présidentielle. Il nous reste environ deux cens jours pour reprendre l’inititative.
Là aussi, il faut placer les citoyens devant un dilemme identique :
– élire un président de la république parmis les professionnes du bavardage électoral
ou
– construire une opportunité afin de donner toutes ses chances à une candidature à la fonction suprème, à une personnalité qui pourrait se dégager d’un processus véritablement civique, totalement neuf et transparent.
S’il ne saurait être question de tirer au sort le président de la république en feuilletant un annuaire, les comités primaires d’arrondissement pourraient élaborer un sélection préalable de quelques personnalités libres, aptes à exercer la fonction. Ces personnalités pourraient entre elles et sous le contrôle des comités d’arrondissement réunis en assemblée de sélection, désigner celle qui offrirait les meilleurs garanties.
Alors les citoyens se retrouveraient dans une nouvelle alternative claire :
– s’en remmmettre aux candidats pistonnés par les partis politiques
ou
– promouvoir la candidature d’un président-citoyen.
Faire confiance au Peuple est une démarche qui n’a jamais été réellement tentée !
Voilà, dessiné à grands traits, comment nous pouvons sortir de la mélasse dans laquelle est engluée la France depuis quarante ans.
Régis ROQUETANIERE