Directeur-adjoint honoraire de l’ENA et professeur émérite à la Sorbonne, Jean-François Kesler offre aux citoyens le traité sur nos institutions politiques qui leur sera indispensable pour comprendre les transformations passées et à venir de la Vème République.

Le livre est à consulter chaque fois que l’on éprouve un doute ou que l’on s’avoue une ignorance en suivant le fil de l’actualité (1). Qu’est-ce qu’une ordonnance ? Qu’en est-il du pouvoir réglementaire ? Quel est le rôle du député ? Où en sommes-nous dans le processus de décentralisation territoriale ? Jean-François Kesler ne s’est pas contenté de rassembler de vastes connaissances historiques, juridiques et sociologiques : sa manière de les mettre en perspective, directement utile dans le débat politique, permet de corriger le récit médiatique, toujours riche de clichés, et les fictions entretenues par maints dirigeants politiques et qui finissent par les abuser. Marine Le Pen, par exemple, annonçait que le peuple allait, grâce à elle, prendre le pouvoir, oubliant comme les autres candidats qui promettent tout et n’importe quoi que le président de la République ne dispose ni du pouvoir législatif ni du pouvoir réglementaire. Jean-Luc Mélenchon continue à dénoncer le césarisme du général de Gaulle au mépris de l’histoire. La récente campagne présidentielle a produit comme les précédentes la fiction d’un absolutisme présidentiel, auquel a répondu cette année le fantasme d’un populisme de gauche qui militerait pour une souveraineté populaire directement exprimée.

Quant à la fonction présidentielle, la mise au point de Jean-François Kesler est tout à fait éclairante. Il faut selon lui distinguer la Constitution de la Vème République, dont la genèse est précisément retracée, des trois régimes qui se sont succédés. On l’oublie trop souvent, notre Constitution est d’essence parlementaire et le phénomène majoritaire ne lui est pas consubstantiel. C’est la Constitution d’une « monarchie républicaine » – la définition est de Michel Debré, reprise par Maurice Duverger – qui peut fonctionner selon diverses modalités. Nous avons en effet connu :

Un régime « personnel », gaullien, de 1958 à 1969. Jean-François Kesler observe que « de Gaulle n’a pas été seulement un monarque républicain, il a été aussi, malgré les apparences, un monarque parlementaire, conformément à l’esprit de la Constitution de 1958 et ceci, dès la Libération, avant même la naissance de la Vème République. En effet, à la Libération la majorité est nettement à gauche et le gouvernement de Gaulle est le plus à gauche que la France a jamais connu, comme l’a fait remarquer François Furet. Au contraire, sous la Vème République, la majorité est à droite et la politique intérieure s’en ressent. Le Premier ministre a d’ailleurs bénéficié, sous le pouvoir personnel de de Gaulle, d’une latitude d’action qu’il ne retrouvera pas par la suite (et certains ministres aussi). Mais la politique extérieure ne varie pas du gaullisme I au gaullisme II : elle est animée par le souci prioritaire de la grandeur de la France ».

Un régime « présidentialiste » de 1969 à 1986 (présidences Pompidou, Giscard et Mitterrand ; de 1988 à 1993 (présidence Mitterrand), de 1995 à 1997 (présidence Chirac) et depuis 2002 (présidences Chirac, Sarkozy et Hollande).

Un régime parlementaire de 1986 à 1988, quand Chirac était le Premier ministre de Mitterrand, de 1995 à 1997 (quand Balladur était le Premier ministre de Mitterrand) et de 1997 à 2002 (quand Jospin était le Premier ministre de Chirac).

Ces deux derniers régimes ne sont pas équilibrés. La monarchie républicaine « présidentialiste » crée une verticale du pouvoir qui met à mal le système des médiations – surtout depuis l’adoption du quinquennat. La particularité de notre monarchie républicaine, lorsqu’elle fonctionne sur le mode parlementaire,  c’est que dans ce type de régime le président de la République n’est pas l’arbitre selon l’article 5 de la Constitution mais le chef de l’opposition. La légitimité du chef de l’Etat devient dès lors hautement problématique dans un système politique déséquilibré, fortement conflictuel au sommet et tout entier tendu par la perspective de la bataille électorale. C’est dans les monarchies royales démocratiques et parlementaires que les principes républicains définissant le bien public (continuité de l’Etat, arbitrage, incarnation de la nation) sont effectivement assurés…

Depuis le départ du général de Gaulle, la fonction symbolique est fragile, voire évanescente et la monarchie républicaine subit de violents ébranlements. Par le bas puisque la décentralisation n’a pas fait progresser la démocratie, mais conduit au « sacre des notables » et des grands féodaux. Par le haut puisque maints abandons de souveraineté sont consentis au nom de la « construction européenne ». Dans l’administration aussi puisque Valéry Giscard d’Estaing a inauguré un système des dépouilles qui n’a cessé de s’amplifier. L’Ecole publique est quant à elle dans un état désastreux, sanctionné par une fuite massive vers l’enseignement privé. Le démantèlement des services publics industriels et commerciaux a privé l’Etat de ses moyens d’actions économiques. Dans ces conditions, l’évocation d’une hyper-présidence (sarkoziste) ou d’un président « jupitérien » depuis l’élection d’Emmanuel Macron relève de la fantasmagorie journalistique.

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(1) Jean-François Kesler, Institutions et politique française, L’Harmattan, 2017. Du même auteur : Histoire et politique française, L’Harmattan, 2016.

 

 

 

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