D’abord comprendre

Sep 17, 2007 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Que faire, en cette rentrée sinistre ?

D’abord comprendre la véritable nature du sarkozisme. Ce n’est pas simple. Le président de la République est probablement sans conviction personnelle, ce qui lui donne son efficacité tactique. Mais Nicolas Sarkozy ne dit pas n’importe quoi : dans la pâte de ses discours, on repère des traces gaullistes (la plupart datent des années soixante), des préjugés sociaux et raciaux, des fragments d’idéologie qui correspondent à des intérêts de classe. Tout cela se mêle à une exploitation « décomplexée » – autrement dit sans scrupules – de diverses pulsions.

Discerner la démagogie du discours et la logique plus ou moins consciente des intentions exprimées nous demandera du temps. Nous nous mettons à l’ouvrage cette semaine avec Yves La Mark qui explique le tournant de notre politique étrangère. Nous continuerons dans notre prochain numéro avec François Villemonteix qui mettra en évidence le darwinisme social du président Sarkozy : c’est la sélection des meilleurs qui est sans cesse glorifiée, au mépris du principe de justice.

Nous aurons à débattre de la réforme des institutions mais il est déjà manifeste que nous sommes déjà au-delà du présidentialisme, dans une dérive autocratique que nous ne sommes pas les seuls à dénoncer. Le Premier ministre est écrasé comme aucun autre ne le fut et la plupart des ministres se contentent d’appliquer les directives élyséennes. La Constitution est résolument ignorée mais la gauche ne saurait s’en plaindre : nous sommes dans le processus pervers qui résulte du quinquennat dont Lionel Jospin et les socialistes furent les ardents défenseurs.

Nicolas Sarkozy donne l’impression d’être partout, mais c’est seulement à l’image. Il ne manque pas d’apparaître dans les médias à chaque fait divers rentable mais ses gestes sont tout le contraire d’une présence effectivement symbolique : il pousse à la vengeance (c’est notre premier sentiment lorsqu’il y a crime) alors qu’il est par fonction garant de la justice, qui doit empêcher la logique vindicative ; il est partial dans la mesure où il dénonce la criminalité sexuelle (1) et la petite délinquance sans demander qu’on soit impitoyable avec les patrons responsables d’accidents du travail ; il est scandaleusement cynique lorsqu’il annonce qu’il va mettre un terme à la « pénalisation à outrance de notre droit des affaires » – ce qui constitue un encouragement éhonté à la délinquance économique et financière. La sollicitude du chef de l’Etat ne s’étend pas à toutes les victimes de la violence, mais à quelques unes d’entre elles, habilement instrumentalisées.

L’omniprésence médiatique masque des absences injustifiables : le président de la République n’a pas jugé bon de renoncer à ses vacances aux Etats-Unis pour faire face à la crise financière qui a éclaté au mois d’août. Il n’a pas non plus récusé les déclarations antidémocratiques de Jean-Claude Trichet, quant à l’indépendance absolue de la Banque centrale européenne.

Ce laisser-faire, dans les domaines monétaire et financier, est en pleine cohérence avec les annonces faites aux adhérents du Medef (le chef de l’Etat s’exprimera-t-il devant les adhérents de Force ouvrière et de la CGT ?) et avec les décisions prises en matière industrielle. Quant au contrat de travail, quant aux 35 heures, quant à la fiscalité, les vœux exprimés par Nicolas Sarkozy sont identiques à ceux du patronat. Et la fusion entre Gaz de France et Suez, décidée à l’Elysée, est contraire aux intérêts de la France et à ceux des usagers du service public comme aurons une nouvelle fois à le démontrer.

Nos efforts de compréhension du sarkozysme pourrait être utiles aux dirigeants socialistes qui, jusqu’à présent, ont manqué toutes leurs répliques. Mais nous avons pu constater par nous-mêmes, depuis 1981, que la réflexion politique avait à leurs yeux deux inconvénients : elle fatigue et elle prend du temps. Ils ne voient pas que leur inculture politique est la cause principale de leurs échecs et que l’avenir appartient à ceux, de droite ou de gauche, qui auront sérieusement pensé leur action.

Nous avons cette liberté, infiniment précieuse.

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(1) l’article de Daniel Schneidermann, « Providentiel pédophile », dans Libération du 24 août.

Editorial du numéro 909 de « Royaliste » – 17 septembre 2007

 

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