Désastres à l’américaine

Juin 17, 2014 | Chemins et distances | 3 commentaires

Après la chute de Fallouja en janvier, la prise de Mossoul et Tikrit à la mi-juin reporte tout à coup l’attention sur l’Irak. Il ne s’agit pas seulement d’une succession d’opérations djihadistes bien menées mais d’un soulèvement général des tribus sunnites marginalisées par les autorités de la capitale. Plus que le gouvernement irakien, ce sont les Américains qu’il faut accuser : ce sont eux qui ont fabriqué le système des communautés ethniques et confessionnelles aujourd’hui effondré.

Ce nouvel échec de la guerre à l’américaine et de la diplomatie des Etats-Unis devrait faire réfléchir les Etats nationaux qui s’abritent derrière l’Otan et les peuples ou les partis qui regardent avec sympathie les envoyés de Washington. Je sais que les mises en garde ne pèsent guère face à des agents qui utilisent sans le moindre scrupule l’intimidation et la corruption. Mais il faut tout de même rappeler aux jeunes générations, en Europe et ailleurs, les causes et les conséquences des échecs américains car il n’est pas impossible que de nouvelles élites décident, un jour ou l’autre, de refuser les voies prescrites par les Etats-Unis.

Il y a eu le Vietnam. A la suite d’une guerre mal comprise et mal conduite, en dépit des bombardements massifs et du recours aux armes chimiques, le Vietnam et le Cambodge ont été conquis par des communistes qui ont installé des dictatures ici implacables et là génocidaires.

Il y a eu, en 1999,  la guerre d’agression contre le Kosovo. Au cours de cette prétendue « guerre morale », les frappes aériennes de l’Otan sur la Serbie et le Monténégro n’ont pas permis d’unifier le pays et de régler les conflits entre ses habitants. Nul ne s’intéresse aux crimes commis par les extrémistes de l’UCK (1) et aux débris de projectiles à l’uranium appauvri qui provoquent et provoqueront d’innombrables cancers sur des terrains contaminés à jamais.

Il y a eu la guerre d’Irak entre 2003 et 2011. Menée sans l’accord des Nations unies, cette guerre a fait plus d’un million de morts et provoqué l’exil de deux millions d’Irakiens ; les Etats-Unis ont dépensé 4 000 milliards de dollars pour aboutir, onze ans plus tard, à une catastrophe sans fin prévisible.

Il y a eu la guerre de Libye. Menée par les néo-conservateurs français et britanniques avec l’accord et l’aide des Américains, elle a provoqué hors du mandat des Nations unies la chute d’une dictature et laissé le pays s’engager dans un processus de décomposition qui menace les pays voisins.

Il y a la guerre d’Afghanistan. Elle va entrer dans une nouvelle phase après le retrait des Etats-Unis, responsables depuis 2001 d’innombrables fautes politiques et stratégiques, de tortures et d’exécutions sommaires, et qui ont laissé se constituer un narco-Etat miné par la corruption et largement reconquis par les Talibans.

Il y a la guerre civile en Syrie. Les Américains ont eu l’intelligence de ne pas bombarder Damas comme le souhaitaient François Hollande et Laurent Fabius mués à leur tour en clones néo-conservateurs, mais ils ont laissé leurs alliés saoudiens et qataris appuyer les djihadistes.

Il y a la guerre civile en Ukraine. Encouragé et financé par les Etats-Unis, le mouvement insurrectionnel de l’ouest du pays aurait pu conduire à une transition démocratique. A Kiev, le coup d’Etat parlementaire du 22 février a durci les oppositions et provoqué des affrontements meurtriers. Tout cela pour arrimer l’Ukraine à l’Union européenne et lui faire intégrer l’Otan…

Ce n’est pas fini. L’Otan a ouvert une représentation à Tachkent le 16 mai et l’on s’inquiète des opérations de déstabilisation menées par des agents américains en Asie centrale pour contrer les Russes – au risque de faire exploser diverses poudrières.

Persuadés qu’on ne peut rien faire contre les Etats-Unis, les dirigeants français sont complices de ces manœuvres irréfléchies et criminogènes. Ils devraient prendre exemple sur la « petite » Slovaquie et sur la « petite » République tchèque, qui viennent de refuser le déploiement de troupes de l’Otan sur leur territoire. Il suffirait que la France réaffirme sa souveraineté pour qu’une autre politique soit possible, afin de contenir puis de refouler les boutefeux américains.

***

(1)  Cf. Jean-Arnault Dérens, Kosovo, un trou noir dans l’Europe (1) : sur la piste de trafics d’organes, Mediapart, 29 juillet 2012.

Editorial du numéro 1059 de « Royaliste » – 2014

 

 

 

 

 

 

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3 Commentaires

  1. OLIVIER COMTE

    La république Tchèque et la Slovaquie ont pris une décision logique qui ne peut étonner que les doctrinaires désormais
    prisonniers de la nouvelle politique des blocs.
    Les deux pays gardent le souvenir du pacte de Varsovie qui permit une invasion pseudo légale de la Tchécoslovaquie.
    Sans quitter l’ OTAN ou tomber dans le camp du néo-diable Poutine, ils préfèrent former avec la Pologne et la Hongrie une entente de quatre pays afin de pratiquer une politique de défense qui échappe à la menace d’ excès politiques pratiqués par des pays qui ne sont pas menacés par une politique d’ excès.

    Il est regrettable qu’ un nouveau fascisme pratique les vieilles recettes de l’ anti-sionisme et anti-américanisme qui peuvent servir, malgré leur schématisme dogmatique, de prétexte à refuser une politique rationnelle d’ indépendance
    qui n’ a rien à voir avec l’ anti-américanisme.

    Le leader Républicain de la chambre des représentants, qui avait progressé par l’ aile droite, est battu dans la primaire par un candidat que l’ on peut placer dans le magma du Tea Party. Cette décomposition politicienne de nos amis Américains est une véritable menace pour toute coopération avec l’ Europe.
    Le sénateur Mc Cain semble maintenant chargé de la politique européenne des Etats Unis.

    La déstabilisation de la Bulgarie est plus le fait de l’ Amérique que des nouvelles inquiétudes juridiques de l’ UE. Le gazoduc, véritable projet européen qui a l’ avantage d’ associer la Turquie, si il était mis en échec consacrerait une triste réalité géopolitique d’ un choix obligatoire entre deux systèmes opposés artificiellement.

    On nous promettait la fin de l’ histoire. On nous sert la fin de la diplomatie, la fin de la coopération. Un avenir de conflits
    certains pour des intérêts incertains.

    • Gilbert Princip

      Encore du American bashing completement maladif, obsessionnel et mono maniaque qui deforme completement la realite.
      Les USA ont apporte la democratie en Irak et en Afghanistan. Saddam Hussein etait un dictateur sanguinaire, gazeur de Kurdes, envahisseur belliciste, potentiel fabricant d’armes devastatrices (ceci reconnu par l’AIEA). Desormais le people irakien peut decider lui-meme de son avenir avec des elections libres et choisir ses dirigeants. L’apprentissage de la democratie sera long et dur en pays arabe. Cela passera sans doute par des guerres civiles et des troubles graves. Cela s’est passé ainsi en Europe il y a 2 siecles. Cela se passe aussi en Egypte la ou il n’y a eu aucune intervention etrangere.
      Quant a l’Afghanistan, l’origine des gros problemes de ce pays remontent a l’invasion russe de 1980. La volonte d’y faire perdurer un regime communiste antidemocratique a decuple les forces islamistes, obscurantistes. Desormais, les Afghans ont la possibilite d’ouvrir une autre page de leur histoire. Ce sont les Russes qui sont fauteurs de trouble en Asie centrale et au Caucase. Ce sont eux les imperialistes colonisateurs et ils y ont meme laisse leurs Pieds Noirs. Pas etonnant que ces peuples veulent eviter le tete a tete avec Moscou et s’ouvrir a l’Occident.

  2. OLIVIER COMTE

    Monsieur Princip a le mérite de rappeler que notre liberté est le fruit de plusieurs siècles de luttes. Nous sommes mal venus de faire la morale à des civilisations anciennes recouvertes d’ un Etat jeune. Dans la même idée, notre prétention à établir la démocratie par des interventions peu vertueuses et vouées à l’ échec, pour utiliser une formule de politiciens, est perverse.

    Bertrand Renouvin, suivant son habitude, s’ exprime de façon modérée, sur un raisonnement clair.

    Après le président Eisenhower, les gouvernements américains semblent être les victimes d ‘un complexe Rantanplan américain: faire le contraire de l’ adversaire/
    ennemi, dans un but incertain et un échec certain, au prix de plusieurs millions de morts.
    Le dictateur Hussein était un bon ami des Etats Unis qui l’ armaient abondamment et l’ont poussé dans une guerre d’ agression contre l’ ennemi Iranien.
    Les méchants rouges Afghans avaient libéré les femmes.
    Les armes américaines sont tombées dans les mains de 12000 combattants non Afghans (source THE TABLET)

    Les Russes offrent une possibilité de coopération économique intéressante pour l’ Europe. Ils ne menacent pas notre souveraineté.
    Les Américains , malheureusement, sont revenus à une vocation de domination, non de coopération.
    Les Etats Unis prétendent avoir une juridiction globale, sur tout et sur tous. Ils ont favorisé l’ UE qui n’ a pu établir un rôle international pour l’ euro.
    Le jugement contre la BNP est odieux, après la persécution des banques suisses et les ordres donnés à Israël.

    Je vous conseille de lire (TIME de cette semaine, page 8) le point saillant d’ une conversation entre le ministre Polonais des affaires étrangères et l’ ancien ministre des Finances.

    L’ antiaméricanisme est une vieille scie dont la chant mélodieux prétend condamner tous refus de soumission
    systématique à toutes les politiques américaines.
    Les Etats Unis défendent leurs intérêts, on ne peut leur en faire le reproche, mais il est de notre devoir de déterminer notre politique nationale suivant nos intérêts et le génie
    traditionnel de la France.