Nationalistes identitaires, libéral-conservatrices ou catho-identitaires, les droites voudraient bien se doter d’une doctrine. Elles ont trouvé de généreux financements mais les produits idéologiques qui sont sur le marché forment un bric-à-brac remarquablement indigeste.
La presse de gauche sonne le tocsin : depuis la Belgique, un affairiste français a décidé de financer, dans le cadre du “projet Périclès”, des boîtes à idées ultralibérales, de pieuses écoles hors contrat, des centres de formation pour les candidats aux prochaines élections et des projets qui vont dans le bon sens : dénonciation du wokisme, de l’islamisme, de l’immigration, promotion des valeurs chrétiennes.
Face à la campagne de la gauche contre cette nouvelle mouture de l’hydre réactionnaire, le Figaro Magazine a publié une page de publicité rédactionnelle dans laquelle Eugénie Bastié assure ses lecteurs que les promoteurs de l’affaire, Pierre-Edouard Stérin et François Durvye, sont des gens fréquentables et de surcroît très sympathiques.
Pierre-Edouard, c’est le grand patron, qui a réussi dans les affaires au point de peser 1,6 milliards d’euros. Issu d’une excellente famille (“A la maison tout le monde pleurait” quand Mitterrand a été élu en 1981), il concilie aisément conquête de parts de marché et développement spirituel : après avoir benchmarké (1) le catholicisme, il veut bondir de son tas d’or vers le Paradis. Son second, François Durvye, partage les mêmes valeurs : après la Bible, son livre préféré est un manuel de développement personnel. Il a un bel avenir devant lui pour une simple et substantielle raison : le fonds Otium, qu’il gère pour le compte de Pierre-Edouard, pèsera 25 milliards en 2045. Sûr et certain !
Pierre-Edouard et François sont donc des garçons sympas qui ont, comme tous les amis, leurs petites bisbilles. Le premier trouve que Marine Le Pen est trop molle sur l’immigration (il est partisan de la “remigration”) et beaucoup trop à gauche. Le second pense que Marine va se bonifier après avoir ingéré une médication ultralibérale – et puis il y a le jeune Bardella, bien malléable, et qui cite déjà Elon Musk.
Voilà donc deux braves patriotes, dévoués au bien commun. Il se trouve que Pierre-Edouard s’est installé en Belgique pour ne pas payer d’impôts en France mais c’est pour le bon motif : la haine de l’Etat. C’est là un très bon point pour les lecteurs du Figaro, où l’on fait une promotion régulière de l’émigration fiscale tout en déplorant notre déficit budgétaire. Et les deux compères ne sont en rien extrémistes : “Nous sommes au centre des droites” rapporte Eugénie Bastié. Quelle jolie pirouette !
Sous couvert de métapolitique et de transcendance, l’émigré fiscal et son second ont constitué une micro-société de parieurs : l’un, l’autre ou les deux placent leurs mises sur des chevaux de course qui s’appellent Le Pen, Bardella, Isnard, Retailleau, Wauquiez… Il y a des partis, des militants, des électeurs. Il y a des ennemis bien identifiés. Tous deux ont de l’argent pour diffuser les bonnes idées et les bonnes techniques. La victoire est donc à portée de main !
Sauf que… les bonnes pratiques gestionnaires ne servent à rien dans les campagnes qui mettent en jeu des imaginaires. Sauf que les idées mobilisatrices sont toutes négatives. Le Rassemblement national est un parti attrape-tout où se côtoient des gaullistes de droite, des néolibéraux, divers extrémistes. Marine Le Pen et Jordan Bardella n’ont pas besoin de doctrine pour arriver au pouvoir puisqu’ils capitalisent sur le malheur français. La presse Bolloré n’a pas plus besoin de doctrine : il suffit de dénoncer les immigrés, l’insécurité, la France insoumise, le wokisme… et de vérifier la qualité du retour sur investissement.
La société de parieurs sise en Belgique peut aisément financer les partis et officines qui travaillent dans le négatif. D’autres groupes financiers le font. Les difficultés surgissent quand les parieurs sont aussi des idéologues, d’autant plus que ce sont des idéologues qui bousculent les références habituelles des droites françaises.
Après l’enterrement du gaullisme de droite par Jacques Chirac, restaient en lice le néolibéralisme européiste et le nationalisme identitaire. Or Pierre-Edouard Stérin est un disciple des libertariens américains qui veulent tout à la fois dynamiter l’Etat et démembrer les nations au profit de zones franches et de micro-collectivités non-démocratiques, totalement soumises à la logique du capitalisme financier.
Les néolibéraux qui comptent sur l’Etat pour financer les entreprises et distribuer les “chèques” qui tentent de compenser les bas salaires peuvent-ils vraiment accepter un programme de démantèlement de l’administration ? Les gaullistes de droite qui ont rallié le Rassemblement national peuvent-ils accepter la dislocation de la nation par la prédation capitaliste ? Marine Le Pen peut-elle souscrire aux prescriptions morales des ultra-catholiques, naguère marginalisés puis écartés du Front national ? Les partis qui veulent récupérer le plus d’électeurs possible à la prochaine présidentielle ne peuvent pas entériner des thèses extrémistes. Les deux agitateurs catho-libertariens sont acceptables par les droites installées parce qu’ils peuvent financer des activités, mais ils ne sont pas les seuls donateurs possibles, loin de là. Les bénéficiaires de leurs largesses peuvent suivre un très classique conseil : Prends l’oseille et tire-toi ! De leur côté, Pierre-Henri Stérin et son compère peuvent abriter sous des thèses extrémistes un programme réaliste : purger les droites de leurs derniers gaullistes, éliminer les promesses trop sociales et faire prévaloir des mesures strictement conformes aux intérêts capitalistes. En clair : Touche pas au grisbi, et t’en auras des miettes !
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1/ Benchmarking : comparaison des diverses techniques concurrentielles.
Article publié dans le numéro 1300 de « Royaliste » – 4 mai 2025
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