Marcel Gauchet rappelle (1) que la démocratie ne se définit pas seulement par l’existence des libertés publiques : «…la démocratie, c’est le pouvoir du peuple en termes modernes la souveraineté du peuple, la souveraineté de la nation ».

Ce principe doit être immédiatement appliqué pour trancher une question qui porte sur les conditions de la souveraineté nationale, telle qu’elle s’exerce par nos représentants élus. Le Conseil européen du 9 décembre 2011 a décidé de mettre en place une nouvelle règle budgétaire aux termes de laquelle « les budgets des administrations publiques sont à l’équilibre ou en excédent… ». Cette règle devra être  inscrite dans les constitutions des Etats membres, qui seront soumis à un « mécanisme de correction automatique », établi par la Commission et le Conseil européen selon un « programme de partenariat économique détaillant les réformes structurelles nécessaires pour assurer une correction véritablement durable des déficits excessifs ».

Il faut apprendre par cœur ces morceaux de langue de bois car les décisions prises en décembre vont avoir des conséquences très concrètes sur nos institutions, sur l’économie nationale et sur les conditions d’existence des habitants de notre pays.

Si le principe de l’équilibre budgétaire est inscrit dans notre Constitution, le Parlement sera dépossédé du pouvoir, historiquement premier et fondamental, qui consiste, pour chaque représentant de la nation, à voter chaque année la loi de finances. L’article 27 établi que ce vote est personnel et libre puisque « tout mandat impératif est nul ». Dans le projet d’accord européen, les députés et les sénateurs devront obéir aux règles imposées par un organisme – la Commission européenne – qui est extérieur aux institutions françaises et non-élu. L’attentat perpétré contre la souveraineté nationale est évident.

Dans le projet d’accord européen, le stupide accompagne l’odieux : la « règle d’or » est en elle-même facteur de récession ou de dépression économique, lorsqu’on tente de la respecter. Tel est le cas dans tous les pays de la zone euro. Le « retour à l’équilibre » engendre une logique de déséquilibre que le projet d’accord prévoit de corriger par des automatismes qui aggravent la crise. Nul besoin d’avoir fait des études supérieures pour constater que les « réformes structurelles » détruisent les économies nationales et appauvrissent les peuples : telles sont les conséquences  de la baisse des salaires, de la flexibilité du travail et des privatisations. Et l’exemple de la Grèce démontre que le « partenariat économique » n’est rien d’autre que l’abdication du Parlement et du Gouvernement devant des escouades de hauts fonctionnaires formés à la discipline allemande et parfaitement indifférents aux ravages provoqués par le chômage et la misère.
Le pacte budgétaire esquissé le 9 décembre n’est pas un dispositif technique parmi d’autres. Il est anti-démocratique dans son principe et, pour les nations, catastrophique dans ses effets. Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon ont donc raison de demander l’organisation d’un référendum sur l’accord européen. On comprend que Nicolas Sarkozy veuille ignorer cette demande justifiée car le rejet hautement probable du texte aurait été le signe annonciateur de sa défaite à l’élection présidentielle. Mais François Hollande ? Il  souhaite renégocier l’accord parce que « rien n’est dit sur l’emploi, sur la croissance » – comme s’il suffisait d’ajouter ce « volet » à l’antidémocratique « règle d’or ». Surtout, le candidat de gauche annonce une ratification parlementaire de l’accord hypothétiquement renégocié avec des Allemands qui veulent s’en tenir au diktat qu’ils ont imposé.

Cette attitude est inacceptable. Le peuple souverain, qui a vu comment son choix de 2005 avait été effacé, doit être consulté par référendum sur le projet d’accord européen. Comme tant d’autres citoyens, nous demandons à François Hollande de prendre l’engagement solennel de consulter le peuple français dès la rentrée de septembre afin que, reprenant le pouvoir dont il a été dépossédé, il puisse se prononcer sur les conditions d’exercice de sa souveraineté.

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(1)    Cf. Causeur, n° 43, janvier 2012. Entretien avec Marcel Gauchet, pp. 30 à 34.

Editorial du numéro 1007 de Royaliste – 2012

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