La presse d’Albion – cette perfide –, au milieu de commentaires encomiastiques sur Dunkirk (2017) dont l’excès est à la mesure de la nullité du film, se fait l’écho de nos murmures réprobateurs concernant notre absence trop visible dans ce qui est présenté comme la reconstitution de l’Opération Dynamo. Cette prise de conscience ne peut qu’être appréciée venant d’un pays qui n’a toujours pas digéré l’affront national que lui avait porté le cinéma américain lors de la sortie du film U-571 (2000), qui s’appropriait la prise d’une machine Ultra par la marine de l’Oncle Sam, alors que chacun sait que la première saisie le fut dès mai 1941 lors de la capture de l’U-110 par le destroyer Bulldog de la marine de sa Très Gracieuse Majesté. Mais devant notre chagrin la réponse de nos ennemis héréditaires est prête : le récit n’est que celui de la seule évacuation du point de vue britannique. Sauf que sur ce plan aussi, le film est raté.
Cette reconstitution des plages n’est pas la première, et à dire vrai elles se valent toutes et n’ont toujours pas atteint la puissance évocatrice des photos prises sur le vif durant l’opération, ni des films couleurs enregistrés par les opérateurs de la Wehrmacht une fois le BEF rembarqué. On peut ainsi citer Dunkirk (1959) dont le film de Nolan n’est jamais qu’un remake, et Atonement (2007) avec son plan-séquence de cinq minutes, en passant bien sûr par Week-end à Zuydcotte (1964), le seul film de guerre français à avoir mis des moyens importants et authentiques dans une reconstitution – on oubliera les pitreries de Paris brûle-t-il ? (1966) –, et sa séquence fortement symbolique de soldats alliés abattant froidement un pilote allemand qui descend vers eux en parachute après les avoir mitraillés.
Les puristes ont ergoté sur les erreurs de matériel, dont la moindre n’est pas le jaune citron des dérives et capots des appareils de la Luftwaffe, apparus bien plus tardivement dans le conflit ; mais le spectateur est sans doute incapable sans ce marquage de distinguer, comme le faisait pourtant celui de The Battle of Britain (1969), les bons des méchants. En fait c’est une nouvelle fois la signalétique des jeux vidéos qui est ici reproduite, dont les marques doivent être retrouvées. Qu’on fasse par porosité du marketing style Ubisoft, pourquoi pas, mais qu’on ne tente pas en même temps de faire œuvre pédagogique. C’est pourtant ce que cherche à faire une des publicités du film lorsqu’elle rappelle que les pilotes de la RAF n’avaient que vingt minutes de vol utile au-dessus des plages de Dunkerque. C’est tout de même – sans rabaisser l’héroïsme des 600 So Few de la Bataille d’Angleterre à qui nous devons tous notre liberté – deux fois plus que, trois mois plus tard, les Me-109 au-dessus du sud des cottages du Sussex, avec de toute manière à chaque fois pas plus de trente secondes de munitions. Mais puisque la première partie du film est consacrée aux combats aériens, relevons que les règles d’engagement côté RAF étaient des plus strictes, la mission du Fighter Command étant de couvrir le rembarquement et de descendre les Ju-87 et 88 qui attaquaient à basse altitude, pas d’aller ferrailler à trois mille pieds et d’user prématurément les unités de Hurricane et de Spitfire avec les as des JG – ça c’est la guerre de Macron se prenant pour Tom Cruise.
Côté reconstitution des plages, comment ne pas rester sur sa faim, d’autant que les moyens numériques actuels permettent quasiment tout. Or il n’y a pas dans le film de Nolan d’ajout majeur par rapport aux reconstitutions précitées, comme si l’esthétisme avait pris le pas sur le réalisme, le bruit et la fureur sur le décor et l’ambiance, sacrifiant une nouvelle fois à cette signalétique américaine qui est devenue le standard depuis les productions Hanks-Spielberg, y compris des rarissimes productions hexagonales comme Indigènes (2006), sans aller jusqu’à la nausée comme Windtalkers (2002), Hacksaw Ridge (2016). Or Dunkerque, ce furent 400.000 soldats alliés dans un mouchoir de poche, et près de 100.000 véhicules, ceux du BEF et des divisions mécanisées françaises, abandonnés sur les routes y menant. Là encore il existe dans les archives allemandes des images bien plus parlantes, comme ce long travelling montrant l’enchevêtrement inextricable de véhicules militaires au milieu desquels les panzers renoncèrent finalement à se frayer un étroit passage (sans préjuger des longs débats qui passionnent les historiens concernant le Haltbefhl hitlérien).
Les scènes du rembarquement, qui fut un gigantesque foutoir d’où émergea un miracle, restent décevantes et surtout très convenues (on a même appris que les files en arrière plan n’étaient que de carton découpé, comme dans le cinéma de papa), tant il est clair que lorsqu’on nous montre des soldats qui battent le sable ou les pontons comme pour accéder à une attraction de Disneyland, c’est que les Stuka et leurs assourdissantes sirènes sont déjà dans le dos du spectateur. Où est-il d’ailleurs, cet ennemi invisible à l’exception des appareils de la Luftwaffe ? Pourquoi participer à cette euphémisation d’une guerre désincarnée, celle de nos interventions aériennes actuelles, sans contact ni choc ni rencontre avec un adversaire qu’on attend comme dans le Désert des Tartares, qui peut surgir d’un moment à l’autre mais dont on sait, faux suspens, qu’il n’arrivera pas ?
Ce qui amène au contentieux franco-britannique sur le film : où sont nos 40.000 hommes des trois divisions françaises qui bloquèrent l’avance allemande et sans lesquels la vieille Angleterre aurait perdu son armée ? Cette absence remarquée n’est pas un oubli : les Militaria français, prévenus longtemps à l’avance du tournage, ont fait des offres de participation qui n’auraient presque rien coûté à la production, sauf d’amender légèrement le synopsis, et qui ont été sèchement refusées. La grogne hexagonale était donc prévisible et attendue. Recherchée ?
Mais ne nous plaignons pas : le cinéma anglo-saxon vend sa camelote, et le French Bashing a tant et tant exploité le fond de commerce de notre débâcle de 1940 que le spectateur texan ou californien ne comprendrait pas qu’on lui montre des soldats français qui ne se rendent pas à première demande. C’est à nous de rectifier et de faire, pour le coup, œuvre pédagogique. Pourquoi le cinéma français, déjà peu goûteux de films de guerre, a-t-il définitivement délaissé ce genre, alors que les contraintes techniques ont disparu du fait de la magie du numérique, domaine dans lequel nos développeurs nationaux sont parmi les meilleurs du monde, et que notre Histoire millénaire est une source inépuisable de scénarios ? D’autant que nos voisins se sont remis sur ce créneau. Ainsi le cinéma russe, qui nous avait donné à l’ère soviétique Quand passent les cigognes (1957) et surtout La ballade du soldat (1959), produit désormais pléthore de films de guerre de bonne facture, au moins plastique, comme Brest-Litovsk (2010), Stalingrad (2013), ou Le Tigre Blanc (2012), variation presque onirique sur le thème de Moby Dick.
Citons aussi, parmi les autres productions européennes, le film norvégien Kongens nei (2016) et la reconstitution au début du film avec peu de moyens (ceux de la bataille) mais en trois spectaculaires minutes, de la destruction du croiseur allemand Blücher le 9 avril 1940. Allons-nous attendre que le cinéma hollywoodien se rachète en produisant un film par exemple sur Bir Hakeim – l’histoire d’une nouvelle retraite britannique qui préserva l’avenir ? Car voilà encore un miracle qui aurait été un désastre sans la résistance française. Allez, sans rancune ! Et Rule Britannia !
Jean-Philippe IMMARIGEON
Avocat et docteur en droit, Jean-Philippe Immarigeon est spécialiste de l’histoire des Etats-Unis et des questions de stratégie. Il a publié chez François Bourin Editeur La diagonale de la défaite, De mai 1940 au 11 septembre 2001 en 2010.
Dans le film, on voit des vues de la ville de Dunkerque, qui semble intacte. Alors qu’à l »époque, les allemands avaient déjà bien pilonnés la ville pour établir ce qu’on appellera la poche de Dunkerque.