La campagne pour les élections européennes de mai 2019 est d’ores et déjà mise en scène. Par petites phrases prononcées à Marseille et au Danemark, Emmanuel Macron a prévenu son public : le spectacle qu’il a monté sera tragique.

Toujours au four et au moulin, le Jupiter élyséen a rédigé le scénario, distribué les rôles et réglé les éclairages d’une pièce où l’on verra le Bien lutter contre le Mal et l’Intelligence terrasser la Bêtise. La Sainte-Alliance humaniste et progressiste, dirigée par Emmanuel Macron en personne, combattra l’Internationale des méchants (1) dirigée par Victor Orban, Matteo Salvini et Marine Le Pen.

Ravis de retrouver leur spectacle familier, comme des enfants chez Guignol, les principaux médias ont immédiatement assuré la promotion de la pièce : crânes rasés et blousons de cuir de Chemnitz pour nous rappeler la peste brune et Marine Le Pen a tous les coins de rue pour sa rentrée politique. A Marseille, lors de sa rencontre « fortuite » avec Jean-Luc Mélenchon, le chef de campagne de la République en Marche avait tenu à préciser que le patron de la France insoumise n’était pas son « ennemi » – ce qui signifiait que le Rassemblement national, dénoncé comme « dangereux », était l’ennemi à abattre.

Nous voici donc repartis pour neuf mois d’antifascisme obsessionnel sur le thème, battu et rebattu depuis 1983, de l’immigration. Ceux qui, comme nous, se préoccupent sérieusement de l’immigration, savent que cette question sera traitée pendant la campagne comme simple marqueur idéologique. Le Rassemblement national se posera en bouclier de l’identité menacée par « les migrants » et « l’islam » mais nous ne le verrons pas s’opposer au capitalisme financier, à l’euro, à l’américanisation… mais simplement à un « mondialisme » que le nationalisme identitaire ne sait ni ne veut détruire. Le bloc oligarchique brandira « les valeurs » en oubliant qu’il utilise la main d’œuvre importée pour comprimer les salaires. Chef du gouvernement, chef du parti dominant, chef de campagne, mais jamais président de la République, Emmanuel Macron brodera sur son « progressisme » – nouvel enjoliveur de l’impitoyable « réforme » ultralibérale – et sur une Europe réduite à des poncifs – celle du « Gaulois réfractaire » et du Danois luthérien…

Jeux de rôles, batailles sur des fictions où les « populistes » et les progressistes trouveront leur compte : Emmanuel Macron veut conforter une base trop fragile, Marine Le Pen veut se refaire une santé après les déconvenues de 2017, l’une comptant sur l’autre et réciproquement.

Un seul dirigeant politique pourrait monter sur scène, abattre le décor et empêcher les acteurs de déclamer leur texte : Jean-Luc Mélenchon. Quant au débat interne sur l’immigration, il pourrait déclarer que les lois sur l’entrée et le séjour des étrangers seront rigoureusement appliquées, que le traité du Touquet sera dénoncé de même que la directive européenne sur le travail détaché et qu’on cessera de sous-traiter aux entrepreneurs « humanitaires » des tâches de contrôle et de secours en mer qui relèvent des Marines nationales ou, mieux, de garde-côtes. Cela dit, le chef de la France insoumise pourrait dénoncer le libre-échangisme et le carcan de l’euro en sortant de ses ambiguïtés sur les plans A et B. L’attaque frontale portée contre l’oligarchie lui vaudrait le ralliement de nombreux électeurs lepénistes, selon la tendance esquissée en 2017.

Telle n’est pas la ligne qui a été choisie. En déclarant que les élections européennes doivent être un « référendum contre Macron », le chef de la France insoumise personnalise à outrance un combat qui devrait être mené contre les institutions et les pratiques de l’Union européenne. En désavouant Djordje Kuzmanovic pour ses déclarations sur l’immigration, Jean-Luc Mélenchon donne des gages à sa tendance « sans-frontièriste » et communautariste. Cette tactique politicienne n’a même pas pour elle l’avantage de l’efficacité à court terme puisqu’elle accrédite le clivage « progressistes » -« populistes » sur le thème de l’immigration et entérine l’évacuation du débat salvateur sur l’euro. Si Mélenchon persiste dans ses choix et confirme ses retrouvailles avec la vieille gauche du Parti socialiste, beaucoup d’électeurs resteront les bras croisés en mai prochain. A moins qu’un choc extérieur ne vienne brouiller un jeu de rôles trop bien distribués.

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(1)    Cf. sous ce titre l’article de Denis Collin : http://la-sociale.viabloga.com/news/l-internationale-des-mechants

Editorial du numéro 1151 de « Royaliste » – septembre 2018

 

 

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2 Commentaires

  1. RAYNAUD ALAIN

    Je lis avec intérêt cette rubrique. Cependant, et ce n’est pas une critique en soi, il manque à mon sens des propositions et une vision de ce que devrait être pour vous l’Europe. Nous avons déjà eu un sondage, avant même d’avoir pu lire un projet des partis, sur l’écart entre LREM, LR et RN aux européennes.
    Je suis devenu réfractaire à la notion de parti. Car, la plupart, ne défendent pas des valeurs, mais un programme et surtout une carrière.

  2. Méc-créant

    Mise en scène, retour du grand jeu?
    Oui, mais bien au-delà de ce que propose l’article: les élections au parlement européen SONT une mise en scène, pas très difficile à décoder: donner l’ombre d’une apparence de vernis démocratique suffisant à attirer les gogos acceptant de confondre bulletin de vote et démocratie, et, partant de là, à inscrire comme réflexe mental souvent inconscient, que voter pour ce parlement c’est voter pour Cette Europe. Elles permettent également de lier partis et individus au flux financier « européen »…ce qui ne risque pas d’aviver les grands élans contestataires. Ayant compris, depuis ses origines (CECA, « que les moins de 20 ans ne peuvent pas -ou peu- connaître ») que le but essentiel de cette construction était d’imposer LE DROIT DES ACTIONNAIRES A DISPOSER DES PEUPLES, je n’ai jamais attendu aucune poussière de bien-être et de progrès social pour les populations, désormais privées de toute souveraineté populaire et nationale. C’est pourquoi, vieux-con matérialiste et anticapitaliste invétéré, j’avais commis un texte de plusieurs pages tentant d’expliquer pourquoi, pour quiconque souhaitait combattre cette immondialisation, la seule attitude pouvant présenter quelque utilité ne pouvait être que l’abstention, seul petit moyen, un peu plus que symbolique, de dire merde à Cette Europe du fric. Si je parviens à retrouver (simple question de temps et de poussière) et surtout à relire les pages de ce texte (tiré sur ronéo par stencils à encre, datation historique…), je vais sans doute finir par me sentir obligé de les présenter sur mon blog pour tenter de mettre à nouveau en lumière, la grandeur de ce piège-à-cons.
    Rejoignant vos réflexions, ce n’est, en effet, pas fondamentalement le Mac squattant l’Elysée, simple porte-flingue, qu’il s’agit de combattre mais l’immondialisation aux mains des proxénètes de la finance. Quant à LFI et à son leader Mélenchon, si la référence aux souverainetés populaire et nationale –et à quelques débris de démocratie–ne relève pas seulement de la phraséologie électoraliste, cela implique inévitablement d’affirmer la volonté de sortir de l’UE, de l’euro et de l’OTAN. Mais je ne suis qu’un vieux-con…
    Méc-créant.