Ponctuée de manifestations, la lente formation du nouveau gouvernement donne lieu à son lot habituel de tractations. On s’interroge surtout sur une nouvelle dissolution et sur une éventuelle démission d’Emmanuel Macron, tandis que les milieux d’affaires préparent l’arrivée de Bardella.
Sur le bord de la falaise évoquée par François Bayrou, la classe politique a établi ses campements et allumé ses feux. Tous les clans concoctent sans entrain les nouvelles recettes de cuisine qui permettraient de rassembler autour d’une même table les membres du gouvernement.
Choisi par Emmanuel Macron dans le cercle de ses intimes, Sébastien Lecornu n’a pas la tâche facile comme on le répète du matin au soir dans les médias. Faire de petits cadeaux aux socialistes pour les amadouer sans provoquer la fureur des amis de Bruno Retailleau qui ne sont pas les amis de Laurent Wauquiez, ce n’est pas une mince affaire. La direction du Parti socialiste voudrait bien passer un accord avec Matignon mais elle craint la vindicte de La France insoumise. C’est pour amadouer son chef qu’Olivier Faure a préconisé de décorer les frontons des mairies de drapeaux palestiniens le 22 septembre. Une riche idée – illégale – qui fera avancer la cause des travailleurs…
Les mélenchonistes misent quant à eux sur une nouvelle dissolution, dans l’espoir d’une confrontation directe avec le Rassemblement national, au second tour d’une présidentielle anticipée, car ils visent la démission du président de la République. Les souhaits de La France insoumise rejoignent ceux de Marine Le Pen qui cherche à accélérer le calendrier électoral pour éviter que de nouvelles élections aient lieu pendant ou après son procès en appel qui aura lieu en janvier prochain. N’oublions pas Emmanuel Macron, qui a nommé un proche pour défendre son détestable bilan constitué par sa politique de cadeaux fiscaux et une réforme des retraites imposée avec la brutalité qu’on sait. De cette confusion, émerge une seule certitude : l’intérêt général a déserté les esprits, si tant est qu’il y ait séjourné.
La révolte sociale vient compliquer le jeu politicien. Certes, la journée du 10 septembre, lancée sur Internet par le réseau “Bloquons tout”, a été plus que médiocre dans son résultat. Deux cent mille personnes se sont réunies, des blocages ont eut lieu, mais ni les banques, ni les plateformes type Amazon n’ont été affectées. L’arrêt total, général et illimité du pays a pris fin au soir du premier jour. Les poubelles en feu et les drapeaux palestiniens brandis n’ont pas fait reculer d’un pouce le capitalisme. La France insoumise, qui s’était proclamée à la pointe du mouvement, en a étouffé la spontanéité sans lui donner un dynamique qui lui aurait permis de s’installer dans le paysage national.
Les manifestations organisées le 18 septembre à l’appel de l’intersyndicale ont été beaucoup plus réussies. Environ 700 000 personnes ont défilé, sans être trop gênées par les groupes d’extrême gauche à Nantes et à Lyon. A Paris, lors de la dispersion, les actions de harcèlement des CRS relevaient de l’amateurisme ou de l’abus de substances. On ne donne pas cher de la grande révolution antifasciste si ses troupes de choc sont des lanceurs de cailloux – même s’ils sont vêtus de noir. Les grévistes ont été nombreux mais le pays n’a pas été paralysé. Le ministre de l’Intérieur qui avait annoncé un million de manifestants et 8 000 émeutiers ; il a donc pu se féliciter de la faiblesse de la mobilisation – estimée par ses services à 500 000 manifestants – et du faible nombre de grévistes. M. Retailleau a raison de cultiver l’optimisme : c‘est une plante très rare qui risque de disparaître dans les prochains mois.
Toutes catégories confondues, les chefs d’entreprise sont très inquiets. Le pays est à l’arrêt et les services de l’Etat tournent au ralenti. C’est comme une veille d’élection présidentielle, mais l’attente risque de durer deux ans. Deux longues années d’immobilisme, dans un monde qui se transforme rapidement, dans une société qui recèle des dizaines de points de fracture et de facteurs d’explosion.
Les jours du gouvernement Lecornu sont déjà comptés et les partis se préparent avec plus ou moins d’enthousiasme à une nouvelle dissolution. Si aucune majorité stable ne s’en dégage, la question de la démission d’Emmanuel Macron sera effectivement posée avec la perspective, crédible, d’une victoire du candidat du Rassemblement national à la présidentielle.
Il va sans dire que rien n’est joué mais le Medef et les milieux d’affaires envisagent avec une faveur croissante la victoire de l’extrême droite à des élections législatives anticipées puis à la présidentielle, en 2027 ou en 2026. Le chef du parti des rentiers y était déjà favorable après les élections européennes. Présentant au Figaro le livre qu’il vient de publier – Palais Bourbier (Robert Laffont) -, Wally Bordas explique que “l’un des principaux objectifs de la dissolution était de placer le RN au pouvoir pour le décrédibiliser en vue de 2027 et redorer le blason d’un président de la République sur le déclin”. Alors qu’il s’était posé en chef du “camp progressiste” en guerre contre les nationalistes, Emmanuel Macron est directement intervenu pour favoriser des candidats lepénistes.
Le Medef et les milieux d’affaires ne sont pas dans la tactique mais dans la stratégie. A leurs yeux, le Rassemblement national assurerait la stabilité politique et Jordan Bardella s’est déjà posé en loyal gardien des intérêts du capitalisme rentier. Le petit Jordan plutôt que Marine Le Pen, jugée trop à gauche. Selon sa pente, le Rassemblement national est appelé à devenir le nouveau parti hégémonique de la droite, par ralliement des restes de la droite libérale – à la suite d’Éric Ciotti – et des débris de la macronie. A la fin de la partie, le peuple lepéniste sera floué, comme naguère le peuple de gauche.
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Article publié dans le numéro 1307 de « Royaliste » – 20 septembre 2025
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