Eric Zemmour face à la justice de son pays

Mai 20, 2022 | Billet invité | 4 commentaires

René Fievet a publié plusieurs chroniques sur ce blog et participé aux débats sur Vichy. Je le remercie d’avoir bien voulu me confier à nouveau ses réflexions.

Il semble bien qu’Éric Zemmour ne fait plus recette. On en parlait beaucoup il n’y a pas si longtemps à propos de ses déclarations provocatrices sur le maréchal Pétain, et des plaintes qui s’en sont ensuivies. Depuis, la justice a suivi son cours, et commencé à rendre son verdict. Mais on en parle finalement très peu. C’est dommage, car l’affaire ne manque pas d’intérêt.

Le jugement en première instance (février 2021) était mi-figue mi-raisin pour Éric Zemmour. Il avait été relaxé, mais uniquement en raison des circonstances, le tribunal jugeant que ses propos avaient été prononcés « à brûle-pourpoint lors d’un débat sur la guerre en Syrie » (1). Mais sur le fond, le tribunal avait néanmoins considéré que lesdits propos contenaient « la négation de la participation [de Pétain] à la politique d’extermination des juifs menée par le régime nazi. » Se fondant sur cette condamnation de principe, et voulant à tout prix faire condamner Zemmour, les plaignants (SOS Racisme) avaient fait appel. Le parquet avait également fait appel.
La relaxation d’Éric Zemmour vient d’être confirmée en appel. Mais cette fois-ci, non seulement elle donne raison à Éric Zemmour sur le fond, mais elle précise que l’incrimination dont il est l’objet n’a nulle raison d’être au plan juridique. Je vous fournis ci-dessous la motivation du jugement :
« La Cour, en premier lieu, constate que les propos de M. ZEMMOUR, s’ils peuvent heurter les familles des déportés, n’ont pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration et, en second lieu, relève que si, par arrêt du 23 avril 1945 (2), la Haute Cour de justice a reconnu le maréchal PHILIPPE PETAIN coupable d’attentat contre la sureté intérieure de l’Etat et d’avoir entretenu des intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en collaboration avec les siennes, celui-ci n’a pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945. D’où il suit que l’infraction n’est pas caractérisée. »
Sur le premier point, l’arrêt de la cour rétablit une vérité. En effet, ceux qui ont suivi cette affaire de près savent très bien que le polémiste n’a jamais dit ou écrit que le régime de Vichy avait protégé les juifs d’une manière générale entre 1940 et 1944 (il ne peut évidemment pas le dire, car ce serait du négationnisme pur et simple). Il a dit et écrit qu’il avait protégé les juifs français en sacrifiant les juifs étrangers au moment où les nazis ont mis en œuvre leurs intentions criminelles à partir de 1942, ce qui n’est pas du tout la même chose. C’est précisément pour cette raison que Zemmour, de façon particulièrement ignoble, prend en exemple le régime de Pétain comme modèle de la politique de préférence nationale qu’il entend mettre en place. Mais cela n’implique en rien une contestation du nombre des victimes des déportations ni une quelconque négation de la complicité de ce régime dans la politique d’extermination menée par les nazis. Ce serait même plutôt le contraire : cette distinction opérée entre juifs français et juifs étrangers – que ne demandaient pas les Allemands – est précisément la preuve de l’implication du gouvernement de Vichy dans l’entreprise de déportation ; c’est une signature, en quelque sorte. Mais comment faire comprendre cela à Léa Salamé et autres grandes consciences morales de notre spectacle médiatique ?
On remarquera toutefois que le premier point du jugement ne parle que du « nombre des victimes de la déportation ou (de) la politique d’extermination dans les camps de concentration », sans évoquer une responsabilité quelconque du gouvernement de Vichy dans la déportation. Or il s’agit bien du motif précis de la plainte déposée contre Éric Zemmour. Ce qui nous amène au deuxième point du jugement, qui est un pur point de droit. Le texte applicable pour incriminer pénalement Eric Zemmour est l’article 24b de la loi sur la presse qui exige, pour que l’infraction soit constituée, que le crime qui a donné lieu à contestation ait été commis par « une personne reconnue coupable…par une juridiction française ou internationale ». La Cour d’appel a simplement voulu signifier que cette condition légale n’était pas remplie dans le cas de Pétain. En effet, tous ceux qui se sont intéressés à cette époque de notre histoire savent très bien que ce qu’il est convenu d’appeler la complicité du régime du maréchal Pétain dans la politique d’extermination menée par les nazis n’est venu à notre connaissance que longtemps après les faits, à partir des années 1970. Au demeurant, ces faits ne sont plus contestés par personne ; même pas par Éric Zemmour, d’ailleurs. Par conséquent, il tombe sous le sens que la complicité de crime contre l’humanité ne pouvait pas faire partie de l’acte d’accusation du 23 avril 1945 (3). On peut même ajouter que la définition du crime contre l’humanité est intervenue à une date postérieure (accord de Londres du 8 août 1945). L’article 24b est donc inapplicable dans le cas en litige. C’est tout simplement imparable au plan juridique, et on peut même s’étonner que ce motif de rejet n’ait pas été soulevé en première instance (l’avocat d’Eric Zemmour a-t-il bien fait son travail ?). On ne peut que se féliciter que la justice française s’évite ainsi de porter un jugement sur notre histoire, à l’occasion d’une affaire aussi misérable qu’une vulgaire altercation entre Bernard-Henri Levy et Eric Zemmour sur un plateau de télévision.
Toutefois, les adversaires d’Éric Zemmour ne désarment pas, et ils ont annoncé qu’ils iraient en cassation. En cassation, on juge en droit et on ne statue pas sur le fond, ce qui laisse penser que la cour confirmera le premier point du jugement en appel, c’est à dire la relaxation d’Éric Zemmour. Et il est peu vraisemblable que la Cour de cassation contredira la Cour d’appel sur le deuxième volet du jugement, qui est factuel, nullement sujet à interprétation, et donc difficilement contestable au plan juridique.
En définitive, tout ceci donne raison à Éric Zemmour : à propos des plaintes en justice dont il était l’objet, il a déclaré que ce genre de débat devait être tranché par les historiens et non par la justice. Comment lui donner tort ?

René Fiévet

(1) Dans cette instance judiciaire, les propos d’Éric Zemmour avaient été tenus en 2019 lors d’un débat avec Bernard-Henri Levy sur la chaîne CNews :
– Bernard Henri Levy : « Un jour, dans une autre émission, vous avez osé dire que Pétain avait sauvé les Juifs français. C’est une monstruosité, c’est du révisionnisme. »
– Éric Zemmour : « C‘est encore une fois le réel, je suis désolé. »
(2) Le maréchal Pétain a été condamné par un jugement du 15 août 1945. L’arrêt du 23 avril 1945 auquel il est fait référence est en fait l’arrêt de renvoi devant la Haute Cour de justice (l’acte d’accusation, donc).
(3) Toutefois, les lois d’exception, parmi lesquelles les lois antisémites prises à partir de 1940, faisaient également partie de l’acte d’accusation du 23 avril 1945.

 

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4 Commentaires

  1. Vladimir

    « La relaxation »?

  2. Du1erjour

    Bonjour,

    Le tribunal n’avait donc à se prononcer QUE sur les propos tenus lors de l’émission de 2019, que vous rapportez ainsi :

    [– Bernard Henri Levy : « Un jour, dans une autre émission, vous avez osé dire que Pétain avait sauvé les Juifs français. C’est une monstruosité, c’est du révisionnisme. »
    – Éric Zemmour : « C‘est encore une fois le réel, je suis désolé. »]

    Je n’ai guère suivi le débat autour des propos que E. Zemmour a pu tenir sur ce sujet à cette occasion ou après. Je ferai la supposition qu’après la date de l’émission sur CNews, les propos de E. Zemmour sont restés constamment les mêmes quant au fond.

    La conversation susmentionnée est bien étrange : les interlocuteurs parlent ils de la même chose ? D’une oreille ou d’un œil distrait on dirait que oui. Et pourtant…

    Posons donc que Zemmour aurait dit : « Pétain a sauvé les Juifs français » .

    Voulait-il dire : « Pétain [par les actes officiels pris par ses gouvernements] a sauvé les Juifs français » ?

    Il est notoire que de nombreux juifs français ont été assassinés, toutefois en une proportion moindre qu’ailleurs, ce qui a nourri les spéculations des historiens ; ça, c’est le réel . On suppose que cela n’a pas échappé à E. Zemmour. Si on ne veut pas lui faire un faux procès (?) il convient donc de reformuler ainsi son opinion : « Pétain [par les actes officiels pris par ses gouvernements] a sauvé une grande partie des Juifs français » .

    Et là – oui, c’est laborieux- il faudrait s’interroger : Zemmour affirmait-il que ce sauvetage avait été recherché, et ce de façon ferme et continue de 1940 à 1944, ou exposait-il seulement qu’il aurait été le résultat paradoxal de politiques qui, finalement, ne se préoccupaient guère du sort réel des Juifs, tant français qu’étranger ?

    Quelqu’un lui a-t-il posé cette question avant que le tribunal ne soit saisi ? ( Je doute que non : et là, ça devient bien intéressant)

  3. Du1erjour

    Addendum pour éviter toute méprise sur un éventuel mien point-de vue : A la dernière question devrait s’adjoindre semblablement : ,entre l’émission de CNews et l’entrée en action de la justice, Zemmour a-t-il de lui même dissipé l’ambiguïté de ses propos en distinguant l’intention des mesures prises du résultat – si je puis décemment dire- observé par les historiens.

    Je suppose que la réponse est négative, sinon la polémique se serait éteinte ( mais voulait-on qu’elle s’éteignît ?)

  4. René Fiévet

    Réponse à Du1erjour
    1) L’accusation portée contre Éric Zemmour ne portait que sur les propos qu’il avait tenus en 2019 avec Bernard Henri Levy, et seulement cela. En toute hypothèse, je ne pense qu’il ait depuis lors modifié ou amodié son point de vue.
    2) Il me semble que vous ne faites pas la distinction entre la politique d’antisémitisme d’État de Vichy, qui n’avait aucune visée criminelle et qui concernait les juifs français tout autant que les juifs étrangers, et la complicité de Vichy dans la déportation des juifs mise en œuvre par les Allemands à partir de 1942. L’attitude de Vichy a consisté à sacrifier les juifs étrangers mais à ne pas livrer les juifs français aux Allemands. Ceci n’est contesté par aucun historien, il me semble. Il ne s’agit pas « d’actes officiels pris par le Gouvernement », comme vous dites, mais d’une négociation menée par Laval et Bousquet avec les Allemands dans le cadre de la politique de collaboration.
    3) Cela n’empêche pas que des juifs français ont été déportés. Mais je pense qu’ils l’ont été pour la plupart à partir de la fin 1943 quand les Allemands, excédés par le refus de Laval de livrer les juifs français, ont décidé de prendre les choses en main directement.
    4) Toute la question est de savoir si cette politique de Vichy explique pourquoi beaucoup plus de juifs français que de juifs étrangers ont survécu à cette période. Respectivement 39% des juifs étrangers et 12% des juifs français n’ont pas survécu. Sur ce point les historiens s’opposent, et parfois même se déchirent.