Proche de l’Action française dans les années vingt, Henri Morel, attaché militaire près de l’ambassade de France en Espagne pendant la guerre civile, avait conseillé à Léon Blum une intervention militaire pour soutenir la République espagnole.
Bon soldat et politique avisé, Henri Morel fut tout au long de sa vie un patriote exemplaire. Mais les engagements qu’il prit, tout au long d’une carrière terminée en tragédie, ne font pas de lui un officier typique. Il n’entre pas à Saint-Cyr mais à l’Ecole normale supérieure pour y préparer, sans succès, l’agrégation d’histoire – années vraiment formatrices puisqu’il conservera l’esprit normalien et la passion des études historiques.
La déclaration de guerre le surprend lorsqu’il effectue son service militaire comme sous-lieutenant de réserve dans un régiment d’infanterie. Légèrement blessé en août 1914, il fait la guerre à la tête d’une compagnie de mitrailleuses. Intégré dans les cadres de l’armée d’active, il est fait prisonnier fin 1917. A son retour d’Allemagne, il devient professeur d’histoire militaire à Saint-Cyr où il rencontre un certain Charles de Gaulle – mais les deux hommes ne s’apprécient guère. Comme tant d’autres officiers, c’est un lecteur de L’Action française, plus marqué par Jacques Bainville que par la dogmatique maurrassienne.
Henri Morel porte un regard lucide sur l’homme au combat, s’oppose au principe de la nation armée et professe une solide philosophie de l’autorité, «absolue quand elle décide », « dépendante quand elle délibère ». Entré au 2ème Bureau, il attire l’attention par ses thèses hétérodoxes qui en font un des meilleurs stratèges français, aux côtés du colonel de Gaulle et du capitaine Louis Mérat qui annonça dès 1920 le rôle redoutable du couple avion/char et l’inefficacité des «organisations fortifiées ». Mais l’Etat-major n’entend point ces arguments et Henri Morel est regardé avec circonspection. Ce qui n’empêchera pas sa nomination comme attaché militaire à Madrid en juillet 1936, au moment où éclate la guerre civile.
On sait que l’extrême droite, la droite national-catholique et l’Etat-major soutenaient les franquistes et il eut été normal que le lieutenant-colonel Morel manifestât une sympathie plus ou moins active pour le Caudillo. Au contraire. Réservé à l’égard de l’Italie fasciste puis hostile à une alliance avec ce colosse aux pieds d’argile lorsque le Duce décide l’invasion de l’Ethiopie, Henri Morel se déclare de plus en plus nettement partisan de la République espagnole, non par affinité idéologique mais parce que la victoire du gouvernement légitime sur des factieux soutenus par Mussolini et Hitler lui paraît conforme à l’intérêt national. De fait, la France était exposée à un encerclement qui rappelait de dangereuses périodes de son histoire, lorsqu’elle faisait face à Vienne et à Madrid. Le lecteur de Jacques Bainville (mort le 9 février 1936) applique en Espagne les leçons de son maître. Comme Georges Bernanos, il est alors en rupture complète avec Charles Maurras qui milite aveuglément pour l’alliance italienne et pour la victoire du franquisme.
Convoqué à Paris en mars 1938, l’attaché militaire fait un exposé officiel au chef du gouvernement et à deux de ses ministres puis profite d’un aparté avec Léon Blum pour lui lancer une phrase que le dirigeant socialiste rapportera plus tard : « Monsieur le Président du Conseil, je n’ai qu’un mot à vous dire, un roi de France ferait la guerre ».
Il n’y eut pas d’intervention et lorsque la guerre éclata, dans les pires conditions, Henri Morel fit à nouveau son devoir en combattant les troupes italiennes. Il fut de ceux qui, aux côtés du général de Lattre, tentèrent de résister à l’invasion allemande de la zone libre. Emprisonné par Vichy puis libéré, il fut arrêté par la Gestapo en juillet 1944 et déporté au camp de Hambourg-Neuengamme où il mourut le 13 septembre 1944.
Grâce au livre complet et rigoureux d’Anne-Aurore Inquimbert (1), Henri Morel a pris la place qui lui revenait dans notre histoire militaire et politique.
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Anne-Aurore Inquimbert, Un officier français dans la guerre d’Espagne, Carrière et écrits d’Henri Morel (1919-1944), Presses Universitaires de Rennes – Service historique de la Défense. 2009. 18€.
Article publié dans le numéro 982 de « Royaliste » – 2010
Je vous remercie de ce souvenir précieux, que j’ignorais.
Les publications du SHD ,comme à l’époque du SHAT, ont la fâcheuse tendance de disparaître rapidement.
Je ne me rappelle plus le nom de ce terrible radical dont la nomination comme ambassadeur à Madrid, en 1940, entraînerait l’ Espagne dans la guerre au côté de l’ Allemagne, suivant le maréchal Pétain, fin connaisseur, ancien et moderne, diplomatique du franquisme.
J’ ai découvert, grâce aux commentaires de votre ami Latour, la pensée
politique de Bainville que des préjugés m’ avaient empêché d’ étudier.