Le désordre qui caractérise les structures de l’Union européenne engendre une gouvernance chaotique, étrangère à la démocratie et soumise à l’improvisation permanente. Les discours officiels masquent ce chaos, dans la méconnaissance ou l’oubli des conflits ouverts ou cachés qui scandent les moments importants de la “construction européenne”. Ainsi la légende dorée de la prétendue “monnaie unique” recouvre un roman noir tissé d’intrigues, de calculs et d’illusions.
Lors du débat sur le traité de Maastricht, les déclarations et déclamations sur l’Europe jetaient un voile sur les intentions politiques de François Mitterrand : échapper à la zone mark, “arrimer” l’Allemagne comme le disait Roland Dumas, lui “clouer la main”. Mais les concessions faites pour calmer la douleur provoquée par l’abandon du mark se transformèrent en un piège dont nous ne sommes pas encore sortis.
Il faut aussi se souvenir que l’union monétaire avait été initialement conçue pour cinq ou six pays : la France, l’Allemagne et leurs voisins immédiats. Un mémorandum rédigé en 1994 par Wolfgang Schauble et Karl Lamers proposait d’ailleurs la création d’une “Europe noyau” fédérale limitée à l’Allemagne, à la France et au Bénélux… dont François Mitterrand ne voulait pas car il redoutait le tête-à-tête avec l’Allemagne (1). Ce sont les socialistes qui, après 1997, ont insisté pour que les pays du Sud participent, au terme de nombreuses péripéties, à la monnaie unique. Jean Quatremer écrit que “la participation à l’UEM est devenue une question de fierté nationale dans les pays, notamment ceux du Sud qui ont fait les efforts nécessaires, toutes familles politiques réunies, pour y parvenir, à la grande déception des pays du Nord, l’Allemagne en tête” (2).
On a également oublié que le gouvernement français voulait, lors de la préparation du traité de Maastricht, que la politique de change de l’Union monétaire soit sous le contrôle de l’autorité politique – ce que l’Allemagne refusait. A la suite de difficiles négociations, l’article 109 du traité fut rédigé en forme de compromis aux termes duquel le Conseil des ministres “peut formuler les orientations générales de la politique de change” (…) si celles-ci “n’affectent pas le maintien de la stabilité des prix”. Puis les banquiers centraux prirent le pouvoir, la France renonça à son idée de “gouvernement économique” et le Conseil des ministres ne se mêla jamais de la politique de change…
Il faut surtout souligner que, depuis le début, la “construction européenne” fondée sur le socle de l’amitié franco-allemande s’opéra dans la méfiance et le ressentiment. Méfiance de la France pour des raisons qu’il est inutile de rappeler. Ressentiment de l’Allemagne que François Scheer explicita en mai 1998 lors d’un séminaire qui réunissait des diplomates français et allemands peu avant le sommet d’Avignon. Claude Martin raconte que son collègue, qui était alors ambassadeur de France en Allemagne, déclara que ces séminaires qui réunissaient régulièrement les diplomates des deux pays n’avaient pas grand intérêt. On y dit “des choses convenues, qui peuvent donner l’impression que tout en ayant des divergences, nous sommes d’accord sur l’essentiel. Or nous ne sommes pas d’accord, pas du tout. Et nous ne pourrons pas l’être aussi longtemps que l’Allemagne continuera à nous reprocher d’être ce que nous sommes. On ne supporte toujours pas, chez nos voisins, que la France ait été signataire des accords de 1945, du côté des vainqueurs. Qu’elle se soit vu attribuer, et conserve jusqu’à nouvel ordre, un siège de membre permanent du Conseil de sécurité. Qu’elle soit membre du club des puissances nucléaires. On nous demande, au nom de la solidarité européenne, de renoncer à tout cela, sous prétexte que cela empêche l’Union d’avoir une position harmonisée vis-à-vis des Américains, mais en réalité, c’est l’Allemagne qui veut réduire notre statut, ce statut qui lui est insupportable. Pourquoi ne le dit-elle pas franchement ?” (3). Hubert Védrine, qui était alors ministre des Affaires étrangères, se hâta de clore la réunion, reportant à plus tard un débat qui n’a jamais eu lieu.
Il serait trop long, et très accablant, d’énumérer tous les points majeurs ou décisifs sur lesquels les gouvernements français de droite et de gauche ont reculé, face à une Allemagne qui a sans trop de peine imposé ses volontés à des dirigeants français parfois légers dans leurs analyses, trop souvent incertains dans leur stratégie et généralement ignorants, quant aux implacables logiques économiques et monétaires que recouvraient quelques mots-fétiches : Marché unique, libre concurrence, monnaie européenne.
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1/ Cf. Jean Quatremer, Il faut achever l’euro, Calmann-Lévy, 2018, p. 277.
2/ Jean Quatremer, op.cit. p. 314.
3/ Claude Martin, Quand je pense à l’Allemagne, la nuit, Mémoires d’un ambassadeur, Editions de l’Aube, 2023, p. 432-433.
Donc si j’ai bien tout lu Freud : on aurait une France qui ne mériterait pas ou plus son statut de « grande » puissance selon nos voisins Teutons, qui le supporteraient d’autant moins qu’ils dominent économiquement … au moins sur un point les Germains ont eu raison : ils étaient frileux à trop élargir l’Europe … en filigrane l’idée serait de remplacer la France comme membre permanent à l’ONU par un turn over européen. En fait les Allemands restent profondément allemands, ils veulent dominer et nous on nous rabâche le pseudo couple franco-allemand dans lequel… la France est manifestement cocue… désolé de mon langage châtié… permettez à ma moitié allemande d’être critique de nos chers voisins d’outre-Rhin et à mon autre moitié de l’être de ce côté-ci du fleuve…