La campagne pour l’élection des députés européens débute, comme d’habitude, dans la confusion des enjeux. Les partis français qui présentent leur programme “européen” n’essaient même pas de cacher que l’élection du 9 juin est un moment tactique dans leur stratégie pour la prochaine élection présidentielle.

Les électeurs réagissent à l’unisson, en citoyens français, fort peu soucieux de savoir comment s’organise à Strasbourg un jeu partisan qui unit ou oppose le Parti populaire européen (PPE), Renew Europ Group qui comprend les Français de Renaissance, les Verts, les Conservateurs et réformistes européens classés à l’extrême droite – comme leurs rivaux du groupe Identité et démocratie…

Bien entendu, tout le monde a compris que les inconnus de Strasbourg adhèrent largement à l’idéologie néolibérale et aux normes qu’elle inspire. Sous l’égide du PPE, le groupe dominant crie très fort que les partis populistes menacent les sages compromis négociés depuis des décennies. C’est oublier que les dispositifs néolibéraux sont les principales causes de la progression des diverses fractions populistes. Cécité volontaire, point différente de celle qui affecte l’oligarchie française.

En fait, après le 9 juin, toute la question sera de savoir comment les partis populistes s’intègreront dans le jeu strasbourgeois en pesant soigneusement leurs éléments de langage et les éléments du confort parlementaire. C’est dire que nos analyses et nos hypothèses seront faites à bonne distance des mobilisations vertueuses en faveur d’une démocratie qui est beaucoup plus radicalement niée par les organes de l’Union européenne que par les droites populistes.

Car c’est bien la question de la démocratie dans l’Union européenne qui devrait être posée pendant la campagne. Il faut sans cesse rappeler que le traité de Lisbonne qui définit et distribue les pouvoirs entre Bruxelles, Strasbourg et Francfort est le résultat du déni de démocratie mûrement réfléchi par ceux qui, à droite et à gauche, ont décidé d’effacer les référendums français et néerlandais ayant rejeté, voici bientôt 19 ans, le projet de “Traité constitutionnel européen”.

Ce crime originel a fondé un traité qui reprenait, en les aménageant, les principaux organes constitutifs de l’Union européenne dans un ensemble juridique lourd de contradictions : le traité de Lisbonne, comme les précédents, relève de l’ordre international alors qu’il répartit des pouvoirs qui sont ordinairement prévus par les constitutions nationales. Nous avons souvent montré que la dénomination de ces pouvoirs relève de l’illusion ou de la tromperie. Le Parlement européen n’est pas un vrai parlement : il n’est pas représentatif d’un peuple européen qui n’existe pas ; il ne vote pas un budget européen. Ce Parlement ne vote pas la loi mais il est appelé à se prononcer sur des règlements et des directives dans sa fonction de “colégislateur” qu’il partage avec le Conseil des ministres de l’Union qui réunit les ministres des Etats membres selon leur compétence : Agriculture, Transports etc. Mais ce Conseil agit tantôt comme “législateur”, tantôt comme pouvoir exécutif autonome. Il faut aussi préciser que le Conseil des ministres des Finances de tous les Etats membres (ECOFIN) se scinde en un Eurogroupe informel qui réunit les ministres des Finances de la zone euro mais aussi un membre de la Commission européenne et un membre de la Banque centrale européenne. Bel exemple de confusion entre des structures exécutives, législatives et monétaires qui échappent au contrôle du Parlement européen. Les choses se compliquent encore lorsqu’on s’intéresse à la Commission européenne : cet organe de l’exécutif qui est censé promouvoir l’intérêt général de l’Union dispose du monopole de l’initiative “législative”, tout en étant membre du Conseil européen qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement.

Certains avaient rêvé que le Conseil des ministres de l’UE deviendrait un Sénat et que la Commission se transformerait en gouvernement afin de réduire le rôle du Conseil européen. Il est vrai que les pouvoirs formels du Parlement européen ont été accrus mais cette extension, loin de combler le fameux “déficit démocratique”, a coïncidé avec une forte baisse de la participation aux élections européennes : 63% de votants aux élections de 1979, 43% en 2009, 50% en 2019. Ces pourcentages ne signifient pas que les électeurs des Etats membres se désintéressent des questions européennes. En France, les débats sur le traité de Maastricht et sur le “Traité constitutionnel” ont mobilisé de très nombreux citoyens et, à l’étranger, les référendums ont été âprement discutés. Dans les deux camps, il y avait la conviction que le vote pouvait confirmer ou changer le cours de l’histoire. Les élections au Parlement européen ne décideront ni du fonctionnement, ni de l’avenir de l’Union européenne. Elles nous donnent cependant l’occasion de jeter quelque lumière sur un système opaque et de présenter notre projet pour l’Europe.

***

NB : Pour une analyse plus complète et solidement référencée, cf. sur ce blog la série d’articles publiés en août 2023 : “Europe” : Ils ne savent pas ce qu’ils font.

Editorial du numéro 1275 – 25 mars 2024

 

 

Partagez

1 Commentaire

  1. RR

    Cet éditorial mériterait d’être largement diffusé (ce qui ne serait pas dans l’intérêt de ceux qui nous dirigent donc que l’on ne compte pas sur les médias officiels pour le faire paraitre !)..