La campagne pour les élections européennes s’annonce comme une non-campagne sur l’Union européenne : elle se réduira à un affrontement entre la macronie et le Rassemblement national. La répétition politicienne du combat des mêmes contre les mêmes crée la sensation d’une vacuité qu’il n’est pas inutile d’explorer.

La nature politique ayant horreur du vide, il est intéressant d’observer de quelles différentes manières la Communication le remplit. Gagné par la pédanterie qui marque l’esprit du temps, je pose comme hypothèse scientifique que le vide politicien est simultanément comblé par de l’infra-réalité et par du surréel. Ceci en doses variables, qui forment un composé instable.

Portée à la tête de la liste Renaissance pour les élections du 9 juin, Valérie Hayer nous offre un bel exemple d’ouverture vers l’infra-réalité. Ce personnage, qui présidait au Parlement européen le groupe néolibéral Renew Europe, a confirmé le 3 mars lors d’un entretien télévisé la vérité qui se cachait sous les gentillesses humanistes du discours officiel sur l’immigration : “ J’attends, a-t-elle déclaré, que les acteurs économiques se positionnent sur ce sujet-là et ensuite on offre le cadre de travail politique pour répondre aux besoins”.

On se doutait que le patronat faisait prévaloir ses intérêts, mais c’est bon de l’entendre dire par une personne qui indique d’autant plus sûrement l’infra-réalité qu’elle en fait pleinement partie. Car la tête de liste réelle de la campagne réelle, ce sera bel et bien Emmanuel Macron qui, nous dit Louis Hausalter dans Le Figaro du 26 février, “veut tout donner pour sa «dernière campagne nationale»”. Valérie Hayer ne sera que l’assistante du chef de campagne, qui comme d’habitude oublie qu’il est élu pour accomplir la mission dévolue au chef de l’Etat. Si nous en avons le temps, nous nous amuserons à comparer les prestations de Valérie Hayer et de Nathalie Loiseau, qui présida aux médiocres destinées de la liste macronienne en 2020.

J’en viens au surréel. On se souvient sans aucun doute qu’André Breton avait défini le surréalisme comme un “automatisme psychique pur” exprimant “le fonctionnement réel de la pensée”. Mais quand Breton évoque une “Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale”, je pointe quant à moi une dictée de la non-pensée car la Communication ne pense pas mais joue en automatique de plusieurs langues de bois, de plus en plus dégradées.

C’est d’un épisode surréaliste que nous sommes menacés, lors du 80e anniversaire du Débarquement de Normandie. Comme les cérémonies auront lieu trois jours avant le scrutin, l’Elysée a fait savoir que le chef de la campagne Renaissance s’exprimera le 6 juin. Un conseiller a déclaré aux Echos que “ce sera l’occasion de rappeler d’où vient le RN” mais l’entourage élyséen assure qu’Emmanuel Macron n’en profitera pas pour faire campagne – ce qui est tout de même paradoxal puisque la campagne macronienne vise principalement le Rassemblement national, dénoncé abusivement comme le parti de la sortie de l’UE et de la Russie.

Lors du précédent quinquennat, Emmanuel Macron avait donné à choisir entre son “progressisme” et le “nationalisme”. Il reprend la même dialectique, en lui donnant un coup de peinture historique qui lui permettrait d’opposer les patriotes de Renaissance aux collabos du RN. C’est là une vision onirique, engendrée par un psychisme infantile, loin, très loin du “fonctionnement réel de la pensée” que cherchait André Breton. La confrontation surréelle qu’Emmanuel Macron voudrait imposer se heurte à deux réalités. Dans l’électorat actuel et potentiel de Jordan Bardella, personne ne prendra au sérieux les allusions à l’Occupation. Et dans l’électorat patriote, qu’il vote ou non pour le RN, personne ne prendra au sérieux un homme qui oserait invoquer la France libre alors qu’il a, depuis qu’il est aux affaires, accepté ou favorisé l’abandon des intérêts français. Car c’est bien l’Europe du traité de Lisbonne qu’Emmanuel Macron affirme défendre.

Mais, au fait, où commence et où s’arrête cette Europe-là ? Le 3 mars, dans un débat avec Daniel Cohn-Bendit, Luc Ferry a affirmé que “tous les pays baltes ne sont pas encore dans l’Otan – je parle de ceux qui ne sont pas dans l’Union européenne » avant de citer le Monténégro et la Serbie ! Contesté par Daniel Cohn-Bendit, qui a évoqué quatre pays baltes, l’ancien ministre de l’Education nationale s’est obstiné et a promis de donner “la liste des pays baltes qui ne sont pas dans l’OTAN et qui souhaitent y entrer ». Les protagonistes se posent en européens convaincus mais l’un invente un quatrième pays balte et l’autre confond les Etats de la Baltique et ceux des Balkans. C’est ne pas aimer l’Europe qu’ils placent, comme une grande partie de l’élite, quelque part dans le surréel.

Les réalités demeurent, cependant, dans leurs froides contradictions. La Bourse, en pleine euphorie, a dépassé les 8 000 points, et l’accumulation des richesses va bon train. De sondage en sondage, les Français confirment que leur priorité c’est l’inflation et le pouvoir d’achat. Mais ça, c’est l’affaire de la Banque centrale européenne, dont il ne sera pas question dans la campagne qui peine à s’ouvrir.

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Article publié dans le numéro 1274 de « Royaliste » – 10 mars 2024

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 Commentaire

  1. RR

    Il est évident que M. Macron souhaite avoir comme « opposition » le Rassemblement « national ». C’est ce que l’on appelle l’opposition contrôlée. En effet, quelle meilleure façon pour M. Macron de faire monter ce parti que de le désigner comme son adversaire voire son ennemi. On peut être sûre ainsi de rabattre sur ce parti de fausse opposition une bonne partie de ceux nombreux qui détestent le pouvoir en place.
    En revanche, si l’on veut empêcher une formation de progresser, il y a un moyen simple: c’est de ne pas en parler ce que se garde bien entendu de faire M .Macron pour le R »N ».