Tirer ou ne pas tirer sur l’ambulance de la gauche ? Telle est la question qu’il est inutile de poser. Les balles et les boulets traversent les corps zombifiés qui poursuivent leur course erratique, tandis que la campagne présidentielle se déroule sur un autre échiquier.
En introduction à un recueil de chroniques, Laurent Bouvet évoquait au printemps 2017 une “… gauche française qui ressemble aux zombies des films et séries télévisées, continuant de s’avancer sans but et de s’entre-dévorer alors qu’elle ne vit plus depuis longtemps” (1). Nous sommes toujours devant ce spectacle dérisoire, avec pour seule différence la disparition politique de François Hollande qui était alors un “président mort-vivant”, ponctuant le désastre en cours de ses bons mots.
Mais désastre de qui, et de quoi ? La gauche se réduit aujourd’hui à une invocation, qui fait allusion à une mythologie faiblement reliée aux complexités de l’histoire. L’idée d’une unité de la Volonté générale dans la représentation du peuple tout entier à l’Assemblée nationale est mort-née pendant la Révolution française. Quant au rejet de la fonction gouvernementale au nom de la représentation du Peuple par le Peuple, elle s’est heurtée aux rudes nécessités du pouvoir : la gauche radicale et socialiste, quand elle a gagné les élections de 1936, a pu mettre en œuvre son programme parce que Léon Blum était chef de gouvernement. La manière dont les partis de l’Union de la gauche se sont installés dans la Ve République après 1981 a prouvé que “la gauche” acceptait à la fois la monarchie présidentielle et les responsabilités ministérielles dans un régime de parlementarisme rationalisé. Si Robespierre était revenu sur terre pour vivre les deux septennats de François Mitterrand, il aurait dénoncé comme “fripons” Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Michel Rocard et n’aurait pas oublié, dans sa liste de guillotinables, Jean-Pierre Chevènement.
Il va presque sans dire que ce sont les reniements du Parti socialiste, le sectarisme des Radicaux de gauche et l’effondrement de l’Union soviétique qui ont provoqué la zombification de la gauche. Depuis quarante ans, nous avons consacré des milliers d’articles à cette déroute collective qui est maintenant un phénomène dûment attesté. La débandade des “forces de gauche” a été soulignée par les progrès du Front national, qui a fini par attirer les suffrages d’une majorité d’ouvriers et d’employés – quand ceux-ci ne se réfugient pas dans l’abstention. Cette évolution a été niée par la “gauche morale”, qui pensait que l’expression de son mépris et de son dégoût, agrémentée par l’évocation des “heures sombres”, suffirait à ramener au bercail les brebis populaires égarées. Comme le retour dans les bergeries socialistes et communistes ne se faisait pas, de brillants stratèges en conclurent qu’il fallait abandonner le peuple pour draguer les minorités. Ce fut le moment Terra Nova et l’accent mis sur les évolutions sociétales qui fournirent à Christiane Taubira son capital symbolique. On oublia – on oublie encore – que le tournant sociétal, déjà annoncé par Lionel Jospin quand il était Premier ministre, était le moyen de compenser la reddition totale face au capitalisme financier.
Nous en sommes toujours là. Il s’agit désormais d’observer de temps à autre les degrés et les formes d’une décomposition intellectuelle et politique tout autant que morale – car nul n’a oublié que la corruption des élites de gauche était venue adoucir les déceptions militantes, du moins pour ceux qui n’avaient pas la bêtise de se faire prendre la main dans le sac.
Dans sa nouvelle version quinquennale, le bal des zombies de gauche décourage le commentaire. Voici Anne Hidalgo, socialiste officielle. Comment pourrait-elle s’adresser à l’ensemble des Français et tout spécialement à la majorité qui vit dans la France périphérique alors qu’elle est l’incarnation de la bourgeoisie urbaine, le fruit de la métropolisation qui refoule toujours plus loin la population laborieuse ?
Voici Jean-Luc Mélenchon, qui a réussi à faire oublier qu’il ne serait rien sans les institutions de la Ve République et qui est devenu quelque chose dans le gouvernement de Lionel Jospin, champion des privatisations. Devenu populiste de gauche, il a fait naître des espoirs en 2017 puis il s’est ingénié à les détruire tout au long du quinquennat, comme si les anciens trotskistes du NPA, les indigénistes et toute la mouvance islamo-gauchiste constituaient son sur-moi. Devenu accroc à l’élection présidentielle, il périra de sa drogue.
Voici Arnaud Montebourg, qui semblait envisager un rassemblement de type gaullien sur un programme de reconquête de la souveraineté avant de paraître se résigner à une union de la gauche impliquant compromis et compromissions.
Voici Fabien Roussel, qui renoue avec la ligne industrialiste du Parti communiste… en oubliant de préconiser l’indispensable dynamitage de l’euro.
Voici enfin Taubira, rentière du Mariage pour tous, promue icône de la gauche sur la base d’un opportunisme radical. Elle vient de faire don de son altière personne à l’Union de la gauche. Le retour du zombie nous divertira, le soir à la veillée.
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(1) Laurent Bouvet, La gauche zombie, Chroniques d’une malédiction politique, Lemieux éditeur, mars 2017.
Article publié dans le numéro 1225 de « Royaliste » – 2 janvier 2022
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