Avec Emmanuel Macron, nous sommes entrés dans une nouvelle phase de ce mouvement néo-libéral puis ultralibéral commencé en 1983 lors du “tournant de la rigueur”, confirmé en 1986 avec la première vague de privatisations, poursuivi par Michel Rocard, chantre de “l’Etat modeste”, par Jacques Chirac et Lionel Jospin qui assurèrent le passage à l’euro, par Nicolas Sarkozy et sa “Révision générale des politiques publiques”…
Constante à droite comme à gauche, cette volonté de réduire au minimum les services publics et l’administration générale a coïncidé avec l’abandon de notre politique commerciale, monétaire puis budgétaire, gérées depuis Bruxelles, Francfort et Berlin selon les préceptes imbéciles de l’idéologie dominante.
Le clan Macron s’est installé au moment où le début de la dislocation de l’Union européenne et l’entrée en crise politique puis économique de l’Allemagne ont rapidement privé la nouvelle équipe du très commode alibi “européen” et du non moins commode “modèle allemand”. C’est aussi le moment où s’amorce la fin de la “mondialisation” et où le porte-parole de l’élite affairiste, Alain Minc, avoue que les principes économiques auxquels il croyait ne rendent pas compte des réalités observées et que “nous sommes, dès lors, désemparés car privés de boussole macroéconomique” (1). L’attitude d’Emmanuel Macron est au rebours de ce désarroi publiquement exprimé. Contesté ou récusé par une large majorité de Français, l’homme qui se dit président persévère dans la radicalité économique et sociale.
Cette phase de radicalisation touche tous les domaines : la SNCF de plus en plus ouverte à la concurrence, Aéroports de Paris menacé de privatisation, EDF visé par un plan de démembrement… L’étranglement financier de l’hôpital public et de l’université se poursuit. L’enseignement public secondaire, confronté au succès de l’enseignement privé, est soumis à la réforme Blanquer qui va provoquer la concurrence entre les professeurs, le recours massif aux stagiaires et l’écrasement du personnel administratif sous les tâches bureaucratiques. La réforme de la fonction publique générale annonce sa destruction par recours aux contractuels et par application systématique des “méthodes du privé”. La Police nationale, la gendarmerie et les pompiers sont accablés de tâches souvent périlleuses, sans recevoir les équipements nécessaires à leur sécurité, sans bénéficier du niveau de salaire qui signifierait que leur dévouement est reconnu. Les projets sur les retraites résument le sens d’une entreprise qui consiste à “faire des économies” sur le dos des classes moyennes et populaires et à favoriser en tous domaines le secteur privé.
Cette radicalisation semble aboutir à l’insupportable paradoxe d’un clan qui s’ingénie à gouverner contre l’Etat. Le paradoxe est dans l’apparence car les institutions de la Vème République ont fait l’objet depuis vingt ans d’une subversion au cours de laquelle le gouvernement défini par la Constitution a été remplacé par une gouvernance oligarchique. Avec Emmanuel Macron, la base sociale du groupe dirigeant s’est rétrécie et le parti présidentiel n’a pas la solidité et l’influence des défunts partis de gouvernement. Face à la révolte des Gilets jaunes, le clan Macron a découvert son isolement et n’a dû son salut qu’à l’utilisation brutale des forces de police, qui a empêché les fraternisations naissantes.
Cette sinistre victoire tactique lui a offert un court répit. Le 2 octobre, les fonctionnaires de police manifestaient place de la Bastille. Alors que les CRS épuisés souffrent du sale travail qu’on leur fait faire, on les a jetés le 15 octobre contre les pompiers. L’affrontement de deux corps chargés de la sécurité des citoyens a provoqué un trouble profond. Il n’est pas sûr que la Police nationale accepte longtemps que des gens qui la méprisent l’envoient cogner des pompiers ou des professionnels de la santé en lutte pour la défense de l’hôpital public.
Tandis que la grève se poursuit dans les services d’urgence, tandis que les pompiers manifestent, le soudain mouvement du personnel de la SNCF, invoquant le 18 octobre le droit de retrait après l’accident survenu dans les Ardennes, confirme que la radicalisation de l’oligarchie attise l’esprit de révolte. Nul ne peut gouverner contre l’Etat. Nul ne peut gouverner contre les serviteurs de l’Etat.
Nous approchons du point de rupture.
***
(1) “Le Figaro” du 23 août 2019.
Editorial du numéro 1175 de « Royaliste » – Octobre 2019
0 commentaires