La France moderne est issue d’une guerre civile qui faillit la détruire. Henri IV, tel que l’étudie Jean-Christian Petitfils (1) est le fruit de cette violence paroxystique. Le Navarrais a su ressaisir le principe de légitimité, maintenu tant bien que mal avant lui par les détenteurs successifs du pouvoir monarchique.

 

Au milieu du XVIe siècle, l’unité du royaume de France est encore très fragile. La situation de la Navarre est significative à cet égard : son roi, Henri II d’Albret, préparait à la veille de sa mort (1555) l’invasion de la Guyenne par les troupes espagnoles. L’héritière du trône, Jeanne III, mère du futur Henri IV, reprend les projets de son père, son mari Antoine de Bourbon, premier prince du sang, négocie une alliance militaire avec Madrid, et son jeune frère participe aux côtés des Espagnols au siège de Saint-Quentin en 1557. Quand la situation militaire se retourne in extremis au profit des Français, le roi de France Henri II pardonne la trahison des Navarrais afin que le Sud-Ouest ne bascule pas dans le camp espagnol. Quelques mois plus tard, Antoine de Bourbon participe à une réunion de 4 000 protestants à Paris : chez lui comme chez tant d’autres, les calculs politiques ne se confondent pas avec les choix religieux.

La mort accidentelle d’Henri II, le 10 juillet 1559, survient au pire moment. Les protestants ont adopté des structures nationales au mois de mai et Henri II les a voués au bûcher le 2 juin ; l’héritier du trône, François II, est trop jeune et peu avisé ; les très catholiques Guise, installés au pouvoir par Henri II, se sont empressés de rafler toutes les fonctions ; Antoine de Bourbon, bien que solidement épaulé et très populaire, n’ose pas s’imposer comme régent. Les conditions de la guerre civile sont dès lors posées.

Entre 1562 et 1598, la France subit huit guerres de Religion. Elles sont provoquées et relancées par la furie purificatrice des fanatiques dans un climat de peur eschatologique, par le calcul politique et les liens féodaux, par les hésitations, les erreurs et les fautes de la Couronne. C’est le parti ultra-catholique qui crée une situation de violence. Inspirée par les Guise, l’ordonnance de Villers-Cotterêts que François II signe le 5 septembre 1559 prévoit des mesures d’extrême rigueur à l’encontre des protestants, marquées deux mois plus tard par l’exécution en place de Grève d’Anne du Bourg, conseiller clerc au Parlement de Paris. En 1560, la répression sanglante de la conjuration d’Amboise sur ordre des Guise provoque une réaction salutaire de Catherine de Médicis qui pousse François II à prendre pour chancelier Michel de l’Hospital et à signer des édits d’apaisement. Après l’échec du colloque de Poissy réunissant catholiques et protestants, le massacre de Wassy ordonné par François de Guise contre 500 protestants réunis dans ce bourg lorrain le 1er mars 1562 déclenche les exactions, de nouveaux massacres de protestants puis des batailles rangées interrompues par des paix précaires. Il se vérifie alors que toute guerre civile entraîne des interventions étrangères – l’Espagne aux côtés des ultra-catholiques, l’Angleterre en soutien des Réformés, chaque pays utilisant la solidarité religieuse pour obtenir des avantages géostratégiques.

Au début de cette période funeste, les Français voient se succéder deux rois médiocres. François II, âgé de quinze ans lorsqu’il succède à son père, faible de corps et d’esprit, règne de septembre 1559 à décembre 1660. Charles IX n’a que dix ans lorsqu’il lui succède et ne révèle guère de talents à sa majorité puis durant sa courte vie qui s’achève en mai 1574. C’est Catherine de Médicis qui pallie ces défaillances. Ses capacités politiques exceptionnelles font de celle qui a su s’imposer comme régente  “un grand roi”, comme l’a dit Balzac. Son souci primordial est l’unité du royaume par l’apaisement des tensions religieuses qu’elle fait prévaloir par l’édit d’Amboise du 8 mars 1560 – sans parvenir à empêcher le déclenchement, deux ans plus tard, des hostilités.

C’est dans cette situation tragique que paraît sur le devant de la scène le jeune Henri de Navarre. Né le 13 décembre 1553 à Pau, le fils d’Antoine de Bourbon est premier prince de sang et passe sa prime jeunesse à la cour avant de revenir en Béarn. Son père, qui combat aux côtés de François de Guise, meurt de ses blessures en novembre 1562 ; sa mère Jeanne d’Albret, devenue seule souveraine du royaume de Navarre et de la vicomté de Béarn, est une militante de la religion réformée et s’affirme comme telle face à la Cour et à nombre de ses sujets. Son fils, nommé gouverneur de Guyenne par Catherine de Médicis en 1563, affronte victorieusement en 1568 une ligue, peu combative, de seigneurs catholiques en révolte contre sa mère. Pendant la troisième guerre de Religion, il est aux côtés de l’amiral de Coligny et participe à la bataille d’Arnay-le-Duc, prélude à la paix de Saint-Germain du 8 août 1570. Devenu roi de Navarre en 1572, il est marié la même année à Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, afin de réconcilier les catholiques et les protestants. Mais c’est le pire qui se produit.

Monté par militants de la Sainte Ligue ultra-catholique, l’attentat contre l’amiral de Coligny déclenche les massacres de la Saint-Barthélémy, en août 1572. Le roi de Navarre est épargné mais assigné dans ses appartements dans l’attente de sa conversion tandis que l’autorité royale, qui n’avait cessé de chercher la modération face aux partis de guerre civile, se trouvait durablement compromise par la décision d’éliminer les chefs protestants en recourant au duc de Guise, chef de la Ligue. Après s’être échappé de la Cour en février 1576, le roi de Navarre rejoint les protestants, prend part à la septième guerre de Religion et affronte l’armée royale qu’il défait à Coutras en 1587.

Dans la confusion des titres et des fonctions, des rangs et des rôles, des alliances et des ruptures, des complots et des révoltes nobiliaires, où se mêlent les convictions religieuses et les enjeux politiques, le principe de légitimité continue d’être affirmé. Le roi de Navarre, même quand il guerroie contre le roi de France, n’est pas exclu de l’ordre de succession et en 1584, à la mort de François d’Anjou, frère cadet d’Henri III, le Navarrais est selon le droit l’héritier du roi régnant. Après avoir fait assassiner le duc de Guise et son cardinal de frère, Henri III se réconcilie avec le roi de Navarre et tous deux entreprennent de refouler la Ligue, qui tient Paris. Sur le point de mourir, après avoir été blessé par Jacques Clément, Henri III reconnaît le roi de Navarre comme son successeur, tout protestant qu’il est, et c’est le roi de France Henri IV qui va mener une guerre finalement victorieuse contre la Ligue soutenue par l’Espagne.

Dans la tâche périlleuse de réunification du royaume disloqué, de pacification du conflit religieux et de réconciliation des Français, les détenteurs successifs de l’autorité royale ont bénéficié du concours du parti des Politiques. Ce n’est pas un parti au sens moderne du terme mais une conjonction de personnalités exprimant le même souci de modération du conflit religieux et de restauration de l’unité par le moyen de l’État royal. On les voit peu dans la biographie de Jean-Christian Petitfils, évidemment centrée sur le personnage et la personnalité du Vert Galant mais leur pensée et leur engagement sont, au sens strict, fondamentaux.

Michel de L’Hospital, inflexible tuteur du jeune Charles IX, incarne au plus haut point le service de l’Etat – encore inscrit dans un plan religieux. Auteur de l’édit du 17 janvier 1562, il tente d’organiser une coexistence confessionnelle. “Il n’est pas question ici d’établir la Religion mais d’établir la République. Et plusieurs, qui ne sont point chrétiens, peuvent être citoyens” déclare-t-il devant l’assemblée de Saint-Germain en 1562. La pensée et l’œuvre du Chancelier inspirent le parti des Politiques où l’on trouve les catholiques Etienne Pasquier, Guy Coquille, Jacques-Auguste de Thou, les protestants François de La Noue et Philippe Duplessis-Mornay, principal ministre du roi de Navarre. Les Six Livres de la République, que Jean Bodin publie en 1576, donne aux Politiques une pensée d’une remarquable ampleur qui trouve sa pleine expression littéraire dans la Satire Ménippée tournée contre la Sainte Ligue. Après la réconciliation d’Henri III et du Navarrais, la lutte des catholiques et des protestants royalistes contre la Ligue comble les vœux des Politiques qui triomphent lorsque le roi Henri IV reconquiert la capitale le 22 mars 1594, puis le royaume.

La victoire du roi et des Politiques est celle de la légitimité et du patriotisme. Face aux Espagnols qui proposent l’infante Isabelle-Claire Eugénie, fille de Philippe II, comme reine de France et qui envisagent de la marier à Ernest d’Autriche puis au duc de Guise, le Parlement réaffirme par l’arrêt Le Maistre du 28 juin 1593 les principes d’indisponibilité de la Couronne, de masculinité et d’exclusion des princes étrangers – auxquels s’ajoute le nouveau principe de catholicité dans le cadre gallican réaffirmé par les évêques – peu avant que le roi légitime se convertisse au catholicisme le 25 juillet 1593.

L’édit de Nantes s’inscrit évidemment dans la politique de réconciliation. C’est un acte de souveraineté, préparé et mené à son aboutissement en avril 1598 par les conseillers du roi, parmi lesquels Jacques-Auguste de Thou, qui garantit la liberté de conscience et, avec de notables exceptions, la liberté de culte pour les protestants. Il aura fallu un long et dur usage de la force armée pour que les règles de droit puissent à nouveau prévaloir sur la logique de guerre civile et sur l’intervention étrangère.

La réunification du royaume fut longue et financièrement très coûteuse. Henri IV s’appuie sur de fidèles compagnons, protestants et catholiques, et réorganise l’État en s’appuyant tout particulièrement sur Maximilien de Béthune, devenu duc de Sully, et sur Neufville de Villeroy. Le rétablissement de l’ordre dans le pays implique une politique de centralisation qui est loin de ce que nous avons connu à partir du XIXe siècle. L’appareil étatique est encore très faible et le pouvoir royal doit sans cesse passer des compromis avec la haute noblesse, l’Église, les provinces et les villes. L’absolutisme est alors clientéliste et le système ministériel est encore à l’état d’ébauche mais la monarchie française est en mesure de réaffirmer sa puissance face à l’Espagne. L’assassinat d’Henri IV ne fit que renforcer le pouvoir royal tandis que naissait la légende henricienne qui enrobe de solides acquis : l’esquisse de l’Etat moderne par la nette distinction des pouvoirs politiques et religieux, le renforcement d’un sentiment pré-national dans les épreuves de la guerre civile et le rejet des partis religieux.

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(1) Jean-Christian Petitfils, Henri IV, Perrin, 2021.

 

Article publié dans le numéro 1227 de « Royaliste » – 30 janvier 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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