N B : Cet article contient un erreur de fait sur le programme de Jean-Luc Mélenchon et une erreur d’interprétation – voir ci-dessous le commentaire publié par Valentin. Je publierai une mise au point le jeudi 16 mars.
Jean-Luc Mélenchon est un coureur de fond qui se dirige fièrement vers une impasse. J’écris ces mots avec regret car le candidat de la France insoumise a des qualités qui sont devenues rares dans le milieu politique. C’est un homme de convictions, servies avec intelligence et courage. Son entrée en campagne fut gaullienne – il sut s’adresser directement au peuple – et il est resté libre de toute allégeance partisane au grand dam du Parti communiste. Il défend des idées socialistes et le mot d’ordre de la planification écologique est, quel que soit l’avenir du candidat, de très grande portée. Nous lui avons adressé ici même nos critiques et nous les reprendrions volontiers, pour les développer ou les amender, si nous ne butions sur le premier point du programme mélenchonien qui inspire le Défilé pour la 6ème République du 18 mars.
Pour Jean-Luc Mélenchon, la première urgence est d’abolir la monarchie présidentielle par l’élection d’une assemblée constituante qui restaurerait le pouvoir populaire. Le candidat précise qu’il démissionnera de sa fonction dès l’élection de cette Constituante mais la procédure qu’il envisage est pour le moins expéditive : Jean-Luc Mélenchon annonce qu’il « convoquera » une assemblée constituante … mais il ne prévoit pas la consultation du peuple souverain sur ce point. Nous nous souvenons, nous, que le Gouvernement provisoire de la République française avait posé au peuple français, le 21 octobre 1945, la question suivante : « Voulez-vous que l’Assemblée élue à ce jour soit constituante ? ». Nous nous souvenons aussi que le premier projet constitutionnel avait été présenté au peuple souverain qui l’avait rejeté par référendum le 5 mai 1946. Il avait fallu élire une nouvelle Constituante, le 2 juin, qui avait rédigé la Constitution de la IVème République, adoptée le 13 octobre 1946.
Je donne les dates pour souligner la longueur du processus et ses aléas. A la Libération, la rédaction d’une nouvelle Constitution était indispensable et il y avait, sous la présidence du général de Gaulle, un Gouvernement provisoire qui tirait son autorité de l’insurrection nationale et de la participation de l’Armée française à la victoire : il était dès lors possible de mener une action politique résolue. Nous ne sommes plus du tout dans cette situation puisque la nation vit une crise de légitimité et de souveraineté. Si Jean-Luc Mélenchon démissionne après l’élection de la Constituante, il faudra élire un nouveau président de la République qui devra composer avec le gouvernement issu de l’Assemblée nationale constituante – ce qui ajoute de nouveaux aléas et risque d’aggraver la crise de légitimité et d’empêcher la résolution de la crise de souveraineté. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon suppose, sans le dire, que les députés de la Constituante seront majoritairement favorables au programme de la France insoumise. C’est un pari. Rien ne dit qu’il sera tenu.
J’avoue ne pas lire toutes les déclarations de Jean-Luc Mélenchon et il est possible que de rassurantes précisions, quant au respect de la souveraineté du peuple, m’aient échappé. Dans l’attente d’une mise au point, je maintiens que la crise multiforme qui frappe la nation exige dans l’immédiat le maintien de la Vème République en raison des pouvoirs qu’elle accorde au président de la République et, à court terme, une révision de la Constitution. A cet égard, la Nouvelle Action royaliste insiste depuis longtemps sur la nécessité de :
– Rétablir la fonction présidentielle en assurant au chef de l’Etat un mandat plus long que celui des députés ;
– Contraindre le Premier ministre à sa tâche – il « dirige l’action du Gouvernement » – en lui interdisant de se présenter à l’élection présidentielle qui suit son entrée en fonctions ;
– Renforcer la représentation nationale par l’élection des sénateurs au suffrage universel direct et à la proportionnelle intégrale.
Jean-Luc Mélenchon se trompe sur l’urgence. Il veut d’abord la refondation constitutionnelle et il risque d’affaiblir l’Etat dans une période critique. Il faudrait qu’il s’appuie sur ce qui tient encore debout dans l’édifice pour réaffirmer la souveraineté de la nation. Dans l’épreuve de force avec Berlin, Francfort, Bruxelles et Washington, il pourrait réaffirmer la légitimité du pouvoir politique et du chef de l’Etat, « garant de l’indépendance nationale ». Par phobie de la monarchie présidentielle, l’admirateur de Fidel Castro et d’Hugo Chavez s’est jeté dans une impasse.
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Editorial du numéro 1118 de « Royaliste » – 2017
Cher Bertrand,
Ton article m’incite à poser quelques questions et à formuler quelques remarques. Je n’ai que quelques vagues notions sur notre système constitutionnel mais la proposition de M. Mélenchon sur l’élection d’une Assemblée constituante m’interpelle. Sur quel article de la constitution de la V° République se fonde-t-il pour « convoquer » cette constituante? Sur l’article 89? Mais cet article prévoit la révision de la constitution, pratique dont nous avons largement abusé depuis 1958. Mais là, il ne s’agit pas de réviser mais de changer de fond en comble nos institutions. Rappelons qu’en 1958, la procédure de révision prévue par la constitution de 1946 avait été modifiée afin de permettre l’élaboration d’un nouveau texte constitutionnel dans le respect de la constitution. Jean-Luc Mélenchon est-il décidé à faire de même? Comment? Par le biais du référendum de l’article 11 par exemple? Ou bien par un vote du Parlement sur le fondement de l’article 89? Cela demandera donc des élections législatives qui permettront de donner sa » chambre basse » au Parlement. Une fois la procédure adoptée, il faudra élire cette fameuse constituante. Pas question de le faire avant octobre si l’on veut qu’il y ait une vraie campagne électorale, que les différents mouvements en lisse puissent exprimer leur vision des choses. Et pendant ce temps là que fait-on? Le gouvernement va t-il devoir se cantonner à « légiférer » par décret, ou à expédier les « affaires courantes »? Cela veut dire qu’un trimestre sera perdu. Une fois la constituante réunie, le gouvernement est-il responsable devant elle? Qui remplacera M. Mélenchon démissionnaire? Gérard Larcher président du Sénat? Et que devient le dit Sénat? Mais surtout, M. Mélenchon ignore superbement les possibilités qu’offre notre constitution. Marie Anne Cohendet avait démontré qu’on pouvait très bien faire du Premier Ministre un véritable chef du gouvernement ce dernier définissant et conduisant la politique de la Nation. Le président de la République en véritable arbitre, ce qu’il n’est pas, gardé le pouvoir de solliciter les autres pouvoirs y compris le peuple par le biais du suffrage, veillant ainsi au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. L’élection du Président de la République au suffrage universel n’est en rien un obstacle à cette vision. En Irlande comme en Finlande, le Président de la République est élu au suffrage universel direct, il n’en est pas pour autant celui qui définit et détermine la politique de la nation. Par ailleurs le Premier Ministre véritable clef de voûte du travail gouvernemental n’en garderait pas moins les instruments du parlementarisme rationnalisé et les pouvoirs exceptionnels de l’article 16. La question qui peut poser difficulté est de déterminer qui du Premier Ministre ou Président de la République dans ce cas peut « déclencher le feu nucléaire ». Je ne suis donc pas d’accord avec Mélenchon même si ce n’est pas pour les mêmes raisons que toi.
Ah une dernière chose encore. j’approuve ton souci de ne pas voir dans cette période d’incertitude éventuelle la France affaiblie face aux pressions de Francfort, Berlin, Bruxelles et Washington. Mais vois-tu contrairement à toi, je ne souhaite pas non plus la voir affaiblie face aux pressions de Pékin mais aussi de Moscou, que tu sembles oublier. Je ne veux pas croire que ce soit par complaisance à leur égard et je mets donc cela sur le compte d’un simple oubli….Au plaisir de te lire.
Jean-Marie
Une petite erreur s’est glissé dans mon propos. C’est le Président de la République bien sur qui garderait les prérogatives que lui confère l’article 16 de la constitution de 1958.
Je crains que votre analyse se fonde sur des faits inexacts :
-l’idée du programme « l’Avenir en commun » n’est pas que Jean-Luc Mélenchon, élu président, convoque une assemblée constituante. Ce n’est d’ailleurs pas dans les pouvoirs du présidents. L’idée est que une fois élu, Mélencjon propose immédiatement un référendum sur la création d’une assemblée constituante. Vous souhaitiez un référendum, nous sommes donc d’accord.
-Vous avez dû mal entendre Mélenchon, il ne compte pas démissionner une fois l’assemblée constituante élue, mais seulement une fois que la constitution rédigée par l’assemblée aura été adoptée par référendum.
-Enfin, emporté par la référence à la IVe République, née d’une assemblée nationale constituante, vous ne saisissez pas la proposition de la France Insoumise. Il ne s’agit pas de faire de la l’assemblée nationale une assemblée nationale constituante. L’assemblée constituante que nous proposons ne remplacera pas l’assemblée nationale, mais travaillera en parallèle. Pendant que l’AC redigera la constitution, l’AN, le Sénat, la présidence, le gouvernement, etc, continueront à fonctionner dans le carde de la Ve République. Et ce jusqu’à ce que la constitution de la VIe République soit adoptée.
Le juriste Jean-Philippe Immarigeon a commenté votre analyse:
« Oui et non. L’idée de réécrire entièrement une constitution est effectivement une perte de temps, dès lors que celle de la Cinquième étant parlementaire, peu de choses la rééquilibreraient : investiture par l’AN du premier ministre nommé, suppression du 49-3, et côté exécutif rétablissement du septennat mais mandat unique. Rien qu’avec ça on rétablit un régime parlementaire dualiste. Maintenant si on veut un régime d’assemblée, rien ne dit que les Français suivront. Pareil pour le mandat impératif interdit depuis juin 1789, il faudra être très persuasif pour instituer un droit de révocation. Donc au-delà des ajustements ci-dessus qui peuvent être rapidement adoptés, si le plan Mélenchon est mis en oeuvre, le paradoxe sera que dans l’intervalle le contreseing du premier ministre indispensable à tout acte de l’exécutif ne sera pas soumis à la censure d’un parlement constituant, et le régime sera pour le coup, de facto et de jure, présidentiel. »
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