Des ministres qui polémiquent entre eux. Un gouvernement qui subit les offensives des groupes d’intérêt sur les terrains les plus divers depuis la publication du projet de loi de finances. Des parlementaires qui ne veulent pas assumer les coupes budgétaires, ou les hausses d’impôts annoncées. Un Premier ministre qui multiplie les concessions avant même l’examen du budget. Des effets d’annonce comme s’il en pleuvait. Des rodomontades en tous genres, exaspérantes lorsqu’elles proviennent de ceux qui ont creusé le déficit dans des proportions impressionnantes. Qu’importe la cohérence ! Les chefs de clan cherchent la bonne posture en vue de la présidentielle, l’œil fixé sur les rivaux à démolir. Chacun cherche à défendre son bout de terrain électoral alors qu’il faudrait prendre des décisions de très grande ampleur en matière de défense nationale, de changement climatique, d’aménagement du territoire, de contrôle des frontières…

L’extrême fragilité du gouvernement et le désordre parlementaire excluent toute prévision, quant au sort des mesures budgétaires annoncées. Aux facteurs évidents d’incertitude, s’ajoute la dynamique imprévisible des crises ouvertes ou latentes. Alors qu’on se dispute à l’Assemblée nationale et dans les médias sur de timides mesures fiscales et sur une nouvelle loi sur l’immigration qui ne trouvera pas de majorité, les territoires ultramarins sont dans des situations tantôt tragiques, tantôt dramatiques ; l’affaiblissement et la dépossession industriels sont au cœur de l’actualité et les causes de la révolte paysanne de l’hiver dernier n’ont pas été traitées. L’insécurité gagne sans cesse du terrain et l’exploitation systématique des faits divers par certains médias ne devrait pas empêcher une révision générale des politiques de sécurité publique.

Dans une société où les facteurs d’appauvrissement, de détresse psychique, de violence physique et d’humiliation se conjuguent, le moindre accident survenant dans un quartier difficile, la plus petite taxe, le léger malentendu provoqué par un effet d’annonce sont autant d’étincelles susceptibles de provoquer de vastes incendies. Comme le dispositif austéritaire envisagé réduira de moitié notre faible croissance, toutes les tensions seront aggravées. Nous le savons d’expérience : si des révoltes partielles éclatent, il faudra que le gouvernement donne de l’argent pour calmer la colère… tout en attisant les revendications. On vérifiera une fois de plus qu’une part importante de la dépense publique vise à maintenir ou à rétablir le calme social.

Un calme qui n’est jamais autre chose qu’un fragile armistice dans la lutte des classes qui gagne en intensité depuis la fin du siècle dernier. Cette lutte a été définie comme une “guerre” par Warren Buffet, l’une des principales figures du capitalisme financier. Les oligarchies nationales l’ont menée dans les termes évasifs choisis par les agences de communication mais sans hésiter à faire matraquer les manifestants. Les élites du pouvoir, des médias et de la finance ont cru que cette guerre était gagnée en raison de la division des syndicats, de la faiblesse des révolutionnaires déclarés et, surtout, de l’éclatement et de la relégation dans la France périphérique des “classes dangereuses”. La menace populiste permettait enfin de conserver le matelas électoral nécessaire à la marche des affaires.

Depuis la dissolution, l’oligarchie démontre qu’elle est capable d’engendrer le chaos politique, qui s’ajoute aux nombreux désordres dont nous sommes victimes. Ses techniques de communication ont échoué car la société française est de plus en plus lucide sur la corruption de la classe dirigeante et les impasses dans lesquelles elle se débat. Le mouvement syndical tend vers l’unité d’action, dont il a fait une démonstration éclatante lors des manifestations contre la réforme des retraites. Il peut jouer un rôle décisif, en cas de mouvement social de grande ampleur, pour éviter le déchaînement de violences incontrôlées.

Nous savons cependant que, depuis trente ans, les combats syndicaux et les révoltes populaires sont vécus dans l’attente d’une issue politique. Dans le choc frontal entre l’oligarchie et la majeure partie du peuple français, l’enjeu implicite ou explicite est le remplacement des élites faillies et la mise en œuvre d’une nouvelle politique dont nous avons, avec beaucoup d’autres, clairement tracé la perspective. Jamais, depuis la Libération, la France n’a disposé d’un projet aussi cohérent.

Hélas ! Fixée sur des mesures de simple redistribution, la gauche dite radicale ne veut pas entendre parler d’appropriation collective, de protection de l’activité économique nationale, de souveraineté monétaire. Conforté par les erreurs et les fautes de ses adversaires, le Rassemblement national est en passe de devenir le grand parti de la droite gestionnaire qui a déjà pactisé avec Bruxelles, ce qui implique un consentement implicite à la violence capitaliste. Toute la classe politique est enfermée dans des contradictions insurmontables, qui aiguisent celles d’un système néolibéral aux effets insupportables. Les explosions sociales qui se succèdent risquent ainsi d’aboutir à une déflagration générale. Il faut s’y préparer.

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Editorial du numéro 1286 de « Royaliste » – 21 octobre 2024

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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