Indignés : Mais où sont-ils passés ?

Jan 21, 2013 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Indignés espagnols et portugais, Américains du mouvement Occuper Wall Street, Russes qui manifestaient l’hiver dernier : ces foules nombreuses qui envahissaient les rues pour dénoncer capitalistes et oligarques ont disparu. Pour quelles raisons ?

 Madrid, Moscou, Athènes, New York, Lisbonne : ces deux dernières années, un vent de révolte a soufflé sur une partie du monde et tous les adversaires de l’ultralibéralisme et des oligarques ont espéré qu’il y avait là le début d’un mouvement qui finirait pour bousculer les pouvoirs établis. Telle était la conviction des manifestants et, ici, nul n’a mis en cause leur enthousiasme, leur générosité, la pertinence de leurs critiques et leur inventivité verbale.

Encore fallait-il que ces mouvements, pour se développer et percuter directement le système établi, prennent une dimension clairement politique. Ce qui suppose un projet général d’où l’on tire un programme cohérent, en fonction desquels on met au point une stratégie de conquête du pouvoir. Or c’est malheureusement cette démarche politique qui a été ignorée ou récusée par les animateurs des mouvements de protestations.

En Russie, les citoyens, plutôt jeunes, qui sont descendus dans la rue n’ont pas vu que l’alliance de tous les opposants à Vladimir Poutine ne produirait rien de positif puisque les nationalistes, les libéraux, les défenseurs des droits de l’homme et les socialistes ne pouvaient pas s’entendre sur un programme commun. Si les contestataires sont aujourd’hui dispersés, ce n’est pas à cause de la répression – qui aurait dû dynamiser et amplifier le mouvement – mais à cause de l’absence de tout projet alternatif.

Aux Etats-Unis, les campeurs de Zuccotti Park ont eu le tort de croire à leur slogans : on peut proclamer que « nous sommes 99% » et s’auto-féliciter à l’infini de cet effet de masse sans parvenir à éviter la fin prévisible : la dispersion sous l’effet la répression policière – là encore, insuffisante pour casser le mouvement – mais surtout de la fatigue et de l’absence de perspectives masquées un temps par la langue de bois libertaire. Présenter un programme, c’était reconnaître la légitimité de l’ennemi. C’est ce que souligne Thomas Frank dans un article (1) aussi lucide que cruel : « Occupying Wall Street, le compte rendu quasi-officiel de l’aventure (2), assimile toute velléité programmatique à un fétiche conçu pour maintenir le peuple dans l’aliénation de la hiérarchie et de la servilité ».

En Europe de l’Ouest, point de projet ni de programme politiques mais la dénonciation justifiée des oligarques, la revendication légitime de droits fondamentaux (au logement, à la santé…) et une exigence de démocratie directe qui n’a jamais pu se traduire dans un projet de transformation des institutions politiques. On le sait depuis des décennies : il y a loin du comité de base d’un quartier en ébullition à la participation aux décisions d’intérêt général. Ceci sans oublier que la belle « spontanéité des masses » laisse vite apparaître les pratiques autoritaires et manipulatrices des groupuscules activistes.

Le résultat de cette effervescence ? Le grand calme qui règne dans les rues de New-York, de Moscou, de Paris, tandis que les organisations syndicales continuent la lutte à Lisbonne, à Madrid, à Athènes sans obtenir de résultats décisifs. Rien n’est figé, rien n’est perdu, cela va sans dire. En Grèce, la percée fulgurante de Syriza a montré qu’un parti politique pouvait jouer un rôle considérable –  à condition que ses dirigeants ne se laissent pas séduire par le confort d’une opposition « raisonnable ».

Dans les nations européennes les plus durement touchées par la crise, point d’autre solution que de présenter, au moins, des éléments de programme. La sortie de l’euro, la nationalisation du crédit et des secteurs industriels décisifs, la protection de l’économie nationale permettraient de redonner un espoir politique aux citoyens mais, pour l’heure, aucun parti ne veut entendre parler de ces solutions. La lutte sera longue…

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  • Thomas Frank : « Occuper Wall Street, un mouvement tombé amoureux de lui-même », Le Monde diplomatique, Janvier 2013, pages 4 et 5.
  • Collectif Writers for the 99%, Occupying Wall Street : The Inside Story of an Action that Changed America, Haymarket Books, Chicago, 2012.

Article publié dans le numéro 1027 de “Royaliste” – 21 janvier 2013

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