Joli Juncker

Oct 29, 2007 | Union européenne

 

Il est sympathique. Il est intelligent et plein d’humour, courtois et même serviable. Toutes qualités qui évoquent irrésistiblement le cheval de l’homme le plus rapide de l’Ouest, celui qui tire plus vite que son ombre. Joli Juncker – c’est ainsi qu’il se nomme.

En plus, moi, je le trouve plutôt joli garçon. Quelle distinction, quelle aisance ! Ce Luxembourgeois, a tant d’esprit qu’il eût mérité d’être Français au temps de nos bons rois : un homme de Cour lucide et brillant, masquant son cynisme sous un détachement ironique. Oui-da, un grand seigneur doté d’une éminente charge : il préside l’Eurogroupe, « structure informelle et non décisionnelle » où l’on parle sans rien pouvoir faire. Joli Juncker, ça parle de l’inconscient du groupe, ça le révèle dans ses pulsions sadiques (l’étranglement budgétaire, l’étouffement salarial, la punition des mauvais élèves) et dans ses obsessions monétaires. Sous les mollesses de la gouvernance européenne, il y a tout de même de drôles d’érections…

Celles de Joli Juncker mérite quelque attention puisque le président de l’Eurogroupe s’est érigé – c’est le cas de le dire – en maître-censeur des incartades du président Guaino-Sarkozy. Après avoir sévèrement tancé le petit Nicolas en juillet dernier, lorsque le « mauvais élève de la classe européenne » s’était imprudemment aventuré en juillet dernier dans l’informel du non décisionnel, Joli Juncker nous a offert depuis la rentrée un magnifique bouquet de déclarations sur l’euro fort.

Le 14 septembre à Porto, alors que l’euro battait face au dollar des records qualifiés d’historiques (il atteignait le seuil des 1,40), Joli Juncker osa une déclaration fracassante : « nous surveillons de très près les évolutions » sur le marché des changes. Cette vigilance parut d’autant plus rassurante que le président de l’Eurogroupe,

  1. tout en reconnaissant que les risques pour la croissance s’étaient accus,
  2. affirmait que les pays de la zone euro devraient « croître autour de leur potentiel de croissance en 2007 et 2008 ».

Magnifique exemple de balancement circonspect, que les candidats à Sciences Po doivent apprendre par cœur !

Puis Joli Juncker fit entendre le 1er octobre un long hennissement au moment où l’euro atteignait le seuil de 1, 42 : «Il est exact que nous commençons à être très préoccupés par le taux de change de l’euro face au dollar […] Il est exact que nous aimerions que l’intention de l’administration américaine de parvenir à un dollar fort se traduise davantage par des actions, ce qui signifierait que les Etats-Unis agissent de manière à réduire le déficit de la balance des paiements.[…] Et que nos amis chinois et japonais considèrent de manière plus conséquente que les fondamentaux […] se reflètent dans les taux de change. » Le Parti communiste chinois fut saisi de panique et le gouvernement japonais trembla sur ses bases. Mais les monstres jaunes cachèrent leurs émois et le gouvernement américain, impressionné, réaffirma sa foi en un dollar fort.

Ce n’est pas tout. A Luxembourg le 10 octobre, Joli Juncker répéta que la croissance serait peut-être plus lente dans la zone euro « en raison des « taux de change extérieurs historiquement élevés de l’euro par rapport aux autres monnaies, le dollar, le yuan et le yen ». L’Eurogroupe tança de nouveau la Chine tout en veillant à ne pas énerver les Américains à une semaine du G7 finances : après un mois de vigilance, les membres de l’Eurogroupe déclarèrent qu’ils avait «  noté avec une grande attention que les autorités américaines ont réaffirmé qu’un dollar fort est dans l’intérêt de l’économie américaine ». On ne saurait être plus compréhensif ! Comme les Allemands et quelques autres continuaient de défendre l’euro fort, l’Eurogroupe se garda bien de dire le contraire et Christine Lagarde, ministre français des Finances qui campe sur la ligne anti-Trichet de l’Elysée, fut contrainte de manger son chapeau : « Nous avons ainsi démontré notre capacité à trouver un accord dans la perspective du G7 d’octobre ». Dame Carpette à la scène, l’ancienne avocate était très colère en privé. Ce qui nous fait une belle jambe !

Dûment prévenus par maints articles et dépêches, les peuples de la zone euro attendirent avec impatience la réunion de ce fameux G7 finances. A la veille de la réunion, le 18 octobre, l’attente devint insoutenable car l’euro avait atteint et même légèrement dépassé le seuil (toujours historique) des 1,43 euro pour un dollar.

Que croyez-vous qu’il arriva ?  Après palabres, les membres du G7 firent des déclarations époustouflantes :

1/ «  notre réponse aux récentes turbulences financières doit se fonder sur une analyse complète de ses causes » … analyse qui se trouve dans tous les journaux.

2/ « Nous nous sommes engagés à faire notre part pour soutenir une forte croissance mondiale » sans préciser comme ils allaient faire.

Quant au dollar, le secrétaire d’Etat américain au Trésor déclara qu’il devait être fort « dans l’intérêt de notre nation » sans annoncer, bien entendu, la moindre initiative. Et Joli Juncker de se gratter la tête avec son sabot avant de livrer au nom de l’Eurogroupe une petite phrase épastrouillante : « Nous avons noté avec intérêt que les autorités américaines ont réaffirmé qu’un dollar fort est de l’intérêt de l’économie américaine » tout en sussurant qu’il ne fallait pas tout miser sur la hausse du dollar. Pour sa modeste part, Christine Lagarde se contenta d’observer que « le G7 n’a pas évoqué de dépréciation du dollar ». Ce qui démontre que Joli Juncker parle depuis un mois pour ne rien dire, que Christine Lagarde avale chapeaux et hauts de forme comme si la « rupture » sarkozienne n’avait jamais été énoncée et que toute l’oligarchie mondialisée se moque du pauvre monde tandis que l’euro n’en finit pas de monter.

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Article publié dans le numéro 912 de « Royaliste » – 29 octobre 2007

 

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