Léthargique depuis l’été dernier, très affecté par les résultats des municipales, Lionel Jospin est entré, le 17 avril dernier, en agonie. Elle promet d’être longue et douloureuse.

Voilà. C’est fait. Ou plutôt, il est fait. Fait aux pattes, comme on disait autrefois. Rattrapé par son passé, comme on dit dans la presse à sensation. Et surtout, pris à ses propres pièges, prisonnier de contradictions qui vont le détruire lentement, inexorablement.

Nous avons durement combattu Lionel Jospin. Puis nous avons rappelé, voici quelques mois déjà, que nous ne tirions pas sur les ambulances. Voici les infirmiers qui s’affairent, et le brancard qui passe. Nous avions dit, aussi, que nous n’accuserions pas le premier ministre lorsque viendrait le temps de la décroissance, puisque nous avons soutenu que la croissance de l’économie ne pouvait pas être portée à son crédit.

Fermetures d’usines, licenciements massifs : la tempête américaine souffle sur l’Europe et touche la France. Lionel Jospin n’est effectivement pour rien dans les drames sociaux qui ont éclaté chez Danone, Marks § Spencer, AOM, Philips : quand on laisse faire, on garde les mains pures. La responsabilité du premier ministre n’est pas partielle, locale, circonstancielle, mais générale : il est responsable, et coupable, d’avoir renoncé, par choix délibéré, à l’ensemble de ses responsabilités politiques.

Précisément, cela signifie que Lionel Jospin a refusé de répondre devant le pays de la mise en œuvre de la justice sociale – seule fin assignable à l’exercice du pouvoir. Or l’homme, même l’homme moderne, modernisé, ou post-moderne, ne cesse d’avoir soif de justice. Il faudra donc que le Premier ministre rende des comptes sur ce point capital, explique ses mensonges, et ses reniements.

On peut même dire cela dans les termes abjects de l’ultralibéralisme : grosse demande de justice, pas d’offre. Donc énorme colère face à la pénurie, et face à toutes les pénuries, toutes les misères, toutes les infamies.

D’où ce premier piège : Lionel Jospin va payer, pour tout le mal qu’il a fait, et même pour le mal qu’il n’a pas fait. Preuve en est les insultes qu’il a reçues lorsqu’il est venu se rendre compte des inondations dans la Somme. Vous nous prenez pour des imbéciles, lui a lancé une dame. Ce jour-là, non. Mais cela fait quatre ans qu’il nous prend, en effet, pour des idiots.

D’où un deuxième piège. Il s’était attribué tout le bénéfice des créations d’emplois, qui a été psychologiquement effacé par la brutalité de la première vague de licenciements, et on portera à son discrédit toutes les suppressions d’emploi qui vont être décidées dans les prochaines semaines.

Il y a aussi les pièges multiples qui résultent de l’adhésion jospiniste à l’orthodoxie budgétaire : cette politique imbécile va soulever de nouvelles  vagues de révolte – à commencer par celle des fonctionnaires. Lionel Jospin s’est lié les mains. De plus, il est entouré d’incapables, à commencer par Elisabeth Guigou, qui promet d’être aussi mauvaise aux Affaires sociales qu’à la Justice. Première preuve : la loi sur les personnes âgées dépendantes, honteusement bâclée.

Ajoutons l’imprévisible (les dégâts des affaires), le prévisible (les réactions de divers groupes nationalistes corses), et quelques aléas : désormais incapable d’agir et de réagir, comme en témoigne sa pitoyable prestation du 17 avril, Lionel Jospin est condamné à subir les événements pendant d’interminables mois, en donnant des gages à tout le monde comme en témoigne le report de la privatisation de Gaz de France et le retrait des textes de loi sur la bioéthique.

Ceci avant de tenter de jouer son va-tout en quelques semaines. On devine qu’il nous fera le chantage au retour de la droite, en escomptant que les jospiniens seront moins touchés par les affaires que les chiraquiens. Le tout camouflé par des discours soigneusement balancés, sur le modèle de son homélie brésilienne, consacrée à la mondialisation humanisée. Bavardage insipide, puisque ceux qui passent des compromis avec les systèmes destructeurs finissent par être eux-mêmes broyés. C’est ce qui arrive à Lionel Jospin. Il n’y a plus qu’à le regarder tomber.

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Article publié dans le numéro 771 de « Royaliste » – 30 avril 2001

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