La retraite à 64 ans n’est pas imposée par la double contrainte de la démographie et d’un déficit comptable à venir. Les “64 ans” constituent un signal lancé par la “gouvernance” parisienne aux très hautes sphères financières.

Tel est le véritable motif de la réforme, clairement annoncée par Alain Minc voici un an. “Il va bien falloir envoyer au monde un signal de sérieux, car c’est le monde qui nous finance”, déclarait le porte-parole du capitalisme financier au micro d’Europe I. Et ces jours-ci, devant Ruth Elkrief, Alain Minc soulignait “la raison que le pouvoir n’ose pas dire ou ne peut pas dire : il faut faire cette réforme parce que nous avons trois milliards de dettes” payées à 0,5% de plus que les Allemands. “Si le marché voit qu’on a changé l’âge, il considérera que la France demeure un pays sérieux. Vous allez me dire que c’est idiot, peut-être, mais quand on est débiteur pour 3000 milliards, on fait attention à ce que pense son créancier […]. C’est pourquoi le président de la République, qui est conscient des règles du marché financier, ne cédera pas”.

On ne saurait mieux dire la dépendance de notre pays aux logiques folles de la spéculation internationale. On ne saurait mieux dire la froide résolution de la macronie, et sa violence : pour éviter le risque de taux d’intérêts plus élevés, prenons le risque d’un conflit social de grande ampleur et imposons aux classes moyennes et populaires des sacrifices de temps et d’argent sur la très longue durée !

Tant pis si “les marchés” prennent d’autres critères pour spéculer contre la France ! Tant pis si les décisions de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne aggravent les crises qu’elles prétendent juguler ! Tant pis si la Commission européenne demande, dans trois ou quatre ans, une nouvelle réforme des retraites ! Tant pis si les classes moyennes et populaires, sacrifiées depuis quarante ans au nom de l’austérité, de l’attractivité et de la compétitivité, sont encore plus maltraitées ! Tant pis, puisque les éditorialistes de cour nous ont prévenu que la macronie prenait le risque de l’affrontement social en pariant que le peuple des révoltés finirait bien par se résigner.

Avec son cynisme souriant, Alain Minc nous incite à faire le compte des mensonges assénés sans relâche par la classe dirigeante et ses relais médiatiques. Mensonge sur la croissance qu’on était censé apercevoir au bout du tunnel. Mensonge sur la désinflation compétitive qui a accompagné l’hyperinflation des produits financiers et qui a produit, comme effet de l’ultra-concurrence, une désindustrialisation paralysante. Mensonge sur la prospérité promise comme résultat de la construction européenne. Mensonge sur le ruissellement qui devait résulter de la richesse accumulée par quelques-uns. Mensonge sur la dette publique, conçue comme moyen de chantage alors qu’il est toujours possible de la réduire ou de l’annuler. Mensonge sur la dette de la sécurité sociale, utilisée pour faire passer les réformes anti-sociales (1). Mensonge sur le chômage puisque la précarité affecte un quart des actifs.

Les grévistes et les manifestants ont ces mensonges en tête, ainsi que les chiffres qui stimulent leur colère. L’an dernier, les entreprises du CAC 40 ont versé à leurs actionnaires 80 milliards d’euros en dividendes et rachats d’actions ; le groupe Total a réalisé 20,5 milliards d’euros de bénéfice net ; le groupe BNP-Paribas déclare quant à lui un bénéfice net de 10 milliards d’euros. Selon les derniers chiffres publiés, l’aide publique aux entreprises privées se montait en 2018 à 140 milliards d’euros.

Dans la rue, le pognon de dingue accumulé par des groupes qui bénéficient de scandaleuses complaisances fiscales est très logiquement comparé au délabrement de l’hôpital public, à la faiblesse des salaires des travailleurs jugés indispensables pendant la pandémie et à la crise du logement qui frappe près de 15 millions de personnes selon le tout récent rapport de la Fondation Abbé Pierre.

Les sacrifices imposés aux classes moyennes et populaires sont conçus selon un objectif à long terme que poursuivent sous des étiquettes diverses les fondés de pouvoir du capitalisme rentier. Il s’agit de privatiser l’ensemble de la protection sociale, en créant un marché de la santé comme on a créé un marché de la vieillesse et en laissant à l’Etat la charge de ceux qui seront trop pauvres pour s’acheter des soins.

Cet objectif est la négation même du souci primordial de bien-être individuel et collectif qui avait inspiré la révolution accomplie à la Libération. Nous voyons que la destruction méthodique du programme de la Résistance s’accomplit par l’action conjuguée des spéculateurs internationaux, des réseaux gestionnaires de la zone euro, du patronat et des classes dirigeantes des principaux pays de l’Union européenne. Il faut tout mettre en œuvre pour faire échouer la réforme Borne-Macron, sans jamais perdre de vue l’indispensable reconquête de notre indépendance financière et de notre souveraineté monétaire par le moyen d’un Etat ayant retrouvé sa puissance d’agir.

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Editorial du numéro 1250 de « Royaliste » – 12 février 2023

(1) Jacques Rigaudiat, La dette, arme de dissuasion sociale massive, Editions du Croquant, 2022.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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