La Constitution a vingt ans. Evénement rare dans l’histoire de la République qui, en moins de deux siècles, en usa une douzaine. Au risque de choquer les antigaullistes passionnels, célébrons donc cet anniversaire et saluons la réussite du nouveau mode d’organisation des pouvoirs, inventé par le Général de Gaulle en 1958 et qu’il méditait depuis si longtemps.
UNE MONARCHIE ELECTIVE ?
Sans doute, à l’origine, cette constitution pouvait-elle paraître ambiguë. Ni parlementaire, ni présidentielle, c’était un « corniaud » comme l’écrivait Philippe de Saint Robert. Mars les corniauds sont, paraît-il, plus intelligents que les chiens de race, et les classifications des juristes n’ont jamais garanti la durée de constructions harmonieuses… sur le papier.
Peut-être inesthétique, la Constitution de 1958 ne pouvait manquer de satisfaire le monarchiste le plus sourcilleux — à condition qu’il n’ait pas l’esprit troublé par quelque vieille rancœur ou par les passions du moment. Car les principes fondamentaux de la Cinquième République sont ceux-là mêmes que les monarchistes souhaitaient restaurer, face aux désordres de la Troisième et delà Quatrième Républiques :
— Stabilité d’un pouvoir préservé des manœuvres parlementaires et des ambitions partisanes.
— Continuité de l’action de l’Etat, par-delà les contradictions et les calculs démagogiques de la politique politicienne.
— Arbitrage d’un chef d’Etat placé au-dessus des partis et des intérêts, incarnant la nation tout entière et accomplissant son œuvre en pleine indépendance.
L’organisation des pouvoirs qui provoqua tant de criailleries pendant l’été 1958, est la conséquence rigoureuse de ces principes : extension des attributions présidentielles, organisation de la responsabilité ministérielle, définition des domaines respectifs de la loi et du règlement… De même, l’élection du Président de la République au suffrage universel se situait dans cette logique monarchique.
Le paradoxe n’est qu’apparent : élu par un collège de notables, le Chef de l’Etat aurait difficilement pu représenter la nation tout entière ; pour exercer sa mission en pleine indépendance, il lui fallait un consensus populaire. Sans doute, le Général de Gaulle était-il trop monarchiste pour ignorer que la légitimité naît de l’histoire et des services rendus. Mais il savait aussi qu’aucun pouvoir n’est légitime sans l’adhésion populaire, qu’aucun Etat ne peut résister aux puissances qui le menacent sans l’appui d’un peuple avec lequel il ne doit cesser de dialoguer.
Ainsi, en 1962, une monarchie élective est née, dont l’esprit capétien ne peut être sérieusement mis en doute, pas plus que l’intention du Général de Gaulle de prolonger et d’approfondir son œuvre de restauration de l’Etat (1).
LES FAILLES
La célébration de cet anniversaire tournerait-elle à l’apologie ? Non pas. Nous l’avons dit et répété, la Constitution recèle deux pièges qui peuvent être redoutables, même si la pratique instituée et les conditions du jeu politique ont permis jusqu’à présent de les éviter :
— d’abord le conflit entre le Président et le Premier ministre, puisque la révocation de ce dernier n’est pas prévue par la Constitution ;
— ensuite le conflit entre le Président et l’Assemblée nationale lorsqu’une majorité nouvellement élue est hostile à la politique du Chef de l’Etat. Certes, le Président peut faire usage de son droit de dissolution, mais si la même majorité est reconduite, la stabilité des institutions peut être menacée.
Ces conflits entre les pouvoirs demeurent hypothétiques. La guerre civile froide ne l’est pas. Après le départ du Général de Gaulle, et en l’absence de toute légitimité historique, les excellents principes de la Constitution n’ont pu empêcher que la France se divise en deux camps. Les partis qui redressaient la tête depuis 1965, monopolisent, obscurcissent et faussent à nouveau le débat politique. Et le Président de la République ne joue plus le rôle d’arbitre qui lui était assigné.
UNE PARODIE
Reste la nostalgie de l’époque gaullienne, et sa parodie. M. Giscard d’Estaing rappelle bien que son rôle « est de ne laisser aucun des partis faire le moindre pas vers l’affaiblissement des institutions », mais sa pratique politique est sans cesse en contradiction avec les intentions qu’il affiche. Elu par la droite contre la gauche, il souhaite publiquement (le « bon choix ») la défaite d’une moitié des Français. Au contraire d’un roi, il n’oublie pas les insultes reçues autrefois, et poursuit le gaullisme d’une haine médiocre mais vigilante. Représentant de l’aristocratie financière, il fait la politique de sa classe, avec les conséquences que l’on sait.
La Constitution demeure. Mais elle est victime d’une subversion intérieure, qui se pare de ses principes pour mieux la ruiner. La République gaullienne avait le souci de l’Etat et de la nation. La République mondaine se préoccupe de sauvegarder les apparences. De fait, la construction tient debout. Elle est « fonctionnelle », comme on le dit de certaines habitations. Mais on y cherche en vain l’esprit du fondateur.
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(1) Je renvoie nos lecteurs aux « Septennats interrompus » de P. de Saint Robert (Laffont). La publication des Mémoires de Mgr le Comte de Paris apportera probablement, sur les intentions du Général de Gaulle, des explications et des précisions que nous attendons avec impatience.
Editorial du numéro 278 de « Royaliste » – 12 octobre 1978
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