Dans sa présentation d’un livre de Bernard Guetta (1), Jacques Julliard écrit que celui-ci « a raison (…) d’évoquer la guerre, le déchaînement des forces bestiales, de la haine et de l’antisémitisme ». Et d’ajouter : « L’Europe en a si bien triomphé que les peuples qui la composent ont oublié que ce bien précieux entre tous, la paix entre les peuples, n’y est pas un état de nature ; c’est à la construction européenne que nous le devons. Ils ont tort de croire qu’un tel acquis est définitif et qu’il survivrait à la destruction de l’Europe. Le ventre est encore fécond… ».
En quelques lignes, voici résumée la fiction historique qui fonde la croyance européiste – celle qui réduit l’Europe aux traités régissant une partie de notre continent. Qu’est-ce qu’une fiction ? Le Dictionnaire de la langue française nous dit que c’est au sens premier un mensonge et, en un deuxième sens, une « construction imaginaire consciente ou inconsciente se constituant en vue de masquer ou d’enjoliver le réel ».
De fait, l’évocation d’une « Europe » qui aurait triomphé du nazisme est purement fictive. Le totalitarisme nazi ne peut être dissocié de la volonté de puissance allemande et c’est bien contre le Reich allemand que s’est constituée une alliance : celle des Etats-Unis d’Amérique, de l’Union soviétique, qui ne faisait pas partie de l’Europe démocratique, de la France, de la Grande-Bretagne et d’autres nations. Jacques Julliard aurait pu dire que la civilisation européenne a triomphé du nihilisme, ce qui est vrai, mais ce sont des armées nationales mobilisées selon leur tradition historique nationale qui ont permis la victoire de notre civilisation. Je rappelle aussi que la Résistance a été un mouvement de libération nationale et pas seulement un mouvement antinazi. Qui a oublié le mot d’ordre : « Tous debout, à chacun son boche » ? Les crimes de la Waffen SS ne sauraient faire oublier les crimes de la Wehrmacht, en France, en Russie, dans les Balkans… Dans la construction imaginaire de Jacques Julliard je vois un inquiétant désir, conscient ou inconscient, d’effacer des pages glorieuses de notre histoire et de nier que les nations soient des médiations entre leurs citoyens et l’universel.
Après le réel masqué, le réel enjolivé : les européistes ont coutume d’affirmer que la paix en Europe nous a été donnée par la « construction européenne », mais un mensonge mille fois répété ne fait pas une vérité. La paix en Europe, nous la devons à la victoire des armées alliées qui obligèrent l’Allemagne à capituler et à subir l’occupation des troupes américaines, anglaises, françaises et soviétiques. Lorsque vint le temps de la Guerre froide (1947), la paix ne fut pas assurée par le traité de Rome (1957) mais par la dissuasion nucléaire. Et quand Jacques Julliard évoque la paix en Europe, il ne songe qu’à l’Europe de l’Ouest. C’est là une vision rétrécie qui assure un grand confort moral puisqu’elle permet d’oublier les responsabilités ouest-européennes dans les guerres yougoslaves et le bombardement de la Serbie et du Monténégro, au mépris du droit international, par des appareils américains, anglais et français. Là encore, il y a désir d’effacement des vérités historiques qui n’entrent pas dans le schéma lénifiant des fervents de la petite, toute petite Europe.
Comme d’habitude, la fiction historique aboutit à la profession de foi fédéraliste. Jacques Julliard oublie que dans une Europe fédérale, l’Allemagne serait, pendant dix ans, obligée de consacrer 8 à 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de son PIB annuel à des transferts en direction des pays du Sud de la zone euro. Ce que le gouvernement allemand ne peut accepter… Pour l’heure, Jacques Julliard se préoccupe de la zone euro, menacée par ceux qui, dans le même numéro de « Marianne », expliquent qu’il est urgent d’en sortir et se comporteraient en apprentis-sorciers : la sortie de l’euro « impliquerait nécessairement la constitution d’une nouvelle majorité politique où le Front national se taillerait la part du lion. La sortie de l’euro, c’est l’entrée de Marine Le Pen au gouvernement. Pour moi, les choses sont claires : non, sincèrement, merci bien ».
Cette manœuvre d’intimidation manque de sérieux. Dans une période de crise aiguë, l’actuelle majorité peut décider de soutenir un Premier ministre socialiste et un gouvernement de salut public chargés d’assurer le retour à la monnaie nationale. Le Front national se trouverait privé de la thématique qu’il a empruntée aux économistes hétérodoxes et serait vite débordé si un plan cohérent de protection de l’économie nationale est mis en œuvre.
La sortie de l’euro épuiserait le nationalisme français aussi sûrement que la politique gaullienne avait étouffé l’extrême-droite.
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Très salubres piqûres de rappel…
Un parallèle troublant : d’une part le manque de bases historiques solides de la plupart des plumes éditoriales notoires, et également de l’immense majorité des chefs de partis (qu’on devrait sans doute regrouper sous le vocable de « têtes de gondoles électorales »).
D’autre part l’état calamiteux de qu’on a bien du mal à encore appeler une discipline, celle de l’ « Histoire » au collège et au lycée.
Démolition voulu et organisée ou subie ? Toujours est-il que les « fictions » ont de belles heures devant elles.
Nous avons là une nouvelle preuve de l’insondable naïveté de Jacques Julliard et de tous les européistes dont Bernard Guetta pour qui l’Europe est, selon le juste mot de Todd, une religion qui ne supporte pas la critique et la remise en question. Nous avons un combat frontal à mener contre eux jusqu’à leur déroute politique. Le combat intellectuel est déjà gagné, ils ne sont que sur la défensive et leur seul argument est la peur du Front national de Marine Le Pen qu’ils alimentent par leur aveuglement.
L’Europe n’a pas besoin d’ennemis avec de pareils défenseurs… Jacques Julliard manque cruellement de consistance argumentative, en ignorant les cahots et les loupés de la construction européenne.
Cependant, c’est en voulant argumenter sur le terrain des patriotes europhobes qu’il discrédite le beau projet européen: s’agit-il pour lui de voler aux défenseurs des nations le principe mité du « roman national »?
Les partisans de l’union européenne à naître savent rester, au contraire, dans l’humble champ des valeurs, du désir, du droit contre le fait. Ces européens-là ne cessent de dire leur insatisfaction face à la forme actuelle de leurs institutions, autoritaire et essentiellement inter-gouvernementale.
Plutôt que de maquiller les errances historiques, ils poseraient sans doute une question à B. Renouvin: si une « médiation entre les citoyens et l’universel » doit exister, pourquoi ne pourrait-elle pas se penser à un niveau supérieur à celui de la nation? Pourquoi ne pourrait-elle pas être la « petite, toute petite Europe »?
@ Cécile
« si une « médiation entre les citoyens et l’universel » doit exister, pourquoi ne pourrait-elle pas se penser à un niveau supérieur à celui de la nation? »
Pourquoi pas, en effet, dès lors que les Bavarois (c’est une exemple) accepteraient de financer une partie substantielle des retraites des Siciliens (autre exemple) ?
N’est-ce pas la question centrale, qu’aucun européiste n’aborde jamais ? On croit comprendre pourquoi.
Au passage , notons que cela reviendrait à créer les conditions d’une « nation » à une échelle supérieure…
Et pourquoi pas ?
Dès lors que ( en extrapolant la belle expression de Finkielkraut ), l’Europe, petite ou grande, serait l’espace, où, comme dans la nation, « ce qui arrive aux autres m’arrive aussi à moi ».
On mesure l’abime qui sépare ce bel horizon des pratiques et des valeurs qui règnent dans l’Organisation de Bruxelles.
Ce travestissement historique montre assez l’ état lamentable du discours politique français, fondé sur deux bases: le dogmatisme de plus en plus violent et l’ ignorance historique et politique qui porte ce nouveau fanatisme.
Nos maîtres politiques semblent avoir oublié l’ OTAN.
Ils retrouvent l’ anti-soviétisme sous la forme toujours intrépide de anti-Russe.
Le problème, un problème très grave, est la faveur accordée
a tous les mouvements dits nationaux, héritiers des fascistes et néo-nazis maintenant sanctifiés par un pseudo combat anti-soviétique.
Ainsi, l’ Europe politique prétendue héritière de la défaite du nazisme accepte les nationalismes héritiers du nazisme.
Tout cela est clair en Lithuanie, Lettonie, Croatie, Ukraine.
Le fascisme Ukrainien, qui peut déjà compter sur 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du corps électoral, participe au grand combat contre le Diable/Poutine, en faveur de l’ U-E.
Que la gauche molle délire, c’est sa fonction et son gagne-pain. Qu’elle ignore les pogroms Ukrainiens de 1919 et 1941 et les menaces « nationalistes » contre les juifs est inacceptable.
Permettez-moi de citer un article par Andrew Wilson dans le DAILY TELEGRAPH (25 janvier 2014, page 19):
« Many Ukrainians sustained guerrilla war against Soviet occupation in the 1940s and into the 1950s »
Qui parlait des poubelles de l’ Histoire?
Bref Jacques Julliard est passé du Nouvel Observateur à Marianne sans vraiment changer : il reste un européiste comme toute la classe politique française. L’Europe est morte mais ils ne veulent pas le savoir : les fous furieux vont s’accrocher à leur fiction « l’Euro ou la Mort ». Bien évidemment, il ne s’agit pas de leur mort mais de celle des nations européennes qui commencent à connaître l’horreur absolue au nom des grands principes. Je pense qu’en fait tous ces gens se moquent bien de l’Europe, la preuve c’est qu’ils éprouvent au fond d’eux-mêmes une haine pour leur pays et donc pour toutes les nations qui constituent l’Europe.
C’est dur de le dire mais il arrive un moment où l’on a honte d’être français : je voyais s’agiter un imposteur à kiev sur une tribune que l’on interroge dans des medias que personne ne lit plus comme « un philosophe », un président ridicule, une classe politique incapable de penser « la France », des intellectuels nuls…La France et l’Europe ont perdu la raison. Monsieur Julliard est dans le vrai pour une seule chose : l’euro va servir de linceul à nos vieux pays. Il n’y a rien à attendre de cette classe politique et intellectuelle, elle est incapable de se remettre en question car il y a longtemps qu’elle a cessé de penser. Leur pensée est égale à « plus d’Europe », « l’euro ou la ruine » comme d’autres proclamaient « nous vaincrons car nous sommes les plus forts ». Ces gens-là font peur, on connaît déjà notre avenir.
Quel tissu de banalités franco-françaises !
1) Voir l’époque actuelle avec les lunettes de la dernière grande crise européenne, voilà une spécialité de notre pays ! avec en prime la référence aux « Boches », on croit rêver : ah, il ne manquait plus que le retour au vocabulaire de l’Action Française…
2) L’Europe habsbourgeoise est en train de se faire. De crise en crise, avec l’inflexion fédérative monétaire et financière, avec l’avènement d’une diplomatie européenne, avec le déplacement vers l’Est et les nouvelles adhésions, avec la question des frontières orientales et du voisinage avec la Russie, avec la nouvelle implication de l’Allemagne,…
3) La France en tant que nation s’estompe. Elle n’a plus ni la volonté ni la mémoire (ni le pognon). Certes, il y a bien quelques crispations patriotardes mais c’est plus sur le mode d’une nostalgie qui voit le monde ancien disparaître. Ajouter à cela une couche d’immigration musulmane transnationale, étrangère à la tradition nationale et voilà comment votre France est muette.
4) Votre erreur est de croire que l’Europe ne peut se construire que sur un modèle français centralisateur, administratif, unitaire, redistributif, et penser de surcroît que c’est le seul modèle qui marche et marchera toujours. Mais il y a bien d’autres modèles, plus décentralisés, plus fédératifs, multinationaux, plus souples et plus adaptables qui ont existé et duré dans l’histoire de l’Europe.
5) Oui, c’est le projet européen, l’Union européenne qui a préservé la paix en Europe depuis la fin de la dernière guerre. Ce sont les nations laissées à elles-mêmes qui ont produit les monstruosités guerrières du 20e siècle. Mais maintenant, comme dirait Bainville, quel est votre système ? Quel est votre véritable politique de rechange ? En réalité, l’absence de système : la loi de la jungle des pires époques de l’histoire européenne.
L’Europe habsbourgeoise : voilà au moins quelqu’un qui joue cartes sur table. Il nous faudrait donc subir sans broncher une Europe allemande, avec une France rendue muette. Vous n’êtes pas d’accord ? c’est que vous êtes un patriottard maurassien.
Du reste, l’Europe habsbourgeoise, on a déjà donné. Au XVIe siècle, un certain Charles Quint et sa clique ont déjà essayé de nous l’infliger — résultat de cette UE avant la lettre : une guerre de 80 ans.
En effet, seuls les maurrassiens et les complices du FN sont démasqués par les media pour oser contester nos maîtres européens.
Le souvenir du bouillant Charles Quint est opportun.
Le Saint Empire romain germanique s’ est réincarné en Union Européenne. Pour reprendre la formule de De Gaulle, il a une apparence: le camarade Barroso et une réalité: le chancelier
Merkel. Madame Merkel, venant d’ Israël qui lui assurait une supériorité morale, fait le tour de l’ Empire européen, expliquant à ses sujets les merveilles de l’ intégration européenne.
La France seule, c’est terminé, et depuis longtemps. L’Europe seule, c’est ça qui se met en place.
La différence avec le XVIème siècle, c’est que la France elle est dans l’empire de Charles Quint, elle en fait partie, elle est à l’interieur. Les traités ont été signés, les engagements ont été pris, tout est bouclé.
Revenir en arrière, c’est ca qui serait générateur de conflits, de retour aux guerres civiles européennes. L’UE a permis de dépasser cela. Et maintenant ce dépassement a créé une dynamique.
Personne ne parle de France seule.
La coopération économique est toujours souhaitable, en Europe ou dans le monde.
Nous subissons deux courants de doctrinaires, dont la foi est aussi dangereuse que tous les intégrismes religieux:
les écologistes et les missionnaires de l’ intégration européenne qui ne supportent aucune opposition ou réserve. L’ Histoire est avec eux. Position idéologique dont les précédents historiques font apparaître les dangers.
Notre culture commune est méconnue. Qui étudie l’ allemand au lycée? Qui lit le Frankfurter Allgemeine dans le métro parisien?
La pauvreté ne favorise pas la culture et l ‘UE monolithique ne sait que pousser à la financiarisation des économies en invoquant une intégration politique toujours plus grande pour traiter son échec économique.
Elle développe une ingérence politique toujours plus agressive dans les affaires intérieures des pays: en Israël, en Ukraine, en Ecosse. Tout doit plier à cette frénésie politique.
Nos petits enfants diront-ils un jour: l’ Union européenne, ce fut la guerre.