Le 17 novembre, lors d’une intervention dans la discussion budgétaire, Philippe Brun, député socialiste, a très justement souligné que “La France est un pays dont l’Etat n’investit plus. Sur presque 500 milliards d’euros de dépenses, seulement 23 milliards pour les dépenses d’investissement, le reste étant des dépenses de fonctionnement”. Il faut d’ailleurs préciser que ces 23 milliards sont principalement des crédits militaires, les investissements dans les transports et la recherche étant des plus réduits. Cela signifie que les annonces sur la réindustrialisation et l’adaptation au changement climatique restent et resteront lettre morte car le souci de la caste dirigeante n’est pas le développement de notre pays mais le très coûteux soutien au capitalisme rentier.

Acteur de la pièce qu’il a écrite pour nous éblouir, Emmanuel Macron a donné le meilleur de lui-même dans les postures résolues et les déclamations conceptuelles. La start up nation s’est évanouie aussi vite que la souveraineté européenne et sur la scène désertée par ses affidés où il tente encore de paraître, nous ne voyons plus que les chiffres et les graphiques qui disent l’ampleur de nos déficits.

L’irresponsabilité d’Emmanuel Macron est écrasante mais n’oublions pas qu’il a été choisi par une caste qui a délibérément sacrifié notre puissance collective d’agir. Les uns ont vraiment cru que les nations étaient “dépassées” selon le thème européiste seriné depuis soixante ans. Les autres ont estimé que la France n’était pas à la mesure de leur vaste intelligence des affaires humaines. Tous ont vite découvert que les privatisations, la libre circulation des capitaux et le démantèlement de l’Etat offraient de magnifiques “opportunités” pour s’enrichir tout en s’affirmant à la pointe de la modernité – celle de la “mondialisation heureuse”.       

Le renoncement délibéré des élites à la puissance a commencé avec Valéry Giscard d’Estaing, qui dénonçait la grandeur gaullienne comme une “boursouflure” et qui nous disait que la France ne comptait que pour une part infime dans le PIB mondial. A sa suite, des dirigeants politiques de droite et de gauche ont répété sur tous les tons que l’Etat devait être modeste, que la France vivait au-dessus de ses moyens, qu’il fallait se ranger sous le bouclier américain, et s’adapter à la mondialisation en gardant la référence à un modèle allemand bien supérieur au nôtre. Un journaliste de gauche a même pu se réjouir que la France ne soit plus jamais une grande puissance, en plaidant pour que notre pays s’insère dans la mondialisation et s’intègre dans l’Union européenne.

Nous mesurons aujourd’hui les effets d’une impuissance publique érigée en vertu néolibérale. Devant une population appauvrie et largement précarisée mais accusée d’être paresseuse, les élites du pouvoir et des médias se projettent dans une guerre conventionnelle qui nous réduirait au rang de supplétifs et se disputent sur un budget qui ne répond en aucune manière aux enjeux immédiats. Somme toute, le projet collectif se réduit à une série d’expédients assortis de mesures de restrictions et de sauvetage comme si nous étions sur un navire en perdition : fabriquer un budget coûte que coûte, sauver la protection sociale, sauver les services publics et se préparer à la guerre en veillant sur son kit de survie – mais sans afficher son patriotisme car c’est mal vu.

Le discours des élites ne dit rien de la France et des Français. Nous l’avons souvent montré : la nation française résiste grâce à la vitalité de ses associations et de ses municipalités, par la somme des dévouements des fonctionnaires et des travailleurs du privé, dans la passion pour notre histoire nationale que l’on s’efforce de déconsidérer et pour les enjeux politiques, malgré le spectacle affligeant qui nous est imposé.

Dans une allocution au pays tout entier, le 10 août 1967, le général de Gaulle célébrait la paix qui permet de refaire “notre substance, notre influence et notre puissance”. La puissance n’est pas la volonté impériale de domination mais la capacité de se faire respecter par l’affirmation de la force militaire et par l’ampleur du projet économique et social de la nation, qui est la condition de son indépendance.

Il ne s’agit pas de répéter le passé gaullien mais d’en retrouver les principes et la dynamique. La France affaiblie par ses élites est en attente d’un nouveau projet conçu par et pour l’ensemble de ses citoyens. Nous n’avons pas à le définir mais nous pouvons indiquer à quelles conditions il est possible. Pas de projet collectif sans un Etat au service de l’intérêt général, et nous avons montré les avantages et les limites de la monarchie élective gaullienne. Pas de République sans cette “chose publique” qui est composée du patrimoine culturel et des biens publics qu’il s’agit de recomposer par la nationalisation des secteurs-clés. Pas de politique du développement sans une planification conçue comme réalisation de la démocratie sociale. Pas de participation à la vie politique nationale, ni d’intégration des nouveaux venus, sans un patriotisme pleinement assumé par l’ensemble des autorités.

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Editorial du numéro 1312 de « Royaliste » – 1er décembre 2025.

 

 

 

 

 

 

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