La France n’est pas en guerre mais les chaînes en continu soutiennent à fond l’effort de guerre ukrainien. Ces matamores ne font pas de victimes chez les Russes mais leur ignorance des enjeux stratégiques nationaux trouble gravement les esprits.

La première victime de la guerre, c’est l’information. La presse écrite dément parfois cet adage, que les chaînes télévisées en continu entérinent en toute bonne conscience. En totale symbiose avec la doctrine américaine de la guerre, il s’agit de prouver qu’on est dans le camp du Bien et qu’on participe à la Croisade épuratrice contre le Méchant de l’année ou de la décennie.

Le spectacle du bellicisme radical a été joué à la fin du siècle dernier sur le théâtre yougoslave. Après l’élimination de Slobodan Milosevic et le bombardement de la Serbie, les médias ont laissé les Serbes, Albanais, Bosniaques et autres Bosniens à leurs misères. Après élimination de Saddam Hussein, l’Irak et les Irakiens ont subi le même effacement jusqu’à ce que Daesh réveille les médias qui, nous l’avons souvent déploré, ont donné un formidable écho à la propagande djihadiste.

Pour les téléspectateurs d’un certain âge, la mobilisation médiatique pour l’Ukraine, et surtout contre la Russie, n’a rien de surprenant. Même défilé de généraux en retraite, de géopoliticiens autoproclamés et d’agents d’influence. Bien sûr, on peut repérer, dans la foule des intervenants, de rares spécialistes et quelques commentateurs avisés qui résistent à la niaiserie du personnel de la chaîne et aux bavardages de plateau. C’est cependant la confusion qui domine, dans le style qui avait fait le douteux succès des jours de grande pandémie. Comme les médecins et les chefs de services qui n’étaient ni épidémiologistes ni virologues, les généraux d’aviation qui commentent les mouvements de fantassins et les experts tous azimuts qui écorchent les mots russes répandent à profusion de la divergence et de l’à-peu-près sous l’œil de l’animateur-maison qui veille au respect de la Pensée correcte sur le déroulement de la guerre.

Il est bien entendu possible de se consoler de ce rabâchage radicalisé en se disant que la sympathie médiatique pour un État effectivement violé dans sa souveraineté est tout à fait estimable du point de vue de la morale. Cette très haute moralité pourrait venir compenser la naïveté de l’analyse politique, qui présente avec enthousiasme la France comme le loyal supplétif des Etats-Unis, qui mènent le combat pour la défense de l’Occident. Hélas, cette moralité fond comme beurre en broche dès la première publicité pour une bagnole de rêve. C’est alors qu’on ne souvient que les chaînes en continu sont faites pour vendre des secondes aux annonceurs. Pour tenir les téléspectateurs en haleine entre deux séquences publicitaires, il faut du sang et du consensus sur le sang. Donc du fait divers et du fait guerrier, qui répandent de l’angoisse et de la peur avant que l’écran publicitaire viennent effacer les cadavres du Donbass par des images rassurantes de yaourt bien frais qu’une famille unie déguste sur une plage ensoleillée.

Dans cette scénographie de la peur, le Nucléaire joue depuis l’agression russe de février un rôle privilégié. Une menace poutinienne de nucléarisation, une réplique américaine un peu vive, et c’est parti pour les grands échanges de répliques paniquées. “Et si un missile nucléaire tombe sur l’Allemagne ?” demandait Hanouna, excité comme un enfant embarqué dans le train-fantôme. Sur l’imaginaire des batailles de chars de 1940-1945 et des combats dans les ruines de Stalingrad, le Nucléaire apporte le piment d’un Hiroshima ukrainien auquel nous répliquerions par un Nagasaki sur le territoire russe.

C’est ce salmigondis de souvenirs cinématographiques et de supputations enfiévrées que le ministre des Armées a balayé en quelques phases. Interrogé sur TF1 par Ruth Elkrief le 9 novembre, Sébastien Lecornu a fort courtoisement recadré cette vedette des médias, plus à l’aise dans les intrigues de congrès socialiste que dans la froide logique du nucléaire militaire. La journaliste avait cru comprendre que la notion d’intérêt vital évoquée par Emmanuel Macron couvrait tout à la fois la France et l’Europe – ce qui permettait de prévoir une réplique nucléaire française à l’emploi tactique d’une arme nucléaire russe en Ukraine. Le ministre des Armées lui a très clairement rappelé, en faisant référence au général de Gaulle, “la grammaire de la dissuasion” : “Il appartient au président de la République d’apprécier ce que sont ces intérêts vitaux, au moment même où ces événements se produisent ».

Cela signifie que le chef de l’Etat doit, en toutes occasions, laisser les adversaires potentiels dans l’incertitude sur ce que la France entend par « intérêts vitaux”. La définition de ces intérêts vitaux dépend d’une situation pour le moment imprévisible face à un adversaire qui n’est pas nécessairement celui auquel on pense aujourd’hui. Il faut et il suffit que cet adversaire soit persuadé de la détermination du président de la République et de la résolution du peuple français. C’est affaiblir la dissuasion que de répandre la peur dans l’opinion publique. Et c’est, pour l’heure, rendre un joli service à Vladimir Poutine.

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Article publié dans le numéro 1244 de « Royaliste » – 19 novembre 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 Commentaire

  1. Du1erjour

    Ne craignant pas que nous partions, ici même, pour des grands échanges de répliques paniquées, je me permet ainsi d’objecter ceci, concernant la menace qu’aurait brandie la Russie de recourir à l’arme nucléaire.

    1/ Poutine n’a jamais rappelé cette possibilité- et fort sobrement- qu’ APRES que celle-ci ait été inconsidérément agitée par des politiques ou des éditorialistes occidentaux à l’encontre de la Russie.

    2/ les États-Unis ont modifié leur doctrine d’emploi de l’arme nucléaire début 2022, en s’autorisant désormais l’initiative de la première frappe.

    Si je me trompe, corrigez-moi, ça m’évitera l’accusation de complotisme et le diagnostique de sectaire avec au bout un internement psychiatrique bienveillant.